Extradition de Julian Assange : son combat contre la culture du secret

Malgré ses ambiguïtés, Assange ne doit pas être extradé, car cela signifierait que la liberté d’informer doit céder le pas à la raison d’État.

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Extradition de Julian Assange : son combat contre la culture du secret

Publié le 26 février 2020
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Par Frédéric Mas et Justine Colinet.

Depuis lundi, la justice britannique est appelée à statuer sur l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis. Dès le premier jour de l’audience, les avocats du fondateur de Wikileaks se sont plaints du traitement spécial réservé à leur client. Assange aurait été déshabillé deux fois, menotté 11 fois et s’est vu confisquer ses dossiers dès le début de l’audience.

Comme le rapporte The Guardian, leur appel au juge qui supervise le procès au tribunal de la couronne de Woolwich, dans le sud-est de Londres, a également été soutenu par les avocats du gouvernement américain, qui ont déclaré qu’il était essentiel que le fondateur de WikiLeaks bénéficie d’un procès équitable.

Considéré comme un lanceur d’alerte et un défenseur acharné de la liberté d’informer par les uns, Julian Assange reste aux yeux de l’État américain un traître et un espion. Wikileaks, organisation dont il est l’un des administrateurs et fondateurs, a rendu public à partir de 2010 des documents confidentiels sur la guerre en Irak, et a révélé au monde l’étendue de la surveillance de l’État américain.

Celle-ci, loin de se cantonner aux « ennemis » de l’Amérique, concernait également les citoyens américains et les alliés de Washington. Au moment de l’élection présidentielle américaine de 2016, Assange perd une grande partie de ses soutiens de gauche pour les révélations qu’il diffuse sur la campagne de la démocrate Hillary Clinton. C’est aussi à ce moment-là que les soupçons de collusion entre Wikileaks et la Russie commencent à émerger au sein de l’opinion publique américaine.

Liberté d’informer et jeu de puissances

C’est que les positions d’Assange ne sont pas dépourvues d’ambiguïté. Comme le rappelait Nathalie MP Meyer, le crypto-anarchiste concentrait ses attaques sur les États-Unis, et semblait épargner certains régimes autoritaires comme la Russie. Comme pour Edward Snowden, le jeu des grandes puissances est toujours susceptible de récupérer ce combat pour la liberté à son propre profit.

Seulement, comme le rappelle un éditorial du journal Le Monde, extrader Julian Assange reviendrait à assimiler à une activité d’espionnage toute publication de documents secrets émanant de l’État américain. Au nom de la raison d’État les méthodes douteuses de l’armée américaine n’auraient jamais été révélées au public, et personne n’aurait perçu l’ampleur de la société de surveillance.

Pour Olivier Tesquet, journaliste à Télérama et auteur de À la trace, enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance, Assange n’est pas tant un symbole du combat contre la société de surveillance que contre l’extension du domaine du secret : « l’hypothèse d’une extradition et d’un procès contre lui est à la fois un message adressé aux lanceurs d’alertes qui voudraient rendre publics un certain nombre de documents ou d’informations confidentielles, et un message adressé aux journalistes et donc à la liberté d’informer. »

Julian Assange, l’individu contre-pouvoir ?

Malgré ses ambiguïtés, Assange ne doit pas être extradé, car cela signifierait que la liberté d’informer doit céder le pas à la raison d’État, et cela au détriment des populations occidentales elles-mêmes. La longue traque de l’État américain, qui a aussi envoyé Chelsea Manning en prison et a obligé Snowden à l’exil est un rappel salutaire sur la différence essentielle entre les intérêts des États, y compris démocratiques, et ceux des citoyens ordinaires. La liberté d’informer qu’il a défendue incarne sans doute une nouvelle forme de contre-pouvoir à l’heure où la vie privée est menacée autant par les États que par l’accélération technologique.

La France pourrait-elle accorder l’asile politique à Assange, comme l’ont proposé certains hommes politiques et citoyens français ?

