Les libertés fondamentales sont essentielles à l’Humanité

Un entretien avec Louis Tandonnet, avocat et auteur de « La jurisprudence essentielle en droits de l’Homme et libertés fondamentales » (édition LexisNexis).

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Les libertés fondamentales sont essentielles à l’Humanité

Publié le 2 octobre 2019
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Daniel Tourre : Bonjour, M. Tandonnet, vous êtes un jeune avocat Bordelais, dont le domaine d’activité est plus particulièrement le droit des affaires et des sociétés. Vous sortez ce mois-ci un ouvrage passionnant sur La jurisprudence essentielle en droits de l’homme et libertés fondamentales. D’abord, en quelques mots, est-ce que vous pouvez expliquer ce que signifie la jurisprudence par rapport à la loi, et en quoi sa connaissance est indispensable pour comprendre l’état réel des libertés fondamentales ?

 

Louis Tandonnet : Bonjour, je suis ravi de pouvoir en discuter avec vous et d’être accueilli par votre journal.

La jurisprudence est un élément essentiel du droit : c’est le souffle de la loi. Le juge est souvent défini comme « la bouche de la loi.» C’est une citation de Montesquieu est souvent mal comprise : le juge ne peut pas être uniquement un robot qui affirme la loi sans l’adapter au cas d’espèce qui lui est posé. La jurisprudence est cette mémoire du droit.

C’est une réserve d’exemples et d’adaptations du texte rigide à l’évolution de la société. Un exemple, pour mieux le comprendre : certains textes, notamment du Code civil, sont très anciens, voire datent du début du XIXe siècle. Pour que cette règle puisse perdurer, il a fallu lui permettre d’évoluer en fonction de la société, c’est le rôle de la jurisprudence, d’où son intérêt.

Quels critères avez-vous utilisé pour sélectionner les quelques 2000 arrêts cités dans votre ouvrage ?

En premier lieu, j’ai effectué une recherche scrupuleuse des décisions les plus souvent citées par la doctrine et les magistrats des principales Cours suprêmes eux-mêmes dans leurs rapports ou leurs arrêts.

À partir de ce point, j’ai essayé de tenir le meilleur compte de l’actualité juridique et jurisprudentielle.

De même, mon propre exercice professionnel m’a également fourni des exemples et des contentieux qui ont nourri mon ouvrage.

Enfin, de manière à proposer le meilleur ouvrage possible, j’ai décidé en début d’année de morceler certains thèmes extrêmement lourds pour les diviser en des thèmes plus spécialisés et donc plus condensés.

Est-ce que vous pourriez proposer à nos lecteurs trois arrêts dans votre ouvrage qui vous paraissent parmi les plus critiques ou les plus déterminants pour les libertés fondamentales depuis 20 ans ?

Le choix est difficile.

En premier lieu, je vais choisir l’arrêt Césaréo de 2006 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation. En effet, en encadrant de manière plus stricte la concentration des moyens, le juge a logiquement restreint le droit d’accès au juge qui est déterminant dans une société démocratique. Pour comprendre son importance, il faut savoir que cette décision consacre le principe de « concentration des moyens », c’est-à-dire que si vous n’avez pas développé tous les moyens juridiques à l’appui de votre demande dès la première instance, vous ne pourrez pas faire une seconde instance car on vous opposera l’autorité de la chose jugée pour vous déclarer irrecevable.

Ensuite, je vais citer l’arrêt Bergoend de 2013 du Tribunal des conflits qui a redéfini profondément la théorie de la voie de fait. Par ce biais, le juge administratif a limité cette théorie et réduit par conséquence le contrôle du juge judiciaire en cette matière, ce qui n’est pas anodin. Cette décision n’a rien d’anodin car elle limite à deux titres l’implication du juge judiciaire dans le contrôle de l’administration : en premier lieu en limitant aux seules libertés individuelles et non aux libertés fondamentales, ce qui est un champ plus restreint, et en second lieu, en exigeant une extinction du droit de propriété et non une atteinte au droit de propriété. Or il faut se souvenir de ce qu’écrit dans son ouvrage Qu’est-ce que la propriété ?, Pierre Joseph Proudhon : « La puissance de l’État est une puissance de concentration. La propriété au rebours est une puissance de décentralisation. »

Enfin, je vais prendre l’arrêt de l’Union syndicale des magistrats du Conseil constitutionnel en 2017 qui a fait un point sur la question de l’indépendance du Parquet. La solution développée est que les dispositions critiquées du Code de procédure pénale ne sont pas inconstitutionnelles en ce qu’elles ne contreviennent pas aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et du procès équitable notamment. Cette décision est importante car elle est littéralement un équivalent juridique à la phrase « N’ayez pas peur ! » pour rassurer les justiciables. Néanmoins, aujourd’hui cette réponse ne semble pas être suffisante et une nouvelle évolution est à prévoir.

