Un recul historique de la garantie des droits et des droits des femmes en France

L’Histoire retiendra le recul majeur de la garantie des droits que la France connaît et qui touche en particulier ceux dont les droits sont les plus susceptibles d’être bafoués.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
On the street again By: Jeanne Menjoulet - CC BY 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un recul historique de la garantie des droits et des droits des femmes en France

Publié le 14 mars 2020
- A +

Par Kouroch Bellis.

Les actions ostensibles en faveur du droit des femmes de la majorité présidentielle constituent parfois de réelles avancées. Cependant, la garantie des droits des personnes placées en situation de discrimination passe avant tout par la garantie des droits de tous. Or, cette garantie a fait l’objet d’un recul sans précédent ces dernières années, alors que la situation était déjà alarmante.

L’égalité entre les femmes et les hommes a été déclarée « grande cause » du présent quinquennat. Les « actions » ostensibles de la majorité présidentielle en faveur des droits des femmes ne manquent pas et aboutissent parfois à des avancées. Néanmoins, il ne faut pas qu’elles aveuglent sur la véritable nature de l’action gouvernementale quant aux droits des femmes, dont la garantie connaît un recul historique. Simplement, ce recul, commandé par une logique comptable, passe par des mesures techniciennes dont l’enjeu crucial est moins évident pour le grand public.

Abandon du jury populaire

Le recul le plus manifeste est l’abandon « expérimental » du jury populaire en première instance pour les crimes jugés les moins graves, y compris le viol, dont les femmes sont les principales victimes. Puisque l’on constate des dysfonctionnements dus à un manque de moyens dans les procès pour crimes, plutôt que d’apporter ces moyens, on a décidé de retirer pour les accusés et victimes la garantie d’une justice bonne et entière.

Maître Tî  écrivait sur Twitter :

« J’ai reçu aujourd’hui un nouveau client. Un garçon de 23 ans qui a été violé pendant 10 ans par son père. Il m’a parlé de ce qu’il a subi, les caresses, les fellations, les sodomies, la violence quotidienne, et surtout l’emprise. Deux heures de rendez-vous. L’emprise de son père était absolue. Un déménagement par an, impossibilité de se faire des amis, interdiction de parler aux tiers… Bref, une enfance détruite, et tout à reconstruire, voire à apprendre. Je lui ai expliqué le système des assises, avec des gens issus de la société qui jugeaient les crimes. Il était rassuré de voir que la société considérait ce qu’il avait subi comme un crime grave.

Bientôt, ces infractions ne seront plus jugées par des cours d’assises avec des jurés mais par des tribunaux criminels départementaux. Cinq juges professionnels, sans jurés et une procédure accélérée. Je ne m’imagine pas dire à ces clients qui ont eu leur vie détruite, que leurs affaires sont considérées par la loi comme des sous crimes qui seront jugés en une demi-journée simplement parce que les jurés populaires ont été supprimés faute de moyens.

[Mme Belloubet, Mme Avia,] ce n’est pas vous qui tendez les mouchoirs à ces victimes en larmes. Ce n’est pas vous qui faites rempart entre ces victimes et leur bourreau lors de l’audience. Ce n’est pas vous qui ressentez l’émotion des clients pendant trois jours d’assises ni leur soulagement de voir les jurés les écouter. Ce sont nous, les avocats, les greffiers et les magistrats qui ressentons cela lors des audiences d’assises où les parties ont le temps de s’exprimer, où la justice prend le temps de comprendre. Vous, vous voulez supprimer tout cela sans avoir cherché à comprendre comment cela fonctionne. Sans vous préoccuper de la souffrance des victimes ni des attentes des accusés. Et vous devriez avoir honte. »

Maître Mô écrivait ailleurs avoir vu en assises, entre autres, « un gamin de sept ans bouleverser les neufs adultes chargés de juger son violeur, en leur disant plein d’une fierté inouïe « ça y est, je crois que je n’ai plus peur » ».

Recul à l’accès à la justice en général

L’ampleur de ce recul est néanmoins bien plus grande encore et passe par un recul de l’accès à la justice en général. En effet, le caractère discriminatoire d’une injustice n’est pas nécessairement apparent et, bien souvent, la meilleure lutte contre une discrimination est la simple application du droit qu’on appliquerait de manière égale pour tous.

Lorsqu’une femme est traitée de manière illégale par son bailleur, par son partenaire commercial, etc. l’insidieux sexisme qui peut s’infiltrer dans ces rapports n’est souvent pas apparent ou prouvable. Les droits sont égaux pour tous, mais leur garantie bénéficie surtout à ceux qui sont structurellement placés en état de vulnérabilité. Or, constatant que le budget de la justice civile n’est pas à la hauteur, au lieu de nous donner les moyens de notre ambition d’une société dans laquelle les droits de tous, sans distinction, sont garantis, la majorité présidentielle mène une politique d’amputation de ces garanties.