C’est peu probable pour Olivier Tesquet :

« Je cite souvent un exemple pour montrer mon relatif doute par rapport à cette possibilité : c’est un épisode qui est arrivé très peu de temps après l’affaire d’Edward Snowden, et au moment où il y avait beaucoup de spéculations sur la destination d’Edward Snowden, la France a refusé à l’avion présidentiel d’Evo Morales le survol du territoire national car les autorités françaises craignaient que Snowden soit à bord de l’avion.

Donc à partir du moment où l’on refuse le survol du territoire français d’un avion présidentiel d’un chef d’État étranger par crainte qu’un lanceur d’alerte soit dedans, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse s’accorder sur le cas de Julian Assange, d’autant plus que ce dernier est un peu plus urticant que Snowden, notamment à cause du rôle qu’il aurait joué dans la campagne présidentielle américaine de 2016. ».

Affaire à suivre.

 

Voir les commentaires (18)

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  • Il ne dois effectivement pas être extradé vers les USA, mais vers la Suède où il doit répondre de viol.

  • Sans être naïf concernant les activités d’espionnages, d’influences, coups tordus et autres de tous les états du monde, et des Etats-Unis en particulier comme ce sont eux qui ont le plus de moyens, je suis néanmoins partagé sur ce M. Assange.
    Pour ce que je connais de l’affaire, je ne suis pas sûr que le fait de mettre à disposition des dizaines de milliers de pages d’informations diverses et variées, libre à chacun d’aller y chercher ce qui l’intéresse, puisse être qualifié de « liberté d’informer » ou l’émetteur de « lanceur d’alerte ».
    En faire un « combattant de la liberté » (ça rappelle des bons souvenirs ce terme, n’est-ce pas ?…) me parait exagéré et lui accorder l’asile politique encore plus…

    • en tous les cas, il doit être entendu et s’expliquer sur ce qu’il a fait, sur les raisons pour lesquelles il a violé la loi..

  • La Justice est-elle à ce point en déliquescence aux USA que Julian Assange doive absolument éviter de s’y confronter ? Nous parlons bien des Etats-Unis d’Amérique, pas d’une satrapie orientale.

    • Les Etats-Unis ne sont plus ce que l’on croit…
      « Peu à peu], l’idéal d’un Etat public au sein duquel toutes les classes participaient fut affaibli par la réalité d’un Etat profond ou Etat sécuritaire, dans lequel une toute petite minorité manipulait la grande majorité. Ce phénomène fut facilité par le développement parallèle des médias, avec l’émergence de nouveaux barons de la presse. […] Le journalisme américain ne fut plus jamais le même.
      [Parallèlement], les politiques « multilatéralistes » du CFR laissèrent place aux politiques néoconservatrices et unilatéralistes auparavant marginales.

      Une fois au pouvoir, Ronald Reagan, le directeur de la CIA William Casey et le vice-président George H.W. Bush commencèrent à élaborer une stratégie de crise visant à « suspendre la Constitution, à transférer le contrôle du gouvernement à la FEMA (agence de gestion des situations d’urgence), à permettre la désignation d’urgence de commandants militaires pour diriger l’Etat et à pouvoir déclarer la loi martiale. Le projet donnait également à la FEMA la possibilité de surveiller les dissidents politiques et d’organiser la détention de centaines de milliers d’étrangers sans papiers…
      Le plus ahurissant, dans cette stratégie, est que le Congrès fut totalement court-circuité.
      Le pouvoir privé, allié à l’extrême richesse du supramonde, a pu imposer des politiques et des structures grâce à des procédures secrètes qui ont radicalement changé la physionomie de l’Etat public, notamment au niveau constitutionnel.
      La COG (Continuity Of Gouvernment), représentant davantage un changement de gouvernement qu’une continuité, ne cherchait pas à influencer ou aider les autorités constitutionnelles, mais à les contrôler et, si nécessaire, à passer outre. » (Peter Dale Scott, la route vers le nouveau désordre mondial)
      C’est la culture du secret inhérente au développement de cet Etat profond qui a donné lieu, en réaction, à des combats comme ceux d’Assange ou de Snowden.