Quel est l’arrêt le plus ancien que vous citez dans votre ouvrage, et en quoi est-il encore important aujourd’hui ?

C’est l’arrêt Dupuy-Briacé de 1807 du Conseil d’État qui est le premier arrêt présenté dans l’ouvrage.

Cette décision pose la règle suivante : « ce n’est pas au préfet mais aux tribunaux de décider si un atterrissement formé par des travaux publics exécutés sur la rivière est la propriété de l’État ou des riverains. »

J’ai une affection particulière pour cette décision parce que le contexte dans lequel elle est rendue est particulier : nous sommes en plein Empire napoléonien et quelques juges rappellent que le droit existe et que l’État ne peut simplement imposer ses vues sans se soucier de la légalité de celles-ci. C’est un arrêt qui est un précurseur du rôle du juge dans la protection du justiciable contre les dérives de l’État et du politique.

Vous parlez de cycles plus ou moins libéraux dans la jurisprudence. Est-ce que vous pourriez donner un ou deux exemples de ces cycles ? Et nous préciser comment vous définiriez le cycle dans lequel nous sommes actuellement ?

Le cycle auquel je pense en premier lieu est bien sûr celui de la liberté d’expression.

Je comprends parfaitement que certaines personnes aient pu se sentir blessées par un certain nombre de textes notamment durant les années 1990/2000 qui ont amené à un contentieux important à partir de cette période puis un changement progressif de la jurisprudence pour protéger de manière plus efficace les victimes.

Sur la liberté d’expression, quel regard portez-vous sur la récente loi fake news ?

Cette loi a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2018.

Le point essentiel sera les obligations mises à la charge des plateformes. C’est le problème qui devra être défini par la jurisprudence. La question sera de savoir si la jurisprudence aura une conception stricte ou libérale de la loi et des règles qu’elle pose.

En soi, la loi n’est ni foncièrement mauvaise ou bénéfique, ce seront ses applications qui la rendront ainsi.

À votre avis, quels sont les grands sujets concernant les libertés fondamentales que la jurisprudence va devoir éclaircir dans la prochaine décennie ?

Très clairement le droit de la famille, avec les questions de la procréation médicalement assistée et de gestation pour autrui. En deuxième lieu, la définition et le développement du droit des nouvelles technologies et l’encadrement des évolutions technologiques seront l’enjeu fort de la prochaine génération de juristes et de législateurs.

Le regret que nous pouvons exprimer est que les deux ne se croisent que trop rarement.

En conclusion, après cette longue traversée dans la jurisprudence française, quelle valeur fondamentale doit à votre avis guider la justice ?

Je pense que nous sommes entrés dans une société de l’instant, de l’immédiat, de l’éphémère. Nous ne donnons plus de temps au temps. De fait nous ne nous donnons plus le temps de penser. De penser notre société, de penser notre rapport à l’autre et de penser le droit qui doit l’encadrer.

Et le droit des libertés fondamentales est pour nous autres avocats ou magistrats un droit qui nous permet de nous ressourcer au fondement même de notre vocation, de notre sacerdoce, si je puis dire, qui est l’Humanité. Je ne pense pas que l’Humanité soit simplement une valeur parmi les autres, que ce soit la dernière, mais bien que c’est la valeur fondamentale, celle qui résume, qui synthétise en un mot tout notre engagement envers nos clients, notre Ordre et l’institution judiciaire, envers la Justice tout simplement. Et comme l’écrit très justement madame la Bâtonnière Cadiot-Feidt, dans la préface qu’elle m’a fait la joie d’écrire, « le Droit ne peut être le Droit sans l’Humanité. » Nous touchons presque à la fameuse citation de Saint Paul dans son Épître aux Corinthiens et je m’accorde le droit de l’adapter à la situation :

« J’aurais beau parler toutes les langues des Hommes, si je n’ai pas l’Humanité, je ne suis que du vent. J’aurais beau être docteur, avoir toute la science des lois et toute la connaissance des textes, une confiance à transporter les montagnes, s’il me manque l’Humanité, je ne suis rien. J’aurais beau distribuer tout mon savoir gratuitement, lutter par mon art face à l’injustice, si je n’ai pas l’Humanité, cela ne sert à rien. »

Un entretien dirigé par Daniel Tourre.

Louis Tandonnet, Les arrêts essentiels en droit des libertés fondamentales, édition LexisNexis, septembre 2019, 837 pages.

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