Par Ferghane Azihari.
Un cours de l’école de la liberté
Tout le monde connaît l’aphorisme « La propriété, c’est le vol » de Pierre-Joseph Proudhon.
Faut-il pour autant voir en ce personnage un partisan des idéaux collectivistes ? Pas si l’on se souvient, comme Vincent Valentin, que cette formule n’était pas tant dirigée contre le droit individuel de propriété en tant que tel mais plutôt contre « une répartition du capital qui est le résultat de siècles d’exploitation, et qui ne correspond à aucun principe de justice. »
Pierre-Joseph Proudhon est en effet un penseur difficile à cerner tant son parcours intellectuel est atypique.
Défiance vis-à -vis du centralisme et de la démocratie
À certains égards, on peut considérer Pierre-Joseph Proudhon comme un des pères de la notion de subsidiarité.
Le fédéralisme fait en effet partie de ses idées les plus remarquables. C’est au nom de cette méfiance vis-à -vis du pouvoir central qu’il reconnaît par exemple la nécessité de sauvegarder un droit de sécession pour conférer au pouvoir politique une véritable dimension contractuelle. Ce libéralisme politique radical se confond avec une méfiance tout aussi profonde à l’égard de la démocratie qu’il conçoit comme un subterfuge qui, loin de favoriser la représentation d’une véritable volonté populaire, étouffe insidieusement le respect des volontés particulières qui fonde la liberté.
Une position ambiguë vis-à -vis de l’économie de marché
De « la propriété c’est le vol » à « la propriété c’est la liberté », Proudhon semble avoir opéré une longue reconversion intellectuelle en faveur d’une économie de marché.
« Voilà donc tout mon système : liberté de conscience, liberté de la presse, liberté du travail, liberté de l’enseignement, libre concurrence, libre disposition des fruits de son travail, liberté à l’infini, liberté absolue, liberté partout est toujours ! C’est le système de 1789 et 1793 ; le système de Quesnay, de Turgot, de Jean-Baptiste Say[…] La liberté, donc, rien de plus, rien de moins. Le « laisser-faire, laissez-passer » dans l’acception la plus littérale et la plus large ; conséquemment, la propriété, en tant qu’elle découle légitimement de cette liberté : voilà mon principe. »
Voilà une déclaration bien étonnante de la part d’un penseur qui réprouvait certains marqueurs de l’économie capitaliste comme le prêt à intérêt ainsi qu’en témoigne sa célèbre controverse avec Frédéric Bastiat sur le crédit.
Un idéal de transformation sociale par le bas
Sans perdre de vue son idéal de transformation sociale, Proudhon reste convaincu que celle-ci doit s’opérer par la voie privée.
C’est par le mutualisme qu’il entend refonder la société en modifiant profondément les structures de production qui seraient désormais gouvernées par le modèle coopératif. L’apport de Proudhon constitue donc une synthèse intéressante entre les utopies socialistes et l’individualisme radical.
“L’apport de Proudhon est une synthèse…” c’est vite dit. Il est passé des théories socialistes aux théorie libérales (croyant qu’elles seraient la voie vers l’équité, un peu facile comme posture). Le mec a donc changé d’avis, mais n’a pas proposé de synthèse !
Il s’est rendu du côté de la raison à ce niveau là : c’est tout à son honneur d’avoir reconnu ses errements. Dans sa polémique contre Bastiat sur la légitimité de la rente du capital, la victoire revient assurément à Bastiat. Proudhon a simplement fini par l’admettre. 🙂
Le fond de la pensée de Proudhon sur la liberté individuelle est on ne peut plus clair : “… Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie, ou l’exterminer… ” Exterminer les individus s’ils appartiennent à un groupe qui ne nous convient pas.
Sacré Proudhon, sa lecture est toujours instructive. Cette idée de répartition injuste du capital est intéressante. D’abord parce qu’elle est vraie, historiquement, du moins à l’époque où écrit Proudhon. C’est bien par la force pure et simple que quantité de grandes fortunes se sont érigées avec le temps. Mais une des vertus majeures du capitalisme est d’être une gigantesque lessiveuse à fortunes qui rebat les cartes à grande vitesse. Plusieurs articles récemment parus sur CP expliquent comment Piketty raconte des âneries et comment les grandes fortunes d’aujourd’hui sont récentes et fruit du succès professionnel. L’usage de la force s’est notablement assagi depuis quelques temps. Reste la force publique, dont le contrôle permet seul désormais de protéger les situations acquises, sous couvert de la Loi. Proudhon fulminerait contre ce capitalisme de connivence.