      • Cela c’est du complotisme outrancier, car Peter Dale Scott est un gauchiste réputé pour ses calomnies complotistes! Vous devriez vous méfier quand vous tombez sur ce genre de littérature!

    • Quelques exemples simples ont montré que la justice américaine n’est pas si claire que ça : O.J. Simpson, affaire Alstom / General Electric…

  • sauf votre respect…mettre en évidence un loi iique passe notamment par un procès..
    ou bien les lois qui permettent la condama

  • ou bien donc les lois qui permettent la condamnation de assange sont mauvaises et pour le montrer un procès est utile…

    ou bien ses lois sont justifiées et il doit être jugé…

    il doit être jugé…
    ce que révèlent des actes illégaux doit être dissocié d’abord de ce qui est révélé..

    mais il est incroyable qu’on ne se pose pas la question de l’a justification des lois qui permettraient de condamner assange!!! à l’heure même où notre gouvernement veut mettre en place des lois clairement ineptes et liberticides…

    c’est la beauté du lanceur d’alerte sinon ceux si ne méritent aucun respect.

    • la personne qui fouille dans des affaires privés ou pour quelques raisons que ce soient secrète peut le faire pour des raisons odieuses ou admirables..voire les deux..
      le procès est nécessaire…

    • imaginez l’inverse..imaginez que n’importe qui fouille votre vie privée ..la déballe entièrement et se défende en mettant en avant qu’il a révélé un crime odieux, façon mauvais tri dans les poubelles? parole homophobe ou misogyne?

      comment voulez vous défendre ce qui est privé et secret ( là est la question) si il n’y pas de procès et sanction possible?
      ce qu’a révélé assange sera pris en compte…
      mais justement assange n’a pas fait le tri..il a tout révélé..on doit déjà se poser la question de savoir pourquoi il n’ pas trié l’info..

      le procès d’assange devra déboucher sur un examen de la responsabilité de ceux qui ont mis le tampon secret défense.. la défense d’assange est relativement simple à mon opinion ..nous avons un loi qui a permis de couvrir des tortures…condamnez moi au nom de cette loi si vous voulez..mais condamnez aussi ceux qui ont couvert cela..la réponse sera de prouver que c’est une anomalie.. reste que tout comme la loi secret défense a sans doute été utilisée à des fins politiques , il faut réformer cela et responsabiliser ..contre pouvoir sanctions etc…

  • La grande différence entre un lanceur d’alerte et Assange est que le premier, lorsqu’il découvre le fonctionnement illégal d’un organisme, privé ou d’état, rend les choses publiques, alors que le second, capable de « visiter » quasi tous les réseaux d’état, choisit soigneusement qui il va « visiter » et ce qu’il va rendre public, y compris des renseignements légalement secrets, de manière à influer sur la vie politique de ces pays.
    L’ex-président Correa avait sa sympathie, et donc rien ne lui était reproché. Son successeur, Moreno, a tout-à-coup vu apparaître des photos et vidéos de conversation privées, dont la diffusion a été attribuée à Assange.
    Lanceur d’alerte ou manipulateur nuisible mettant en danger le fonctionnement normal des démocraties ? ( ce que l’auteur de l’article appelle « ambiguïté » )

    • Le comportement des élites américaines montre bien que, comme en France, elles sont parvenues à confisquer le pouvoir du peuple à leur profit. D’où cet acharnement contre Trump de tout l’appareil d’état: FBI, CIA, etc… Pourtant la corruption de Hillary Clinton est connue de tout américain, et celle de Joe Biden vient d’être révélée avec l’Ukrainegate!

    • Un peu naïf, non?
      Tout le monde a ses idées propres sur chaque chose et ses priorités. Les lanceurs d’alerte, aussi. Vous aimeriez qu’ils dénoncent tout ce qui ne va pas!?
      Soyons déjà heureux qu’ils en dénoncent une partie même si ce n’est pas toujours ce qui vous apparait le plus important pour VOUS.

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