Comment la crise souligne les faiblesses des extrêmes en politique

L’expression des colères et des inquiétudes qui nourrissent les dynamiques protestataires des formations extrémistes ne suffit pas à créer mécaniquement une confiance alternative en ces mouvements.

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Marine Le Pen by Global Panorama(CC BY-SA 2.0)

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Comment la crise souligne les faiblesses des extrêmes en politique

Publié le 4 juin 2020
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Par Pascal Perrineau.
Un article de The Conversation

La lutte contre la pandémie du Covid-19 a mis au premier plan de l’agenda public toute une série de thèmes : la désorganisation de la puissance publique, la fermeture des frontières, le contrôle strict des flux migratoires, les effets pervers de la mondialisation, la supposée incurie de l’Union européenne, la mise en œuvre de mesures autoritaires…

Tous ces sujets sont, depuis des décennies, au cœur des programmes et des projets des forces nationalistes et populistes qui ont connu un certain succès lors des dernières élections européennes de juin 2019. En France, la liste du Rassemblement national emmenée par Jordan Bardella était arrivée en tête avec 23,3 % des suffrages exprimés devant la liste de la majorité dirigée par Nathalie Loiseau (22,4 %).

La brusque montée en puissance de toutes ces thématiques, reprises au plus haut niveau dans la plupart des pays européens par les forces de gouvernement qu’elles soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, pourrait ouvrir des perspectives de développement aux forces extrêmes qui véhiculent, depuis de longues années, nombre de ces enjeux.

La mondialisation dans le viseur

Depuis plus d’une décennie, les populismes nationaux tiennent un discours très hostile à la mondialisation.

Cette orientation est au cœur de toutes les dénonciations populistes qu’elles viennent de la droite ou de la gauche. Marine Le Pen (alors Front national, désormais Rassemblement national) s’est posée en dernier recours de la « mondialisation affreuse » lors de la dernière élection présidentielle de 2017.

Jean‑Luc Mélenchon (La France Insoumise) n’a jamais été en reste sur ce créneau et vitupérait la « mondialisation esclavagiste ».

Jean‑Luc Mélenchon, « La mondialisation esclavagiste et la résistance à l’oppression » (février 2017).

Un bouc émissaire idéal

L’appel à une sortie de la mondialisation ou à une maîtrise étroite de celle-ci est un des thèmes centraux de la rhétorique populiste.

Or, depuis trois mois, la « mondialisation heureuse » n’est pas au rendez-vous. Elle montre qu’elle est très imparfaite et qu’elle peut dysfonctionner gravement. Au-delà des déséquilibres économiques et sociaux qu’elle peut charrier, la mondialisation fait maintenant découvrir qu’elle est le vecteur de la diffusion d’une épidémie dans tous les continents à partir de son foyer originel de Wuhan au cœur de la Chine continentale.

Après cet épisode où l’on a pu constater que la propagation du virus était étroitement articulée à l’intensité des voyages aériens, la mondialisation ne fait plus l’objet de doutes mais de peurs liées au péril humain qu’elle peut engendrer. Déjà, fin janvier 2020, 55 % des Français interrogés dans le baromètre de confiance politique de Sciences Po estimaient que « la France doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui », réinterrogés début avril ils étaient 65 % à penser de même.

Pourtant, en dépit des craintes ravivées devant la mondialisation dans le contexte pandémique actuel, les leaders des forces populistes et antimondialistes, en France et à l’étranger, ne semblent pas pour l’instant bénéficier de cette situation potentiellement favorable.

Asseoir une image alternative crédible

Ni Marine Le Pen, ni Jean‑Luc Mélenchon, ni Matteo Salvini chef de la Ligue en Italie, ni Jörg Meuthen, leader de l’AfD ou Sarah Wagenknecht patronne d’Aufstehen en Allemagne, ni Geert Wilders responsable du Parti pour la liberté aux Pays-Bas, ni Norbert Hofer, président du FPÖ en Autriche, ni Santiago Abascal, dirigeant de Vox en Espagne ne semblent profiter de la crise sanitaire et des dérèglements économiques et sociaux qu’elle engendre.

Les extrêmes politiques, qui sont souvent les symptômes des crises majeures que les sociétés traversent, ont besoin également d’avoir une image d’alternatives crédibles, susceptibles de mieux résoudre ces crises que ne le font les traditionnelles forces de gouvernement de droite ou de gauche.

Depuis quelques années, les extrêmes ont ici et là participé au pouvoir (Italie, Autriche, Espagne, Finlande, Slovaquie…) et n’ont pas laissé forcément d’impérissables souvenirs de leur capacité gouvernante.

Au-delà de l’Europe, les victoires de Donald Trump aux États-Unis et de Jair Bolsonaro au Brésil ne se soldent pas par une gouvernance sereine et sérieuse de nombre d’enjeux publics au premier rang desquels la santé.

Avec la crise sanitaire, le retour de la confiance dans les experts est incontestable et de facto étouffe la voix ou plus exactement le crédit des leaders populistes et démagogues. Ainsi selon le sondage IFOP pour No Com, 5-6 mai 2020, 79 % des personnes interrogées font confiance aux experts scientifiques pour assurer efficacement leur rôle dans la crise sanitaire du coronavirus.

Un manque d’expertise

La réputation de ces derniers n’est pas fondée sur l’expertise, plus encore elle s’accommode volontiers de l’approximation, des foucades et d’une litanie de condamnations sans appel.

Après avoir accusé, le 30 mars, le gouvernement « de mentir sur absolument tout, sans exception », Marine Le Pen, le 8 mai, déclare :

Quand tous les mensonges du gouvernement seront mis les uns après les autres, on s’apercevra que, probablement, c’est le gouvernement qui a le plus mal géré cette crise et de surcroît a fait preuve de mépris à l’égard de la population.

Ce noviciat et même cet amateurisme, à l’heure où l’opinion exige une certaine maîtrise de « professionnels », handicapent fortement les extrêmes politiques coutumiers de la protestation tous azimuts mais peu familiers de l’exercice du pouvoir et du bon fonctionnement de l’appareil d’État.

Si, en France, une minorité de Français (44 %) fait « confiance au gouvernement pour faire face efficacement au coronavirus » (sondage IFOP/JDD des 14 et 15 mai) ils sont encore moins nombreux à le faire chez les électeurs de Marine Le Pen (24 %) ou de Jean‑Luc Mélenchon (24 %).

Cette défiance particulière ne rend pas pour autant les leaders extrémistes plus crédibles dans leur gestion éventuelle de la crise. Interrogés les 29 et 30 avril par l’IFOP pour le Journal du dimanche, 20 % seulement des personnes interrogées pensent que Marine Le Pen « ferait mieux qu’Emmanuel Macron si elle était au pouvoir aujourd’hui » (ils étaient 26 % en novembre 2018 et 27 % en octobre 2019).

C’est encore moins de Français (15 %) qui considèrent que le leader de la France insoumise ferait mieux que le Président (ils étaient 20 % en novembre 2018 et 17 % en octobre 2019).

Au-delà de leurs seuls soutiens directs (sympathisants du Rassemblement national ou de la France insoumise) ces leaders n’ont aucune capacité de conviction quant au talent de gouvernement qu’on leur prête. La crise du Covid-19 a même plutôt contribué à éroder cette capacité déjà faible.

La colère ne suffit pas

Ainsi, l’expression des colères et des inquiétudes qui nourrissent les dynamiques protestataires des formations extrémistes ne suffit pas à créer mécaniquement une confiance alternative en ces mouvements.

Les solutions économiques dont elles sont porteuses (et en particulier un protectionnisme très étroit), des éthiques de conviction qui ne laissent que peu de place à l’éthique de la responsabilité.

Dans une conférence sur le politique, le sociologue allemand Max Weber disait :

Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux mondes différents et irréductiblement opposés. D’un côté l’éthique de conviction repose sur des principes supérieurs auxquels on croit, de l’autre l’éthique de la responsabilité prend en compte les effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir.

L’absence souvent de pratiques de pouvoir et de gestion de collectivités, l’imprécation qui tient parfois lieu de conviction, sont autant d’éléments qui inquiètent des citoyens à la recherche d’un « sérieux gouvernemental » et d’une expérience de la chose publique.

Ce « plafond de verre » de la respectabilité gouvernante semble encore tenir et empêche que la passion extrémiste saisisse un nombre croissant d’électeurs.

Au début de la crise du Covid-19, lors du premier tour des élections municipales, le 15 mars, le Rassemblement national qui était loin de présenter partout des listes n’a rassemblé qu’un modeste 2,3 % des suffrages, la France insoumise n’en attirant qu’un encore plus modeste 0,4 %.

En revanche, huit des douze listes conduites par des maires sortants du Rassemblement national ont été réélues dès le premier tour ce qui montre indirectement la capacité désinhibitrice de la dimension gestionnaire lorsqu’elle a pu se développer pendant six ans de mandat.

Partout ailleurs, le Rassemblement national n’a gagné aucune commune et était même souvent en perte de régime par rapport aux élections municipales de mars 2014. La crise du Covid-19, parce qu’elle touche à la vie, a renforcé l’attente d’esprit de sérieux de la part des décideurs publics. Or, les extrêmes semblent encore manquer de cette « gravitas » dont parlaient les Anciens et qui sied mal aux leaders forts en gueule des formations extrémistes.

Pascal Perrineau, Professeur de sciences politiques, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • je crois qu’il faut attendre…
    L’incurie du gouvernement en matière de gestion de la crise n’est plus a démontrer , et la comparaison avec d’autres pays ne mets pas le notre en valeur..
    La crise sanitaire a balayé toute l’information pendant 3 mois, les opposants politiques n’existent que quand l’actualité les mettent sous les cameras, c’est a dire pendant les élections..
    Il apparaît clairement qu’après la crise sanitaire viendra l’heure de la crise économique.. gageons que l’amateurisme qui marque ce GVT depuis le début va continuer, et que la contestation va y trouver du carburant.. l’heure du bilan d »en marche » arrive.. et il ne sera pas brillant!
    Dans ce contexte , je pense que quelque soient les élus, la crise institutionnelle
    va perdurer, quel en sera le resultat ? le constat de l’échec de la social democratie (comme partout en europe) amènera quoi? bien malin qui peut le dire aujourd’hui
    Mais l’etat français n’est plus en mesure d’assurer sa mission.. une purge va s’avérer nécessaire

    • @chdc-Comment voulez vous que la crise économique gérée par l’incompétence caractérisée de Bruno Le Maire qui croit au dogme continuel depuis 1974 de la dette comme moyen de résolution ? Sans se demander un seul instant si c’est de dette dont les entreprises ont besoin et pas moins de charges, de réglementations etc (les reports et levées de charges ne sont que momentanés car il faudra bien rembourser les dettes, mais Bruno Le Maire ne sera plus en poste à ce moment, la patate chaude aura été transmise)

    • en un mot la purge en macronien cela s’appelle le dégagisme…

    • Malheureusement, n’étant pas les plus touchés de la planète, le Royaume Unis va servir d’exemple de l’échec libéral même si tout leur système de santé est collectiviste.
      Je prévois plutôt de grandes auto-congratulations de comment ils ont été super bons.
      Par contre chez les belges, je vois pas comment ils peuvent rattraper le coup.

  • lors de la manif concernant la mort de traoré adama , la chanteuse camalia jordana a entonné le refrain :  » la révolution est arrivé , il est temps de prendre les armes …dans les quartiers sensibles , les policiers sonnent l’alerte …..si le gouvernement de pleutres au pouvoir ne décille pas les yeux , s’il reste sourd à ces provocations et ses avertissements comme il en n’a l’habitude , il y a de forte chance que le RN reprenne du poil de la bête ;

  • « l’exercice du pouvoir et du bon fonctionnement de l’appareil d’État. »
    S’ils étaient pas aussi complexes et phagocytés de toutes parts par les énarques l’ouverture à d’autres dirigeants en seraient très certainement facilité.

  • « L’esprit de sérieux des décideurs publics  » Comment obtenir des élus avec un système éctoral corompu ? Combien de communes ne présentaient que la liste du maire sortant à cause du mode de scrutin verrouillé par la liste complète et la parité ? Ca ne durera pas .

  •  » la mondialisation fait maintenant découvrir qu’elle est le vecteur de la diffusion d’une épidémie dans tous les continents à partir de son foyer originel de Wuhan au cœur de la Chine continentale. » Oui bof, à croire que l’ empire romain ou l’ Europe du moyen âge n’ ont pas connu la peste qui venait d’ Asie…. Elle mettait deux mois pour arriver au lieu de deux jours comme aujourd’hui c’ est tout. C’ est étonnant ce commentaire bizarre qu’ on retrouve partout….

  • le bleme c’est que çà fait un bail que tout ce que dénonce le FN s’avère a terme vrai!
    on voit aujourd’hui les bienfaits de l’immigration , la plus-value europeenne,l’excellence des 35h , et l’admirable contribution des syndicats ..

  • 1) cataloguer Marine Le Pen parmi les extrémistes est discutable : si on rapportait ses propos sans en mentionner l’auteur, on serait bien en mal de deviner de quelle formation politique il émane.
    2) parmi les critiques formulées contre les extrémistes, lesquelles ne s’appliquent pas aux autres formations politiques ?

  • Les partis, disons du centre (compris entre RN et Insoumis), ont aujourd’hui dans le cadre de la crise sanitaire que nous traversons adoptés des solutions qui bien souvent étaient suggérées par ces derniers. De plus quelque soient les bévues constatées l’heure n’est pas aux recherches de responsabilités dans la mesure où notre peuple sort d’un état de sidération. Mais, le choc passé, la crise économique qui s’annonce, risque fort comme dans la bataille de Canne de faire que le front central doive reculer et que les forces situées sur les ailes emportent la victoire.
    Certes le pire n’est jamais certain… mais évitons d’imaginer que la faiblesse supposée dans le moment des ailes soit l’assurance de la diminution de leur audience dans un contexte de conflit sévère.
    Bien souvent les états totalitaires sont nés du centrisme par exclusion des extrêmes.

  • OK ! Ce n’est pas «un mouvement extrémisme» toutefois je n’aimerai pas abandonner les finances du pays à une personne qui ne sait pas gérer les finances de son propre parti !
    Toutefois (encore) les politiciens qui se disent plus républicains gauche comme droite ne semblent pas, eux-non plus, capable de faire un budget à équilibre depuis plus de 40 ans… La solution est peut-être de confier le ministère des finances et les comptes publiques non plus aux députés/sénateurs mais à leurs jardiniers et femmes de ménage….

  • Bof, article d’un ancien directeur du CEVIPOF de science-po bien marqué à gauche et ça se voit.
    .
    D’autres articles sur contrepoints livrent des analyses bien plus pertinentes.

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