La monnaie a-t-elle encore une quelconque valeur ?

Les Banques centrales ne sont plus crédibles et avec elles la monnaie.

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Euro vs dollar by Dennis Skley(CC BY-ND 2.0)

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La monnaie a-t-elle encore une quelconque valeur ?

Publié le 14 septembre 2019
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Par Philippe Alezard.

La déconsidération de la monnaie est à son comble. Ce ne sont pas les dernières annonces de Mario Draghi, le 12 septembre pour sa dernière conférence de presse, qui vont changer la chose. Après avoir fait passer le bilan de la BCE de 1800 milliards d’euros en 2014 à 4500 milliards d’euros fin 2018, il annonce que celle-ci va recommencer ses achats d’actifs à hauteur de 20 milliards par mois dès le 1er novembre.

Toutes ces émissions massives de monnaie sans contrepartie réelle, dé-corrélées de l’économie, ont sapé la confiance à long terme dans la monnaie. C’est la création de richesse qui crée la monnaie, pas l’inverse. N’oublions pas que la monnaie est un symbole de confiance en un bout de papier. La monnaie n’est pas la richesse en soi mais la conséquence de la création de richesse. Et ce symbole est en train de se fissurer.

Paradoxalement, ces excès de liquidités entraînent un manque de liquidité dès lors qu’un événement majeur se produit. Les actifs les plus liquides ne rapportant plus rien, et même coûtant de l’argent avec les taux négatifs, toutes ces liquidités vont se loger dans des actifs dont la liquidité est beaucoup moins assurée : immobilier, obligations d’entreprises, or, matières premières et cryptomonnaies. Dans les pays émergents, la perte de confiance dans la monnaie locale se traduit par une dépréciation et un report vers le dollar US.

La fuite devant la monnaie

Selon l’OCDE la masse monétaire M1 (billets, pièces, compte à vue) sur la période 2012–2019 a connu une croissance de 100 % alors que dans le même temps la croissance du PIB des 35 pays de l’OCDE progressait de 4,2 %.
C’est la fuite devant la monnaie. Nous voilà retournés sous Philippe le Bel sauf qu’il n’est plus besoin de brûler les Templiers pour trouver l’argent, les Banques centrales impriment des billets de Monopoly.

Les fantasmagories les plus folles qui restaient du domaine académique deviennent réalité. L’helicopter money de Milton Friedman devient une hypothèse présentée comme solution crédible pour une relance économique. La Banque centrale injecterait de l’argent directement sur les comptes bancaires des citoyens.

En disant et en laissant penser qu’elles seraient toujours là pour assurer une politique monétaire toujours plus expansionniste et en assurant des taux toujours plus bas et même négatifs, sans oser dire qu’il y avait des limites à ce système, les banquiers centraux ont laissé les États s’endetter encore davantage et dopé les marchés financiers qui anticipent en permanence une action supplémentaire d’assouplissement. Elles ont créé cet aléa moral qui les condamne à poursuivre toujours plus loin cette politique.

La mission première des Banques centrales était d’assurer la stabilité des prix, la lutte contre l’inflation, ainsi que le plein emploi pour la Fed. Aujourd’hui la première des missions et des urgences et d’assurer la solvabilité des États qui se sont gorgés de dettes, faisant fi, bien entendu, des statuts et autres règlements et de limiter la volatilité des marchés financiers.

Les Banques centrales ne sont plus crédibles et avec elles la monnaie. La première défiance envers la gestion des devises par des Banques centrales est née en 2009 au Japon avec la blockchain et le bitcoin. La Banque centrale japonaise avait déjà lancé sa politique de QE et réduit ses taux court à zéro depuis 2001. La Fed et la banque d’Angleterre avaient suivi en 2008 sur les QE. Cette innovation traverse très vite le Pacifique pour se développer en Californie et dans tous les États-Unis. Le bitcoin c’est environ 300 millions d’utilisateurs dans le monde et un nombre fini de bitcoins en circulation, 21 millions à terme.