On ne compte plus les cris d’alarme des magistrats, greffiers et avocats sur l’état de la justice en France. La France consacre environ 66 euros annuels par habitant dans son système judiciaire, soit environ la moitié de l’Allemagne et le quart de la Suisse. Un Français doit attendre en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé en première instance, contre 19 au Danemark.

Les efforts réels faits en matière de recrutement sont loin d’être à la hauteur de la crise que la justice connaît et ceux en matière budgétaire n’ont pas été dirigés à titre principal vers la justice civile et pénale. De sorte qu’il est étonnant que la société civile ne considère pas cette question comme la priorité absolue, notamment en période électorale.

La justice est au centre de la société civilisée

La justice est un élément fondamental et peut-être même le but de toute société civilisée. Il s’agit d’une mission régalienne fondamentale dont l’État a, dans une grande mesure, le monopole.

N’importe quel citoyen peut faire l’objet d’un procès, civil ou pénal, et les magistrats, même talentueux, n’ont pas aujourd’hui les capacités humaines pour analyser comme il se doit les épais dossiers qui s’accumulent dans leurs bureaux et par rapport auxquels la société leur donne le devoir sacré de juger.

Autrement dit, le risque pour n’importe quel citoyen d’être placé dans une longue détention provisoire (avant tout procès, environ 28 % des détenus en France) ou d’être injustement condamné au civil ou au pénal n’a jamais été plus grand. Cela devrait interpeller tout citoyen, qui devrait exiger au moins un doublement du budget de la justice civile et pénale (sans noyer le chiffre dans celui de « la justice » en général, qui comprend aussi la justice administrative et l’administration pénitentiaire).

Non content de ne pas remédier comme elle se doit à cette situation – c’est-à-dire avec des moyens et recrutements à la hauteur de l’enjeu –, la majorité présidentielle a décidé de réformer la justice civile dans la même logique qui a présidé au fait de supprimer les jurys populaires pour ce qui deviendrait des « sous-crimes ».

Par la loi du 23 mars 2019 et le décret du 11 décembre 2019, sous couvert de plus grande efficacité de la justice, les gouvernants ont décidé de moins garantir les droits en dissuadant les citoyens d’avoir accès aux tribunaux. Ceci s’inscrit dans la lignée de ce qui s’est fait par le passé, mais dans une mesure sans précédent. Eux l’ont fait à travers une série de règles trop techniques et compliquées pour que ces citoyens prennent la juste mesure de ce recul toujours plus grand de l’État dans sa mission régalienne de justice.

En autres choses, les jugements de première instance devront être exécutés même en cas d’appel et l’obligation de conciliation formalisée préalable à toute action en justice a été étendue. D’ailleurs, la plupart des dispositions très techniques et absconses du décret du 11 décembre étaient applicables au 1er janvier 2020, de manière à ce que les greffes et magistrats en sous-effectifs n’aient eux-mêmes pas le temps de bien comprendre les règles de procédure qu’ils doivent faire appliquer.

Une justice avec moins de jurys, une justice plus chère, une justice qui n’a pas les moyens humains et financiers de bien juger… Cela ne suffisait pas. Voilà désormais que la majorité présidentielle persiste dans sa volonté d’aligner le régime de retraite des avocats sur le nouveau régime général. Faire couler l’avocature de proximité sous le flot des cotisations sociales, donner un monopole de fait aux gros cabinets d’avocats dont l’accès pour beaucoup de citoyens sera désormais trop onéreux pour engager un procès ou y prendre part efficacement, voici, semble-t-il, le projet de la majorité présidentielle.

Peut-être le titre de certaines actions qui visent à protéger tel ou tel intérêt, et qui comprennent parfois de réelles avancées, permettra à la majorité présidentielle de faire croire temporairement qu’ils agissent en faveur de ces intérêts. L’Histoire, elle, retiendra le recul majeur de la garantie des droits que la France connaît et qui touche en particulier ceux dont les droits sont le plus susceptibles d’être bafoués.

Cet article a été publié une première fois sur le Club de Mediapart.

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  • Ce gouvernement est inique.

  •  » parce que les jurés populaires ont été supprimés faute de moyens.  »
    Non, je ne pense pas que les moyens soient en cause. Les jurés populaires, ces dernières années, étaient beaucoup moins « laxistes » que les magistrats.

  • Ce pays devenu du tiers monde qui se voit grand !

    ‘La chétive pécore s’enfla si bien qu’elle creva…’

  • C’est bien de dénoncer le manque de moyen (car en résumé c’est ce que dénonce cet article) pour la Justice en France. C’est bien de comparer le budget de la Justice française par habitant par rapport à d’autres pays européens.
    Mais la plupart des français n’en ont cure car bcp estiment (ou espèrent) qu’ils passeront entre les gouttes et n’auront jamais affaire à elle.