Aujourd’hui on ne compte pas moins de 1500 cryptomonnaies de par le monde. Les fintech et la monnaie dématérialisée prennent le relais dans les pays sous bancarisés. Selon la Banque mondiale, 1,7 milliard d’adultes n’ont pas accès à des services bancaires et sont exclus de tout système financier. Sur ces 1,7 milliard plus de un milliard possède un téléphone avec des services Internet.

L’exemple de l’Afrique Subsaharienne est éloquent. Les premiers systèmes de paiement électronique sur mobile sont apparus en 2007 au Kenya et se sont rapidement étendus aux autres pays voisins. Aujourd’hui, selon le FMI, la région subsaharienne est la seule région du monde où les transactions financières par mobile représentent 10 % du PIB contre 7 % en Asie et moins de 2 % dans le reste du monde.

Début mai 2019, un coin, au sens littéral français du terme est ouvert. Facebook décide de lancer libra. C’est un stable coin assis sur un panier de devises et contrôlé par le consortium « Libra Networks » à Genève. Vingt-huit co-fondateurs apportent leurs soutiens financiers au consortium. Les mastodontes du paiement en ligne : Mastercard, eBay, PayPal ; et de la Tech : Uber, Lift, Spotify, le français Iliad, maison de Free, sont parmi les 28. Ce sont presque trois milliards d’individus qui potentiellement pourront échanger et payer sur la Marketplace Facebook. Mais au-delà de la communauté Facebook, la libra permettra de payer sa musique Spotify, ses courses Uber ou Lift, ses services Free, utiliser les terminaux de paiements Mastercard, avec une monnaie hors de contrôle d’un État et d’une Banque centrale.

La spécificité de la Libra

Contrairement à la plupart des autres cryptomonnaies, la libra sera entièrement garantie par des actifs réels. Ils seront composés de comptes bancaires et autres dettes souveraines à court terme. Les fonds proviendront des investisseurs initiaux (investment token) ainsi que des utilisateurs de la libra. La devise libra ne sera « imprimée » que face à la même quantité d’actifs. C’est le principe de fonctionnement des caisses d’émission de monnaies locales, comme celle de Hong Kong par exemple. Cela permet de réduire la volatilité de la monnaie.

Par ailleurs les marques Amazon Coin et Apple Coin sont déjà déposées. Imaginons ce qu’il se produirait si d’un coup Amazon et/ou Apple décide(nt) de lancer sa(leur) monnaie. D’un coup le commerce mondial bascule dans une autre dimension avec une monnaie internationale unique. Le FMI, la BRI, les Banques centrales, les gouvernements qui ont fait entrer le monde en terra incognita des taux négatifs s’émeuvent face à ce saut dans un nouvel inconnu qu’ils ont créé indirectement. Le gouvernement français saisit les gouverneurs des Banques centrales du G7 afin de présenter un rapport sur le sujet.

Lors du dernier rassemblement annuel de tous les gouverneurs de Banques centrales à Jackson Hole, Wyoming, Mark Carney l’actuel gouverneur de la très honorable Banque d’Angleterre a fait grand bruit en appelant très sérieusement à remplacer le dollar comme monnaie de réserve par une libra-like monnaie. « L’acceptation insouciante de la situation actuelle est dangereuse » a-t-il souligné. Lors du G7 finance qui s’est tenu à Chantilly en juillet dernier, Bruno Le Maire a proposé que « nous engagions  une réflexion sur la création d’une monnaie numérique publique émises par les banques centrales. Nous pourrions avancer dans cette voie avec le FMI et la Banque mondiale ».

C’est que la monnaie fiduciaire est le dernier écueil, ou plutôt le dernier rempart, à la politique des taux négatifs. Les espèces ont par définition un taux d’intérêt nominal égal à zéro. L’argent liquide n’est donc pas impacté par les taux négatifs mais fait courir un danger de banque-run si d’un coup tous les clients souhaitaient récupérer leur argent disponible sur les comptes bancaires. Dans un monde sans espèce il n’y a plus de limite aux taux bas.

Si la Banque centrale ou le gouvernement, puisque cela devient la même chose, veut faire un plan de relance il fixe les taux à -4 % par exemple. Soit vous conservez vos dépôts en banque et en fin d’année ils ont perdu 4 % ; soit vous vous forcez à investir ou à consommer. C’est la spoliation de l’épargnant. Bienvenue dans le monde hérétique des taux négatifs dans lequel nous perdons notre liberté financière. C’est la remise en cause de libertés économiques fondamentales. Liberté de produire, de consommer, d’investir ou d’épargner.

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  • moi j’achète du métal..depuis longtemps.; on m(a traité de dingue
    je me marre

  • Le bitcoin est la solution à ce problème de monnaie générée à volonté.
    Chacun peut vérifier la quantité de bitcoin émise et rejeter automatiquement tout changement de la règle établie au départ : l’emission est divisée par 2 tous les 4 ans.
    La prochaine division par 2 est en avril prochain…

    • Mais là aussi la monnaie est décorrélée de la création de richesse non ? (encore plus d’ailleurs).

      • Pour les monnaies fiats le bitcoin ou l’or la vitesse de création de monnaie et la vitesse de création de richesses sont très rarement corrélées.
        Bitcoin a l’intérêt d’avoir une garantie forte sur sa création monétaire : pour changer les règles il faut convaincre tous (!) les utilisateurs de changer leur logiciel . Il n’y a aucun serveur ou banquier central qui peut forcer cette décision.

      • Et alors? ou est le problème?

  • Les regles ont changé,la monnaie de singe n’a pas d’influence sur la valeur de la monnaie, elle reste entre les mains des joueurs de monopoly ,ca permet de faire durer la partie avant la banqueroute…

  • Bientôt le Revenu Universel versé directement par l’État ou même par la BCE? Avec la vente libre du cannabis.? Alors pour les ignares de la Plèbe ce sera le « Kamasoutra de l’économie » qui sera mis en place.!!.

    • On n’a pas besoin de grand chose pour vivre heureux , un toit ,,une bonne biere et du sexe ou du cannabis ou les deux ,la monnaie , aucune importance ,sa provenance des cieux ou de l’esclavage de populations lointaines… !

  • Je doute que le FMI et la BRI « s’émeuvent de ce sait dans l’inconnu »: la Libra sera adossée au manier des DTS du FMI. En réalité on a deux systèmes qui s’affrontent, le système dollar que nous connaissons, et un système voulu universel par la BRI et les grands détenteurs de capitaux.
    Ne pas se réjouir trop vite d’une monnaie hors de contrôle d’un État et d’une Banque centrale, le pouvoir est toujours quelque part. Le problème c’est quand il n’y a aucun contrepouvoir.

  • c’est pas par hasard que 1 bitcoin vaut 10000 € et c’est pas terminé…

  • L’annonce récente par SuperMariole d’un nouveau QE limité à 20 milliards mais illimité dans le temps (pour ne pas froisser Titine) s’explique :
    – par une première alerte majeure sur la dette allemande dont une récente émission à 30 ans à taux négatif a fait un flop (autrement dit, sans une promesse de rachat immédiat par la BCE, plus personne ne veut de la meilleure dette européenne, ce qui en dit long sur la réalité de ce prétendu marché)
    – par le soutien au nouveau gouvernement italien désigné, dûment eurolâtre comme il convient chez les sachants bien nés au cerveau consciencieusement lavé
    – par la nécessité de compenser la remise gracieuse des taux négatifs aux banques les plus méritantes de la zone, les mieux gérées, soucieuses de la sécurité et de la sagesse de leurs placements (Deutsche Bank, les banques italiennes, grecques, portugaises…)

    D’après quelques analystes, 9 mois suffiront à épuiser le potentiel de rachat de la BC dans le cadre des limites actuelles. C’est donc un tout petit QE limité à 180 milliards (tout de même) qui a été annoncé. Immédiatement, l’euro a fait un bond spectaculaire, marquant l’immense désespoir des marchés paniqués, anticipant déjà l’apocalypse zombie avec la fin des torrents bienfaisants de flouze gratos déversés par Maman BCE.

    Il va falloir que Titine se démène pour inventer une nouvelle hétérodoxie monétaire encore plus hétérodoxe, l’helicopter money (la plaisanterie de Friedman que les faux économistes évoquent sans rire) faisant désormais fonction de nouveau psychotrope à la mode dans les salles de marché, transformées en trance party pour happy fews.

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