    Il serait plus percutant de comparer ce budget à celui d’autres ministères non régaliens comme l’Education, la Culture, la Transition Ecologique et Solidaire…etc Pour montrer tout l’argent des autres cramé inutilement dans des domaines où l’Etat montre régulièrement son incompétence. Il serait également intéressant à chaque fois de rappeler le montant global des subventions étatiques à de multiple associations diverses et variées souvent très orientées idéologiquement ou gérées par des syndicats ou adossées à la fonction publique…etc
    Soit 34 milliards d’euros d’aides directes (soit la moitié de la « fraude » fiscale estimée horresco referens). Sans compter toutes les aides indirectes difficiles à évaluer consistant en la mise à disposition de personnel municipal occasionnellement ou de locaux dont l’entretient et le fonctionnement (électricité par ex) sont payés par les municipalités ou les Régions, aides indirectes toujours financées in fine par l’argent du contribuable.

    Tout cela pour montrer que le fameux « manque de moyen » n’existe pas réellement. Il n’y a qu’une allocation/redistribution des ressources à visée politique/électoraliste/idéologique dans le cadre de laquelle la Justice et la sécurité des français n’ont pas leur place.

  • Il n’y a tout simplement pas de justice en France, pas pour le peuple en tout cas. Par contre l’establisment s’arrange pour qu’elle s’occupe de lui. Suivant que vous êtes puissant ou misérable…

  • Combien de décisions rendues par les juridictions pénales avec jury populaire et combien rendues par les autres juridictions pénales ? On fait confiance aux magistrats professionnels pour ce qui est susceptible de concerner tout le monde (les conflits de voisinage, familiaux, les querelles d’héritage, etc) mais on ne leur ferait pas confiance pour les crimes qui, quoique ce qu’il y a de plus grave, ne concernent que peu de monde par rapport aux autres affaires ?

    Les professionnels ont une vue en sens contraire. Quand ils estiment qu’un jury populaire va rendre une mauvaise décision, en cédant à l’émotion, par exemple, et risquent de ne pas punir assez sévèrement ou pas du tout, ils donnent aux faits normalement criminels une qualification délictuelle pour qu’elle soit jugée en Correctionnelle et non en Assises. En théorie, l’auteur des faits risque moins, mais en fait, il risque plus. Cela s’appelle la « correctionnalisation judiciaire ».

    Et puis, on peut craindre la sélection parmi les jurés de féministes bornées, de celles pour qui la parole d’une femme qui se plaint d’un homme est est Vérité. Imaginez Catherine Sauvage non pas graciée, mais acquittée ? Hollande n’aurait même pas eu besoin de prendre sa très contestable décision.

    Pour terminer, il faut envisager la lourdeur, le coût, et les perturbations de l’existence des intéressés, de l’organisation des juridictions avec jurés populaires.

  • « De sorte qu’il est étonnant que la société civile ne considère pas cette question comme la priorité absolue ». C’est carrément incompréhensible. Que personne ne s’inquiéte de l’abandon et de la place de la justice dans un état de « Droit » alors qu’ il n’y a même plus de contrepouvoir judiciaire me laisse pantoise. Sans justice pas de Démocratie et pas d’égalité des droits.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1718553142164377814

 

Après le « en même temps », le  « quoiqu'il en coûte », l’heure est au « à tout prix ». Le président de la République veut sa réforme constitutionnelle « à tout prix », aussi inutile soit-elle !

La Tribune a dévoilé que le président de la République déposera cette semaine au Conseil d’État un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

 

Pourquoi le président de la République a-t-il d... Poursuivre la lecture

Le féminisme libéral est une revendication de justice. Il peut se définir comme l’extension aux femmes des protections de l’État de droit. À ce titre, c’est l’aboutissement d’un long processus historique.

 

Le régime de l’esclavage ou de la propriété des femmes

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la loi ou la coutume n’offre à peu près aucune protection aux femmes. Elles subissent impunément les menaces, les violences, le rapt, le viol, etc. Ce sont des bêtes de somme, des esclaves possédées par des hommes, plutô... Poursuivre la lecture

Des actrices et des chanteuses françaises, en signe de solidarité avec la révolte des femmes en Iran, se coupent les cheveux.

Femme, Vie, Liberté. Merci. #Iran #MahsaAmini pic.twitter.com/6yUlBTC8Rk

— Farid Vahid (@FaridVahiid) October 5, 2022

La classe politique n’est pas en reste. En coopération avec l’Union européenne, la diplomatie française veut sanctionner les responsables de la répression sanglante qui traverse l’Iran depuis maintenant plus de deux semaines. On parle d’au moins 92 perso... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles