Clownerie ministérielle : Bruno Le Maire veut une blockchain publique

Encore une fois, Bruno Le Maire illustre très bien que ce n'est pas parce qu'on ne comprend rien à un sujet qu'on doit rester muet.
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Set of cryptocurrencies on dollar bills by Marco Verch (CC BY 2.0)

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Clownerie ministérielle : Bruno Le Maire veut une blockchain publique

Publié le 11 septembre 2019
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Par h16.

Ah, les cryptomonnaies ! C’est un sujet complexe, qui porte à la fois sur la monnaie, l’économie, les mathématiques, l’informatique et la souveraineté de l’État. Autant d’éléments que maîtrise Bruno Le Maire — BLM pour les intimes —, dont la puissance intellectuelle lui a permis de devenir le plus frétillant des ministres de l’Économie que le pays ait connus. Il était donc malheureusement inévitable qu’il lance (encore !) une réflexion à ce sujet.

De façon intéressante, ce n’est pas la première fois que notre effervescent ministre lance ainsi le sujet dans l’actualité. On se souvient par exemple qu’en 2018, il avait nommé un « monsieur Bitcoin« , dont on soupçonnait dès la nomination que la production en termes de rapports dodus permettrait de placer un nouveau jalon dans la longue histoire des conclusions consternantes d’organismes d’État.

La sortie du rapport en juillet de l’année dernière confirmait globalement l’impression initiale, puisque les conclusions se résumaient essentiellement à vouloir, encore une fois réguler, encadrer et mettre sous la coupe de l’État une technologie dont l’essence même a toujours été de s’en affranchir. Si le rapport du Monsieur Bitcoin n’était finalement pas aussi périplaquiste que le fut le rapport Thery en son temps, il n’en demeurait pas moins assez peu opérationnel, se limitant au mieux à des constats sans intérêt (voire faux pour certains, ne nous leurrons pas), au pire à quelques recommandations qu’on avait déjà lues ou entendues ailleurs. Les animaux politiques apprécieront, les autres pourront donc oublier ce rapport, exemple vraiment standard de ce que la nomenklatura française produit de temps en temps en feignant d’influer sur le cours des événements qui les dépassent de loin.

Mais voilà : six mois se sont écoulés, et il était donc grand temps pour notre BLM national de remettre le sujet sur le tapis. Entre-temps, Facebook a dévoilé son projet de produire sa propre cryptomonnaie, le libra, ce qui n’a pas manqué de déclencher deux types de réactions différentes selon le milieu considéré.

Chez les pratiquants des cryptomonnaies, la lecture du « white paper » (le document technique décrivant le fonctionnement et les objectifs du libra) aura été accompagnée d’un intérêt modéré en ce que le développement d’une telle technologie par un géant comme Facebook en permet sa démocratisation. Malheureusement, les choix techniques de la firme de Zuckerberg, notamment celui d’en faire une cryptomonnaie arrimée à un panier de monnaies étatiques, rendent l’ensemble de l’opération nettement moins crédible. Si l’on y ajoute la façon dont le libra sera piloté par une fondation dans laquelle on retrouve notamment des banques et des organismes de carte de crédit (ces entités-mêmes que les cryptomonnaies entendent dépasser), ainsi que les flous techniques qui entourent la future cryptomonnaie de Facebook, la prudence s’impose.

Prudence qui fut bien évidemment complètement absente dans les déclarations de nos politiciens les plus enfiévrés (qui sont aussi les moins compétents en la matière — ce n’est pas un hasard) : l’apparition de cette monnaie interne à Facebook a rapidement été ressentie comme un véritable affront à la souveraineté des États, laquelle s’exprime notamment par sa capacité de battre monnaie et de spolier gentiment leurs peuples au travers de celle-ci. Une monnaie indépendante des États, fût-elle estampillée Facebook, fût-elle arrimée aux monnaies officielles, est un coin enfoncé dans leur capacité à lever l’impôt, prélever des taxes ou imprimer du billet à rythme soutenu afin d’éponger des dettes contractées pour arroser les électeurs les plus naïfs… Insupportable !

Dans ce contexte, le brave Bruno ne pouvait pas rester les bras croisés. Pour lui, c’est absolument clair, « la France refuse qu’une entreprise privée se dote des moyens de la souveraineté d’un État », scrogneugneu non mais alors. Peu importe que Bitcoin et les autres cryptomonnaies existent déjà et se soient assez voluptueusement passés de toute autorisation auprès de la France ou du petit Bruno lui-même. Pour ce dernier, c’est dit : la France refuse, et puis c’est tout.

Dès lors, il faut agir !

Eh oui : en France, lorsqu’on est ministre, l’incompétence n’est jamais une excuse pour ne rien faire. C’est sans doute armé de ce principe inaltérable même devant les pires déficits budgétaires que Bruno s’est courageusement lancé dans une nouvelle aventure idiote dans laquelle il va tenter de pousser tout le pays. Bien sûr, le résultat sera très évidemment un désastre, mais pour Bruno, encore une fois, ce désastre est préférable à l’inaction : selon lui, c’est sûr, pour contrer la proposition de l’insupportable Zuckerberg, il faut « une monnaie numérique publique émise par les banques centrales qui garantirait la sécurité totale des transactions, leur rapidité, leur simplicité et leur gratuité. »

Vous avez bien lu : selon Bruno, le fait pour une banque centrale d’émettre une monnaie permettrait, de façon quasi-magique, d’en assurer la sécurité des transactions, leur rapidité, leur simplicité et surtout, leur fameuse gratuité. Dans l’imaginaire du petit Bruno, la banque centrale dispose des mêmes pouvoirs que les licornes mythologiques qui, nourries avec de la bonne herbe fraîche introduite à un bout peuvent produire des richesses innombrables à l’autre bout (ou des prouts parfumés et des cacas colorés, au choix).

Dans ce monde parallèle où Bruno s’ébat avec des petits couinements télétubbiesques, il n’existe aucune des catastrophes monétaires régulières sur les monnaies étatiques, depuis les hyperinflations exponentielles jusqu’aux actuelles plomberies financières incestueuses mises en place par la Fed ou la BCE pour éponger les abysses financières de la crise de 2008 (elle-même provoquée par les politiques monétaires débilissimes des années 2000). La perte de plus de 95 % de la valeur du dollar pour cause d’inflation sur les 100 dernières années n’est pas plus un problème.

Partant, on peut décemment demander à ces institutions pourtant catastrogènes de s’emparer à bras le corps de ces cryptomonnaies, c’est évident. Il semble tout aussi évident que les intérêts de l’ensemble des acteurs qui participeront à cette blockchain publique convergeront aussi magiquement que les licornes précédemment évoquées.

Ainsi, les pouvoirs publics auront à cœur — c’est toujours évident — de ne pas défausser leur monnaie (parce que ce n’est pas déjà ce qu’ils font sur une base quotidienne, n’est-ce pas).

Chaque autre participant ne sera que trop heureux que l’ensemble de ses transactions soit enfin accessible à tous les agents de l’État qui ne feront de ces Niagaras d’informations qu’un usage modéré et parfaitement en ligne avec ce qu’on peut attendre de démocratie tirée au cordeau.

En outre, cette cryptomonnaie publique, située sur une blockchain tout aussi publique, ne verra jamais la moindre censure d’aucune de ses transactions : on peut être d’ores et déjà certain que tout le monde y aura accès, tout le temps.

Enfin, la centralisation complète inhérente à l’aspect public de cette géniale invention n’offrira ni « point unique de défaillance », ni aucune opportunité pour l’État de s’immiscer encore plus dans notre vie quotidienne. Ce sera garanti, c’est Bruno qui le dit. Il y aura une charte avec un petit tampon rouge en haut à droite, et une petite licorne en bas à gauche, avec la signature de Bruno en bas au milieu. Garanti.

Cerise sur le gâteau numérique : toutes ces transactions seront gratuites, comme l’école, la couverture sociale ou la sécurité du territoire qui, comme chacun le sait, sont assurées par des armées de bénévoles et de citoyens aussi socialement responsables que baignés de leur naturelle abnégation (sans compter leur horreur de toute rémunération financière, bien pratique pour conserver les comptes de la Nation à l’équilibre budgétaire).

On le comprend : un ministre tente de s’approprier une fois encore une question qui n’appartient surtout pas au domaine de l’État et dans lequel les citoyens ont un intérêt primordial, vital même, à ce qu’il en soit le plus éloigné possible.

Heureusement, l’absurdité des propositions faites et du discours tenu montre que, comme internet il y a plus de 20 ans, les autorités françaises sont parfaitement à la ramasse. C’est plutôt rassurant.


—-
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  • quand je lis public , je pense « Nul et trop cher »

  • Le principe même de la blockchain est la décentralisation, une impossibilité de censure, bref, c’est une attaque directe à la souveraineté.

    Même des projets tels qu’Ethereum n’y arrive pas (leur blockchain a été altérée/censurée par leur chef Vitalik qui centralise de fait une forme de pouvoir). Là où Bitcoin n’a aucun chef (Satoshi Nakamoto a disparu) et n’a de fait sa blockchain jamais pu être censuré/modifiée.

    Alors quand un Etat ou une banque centrale veut lancer sa propre blockchain, on se demande bien pourquoi ? Faire de l’ombre à Bitcoin ? Hahahaha !!

    • Pour l’ethereum je ne sais pas, je ne commenterai donc pas. En revanche je vous suis totalement sur la décentralisation. C’est l’essence des crypto monnaies, et c’est pour ça que ça ne plait pas au petits mussilinis de carnaval qui nous gouvernent.
      Le bitcoin diffère des autres monnaies par le fait qu’elle est une monnaie qui enregistres les transaction sur un ledger public et partagé. En clair il n’y a pas de banque centrale qui valide les opérations. Tout le monde sait quel compte possède combien. C’est le « ledger ». Cette nature décentralisée est consubstantielledu bitcoin est de la valeur du bitcoin. Le bitcoin fournit des services dont l’un d’eux est l’inconfiscabilité de la monnaie (sauf racket sous menace physique) du fait de ce ledger partagé. L’autre service est le fait que comme ce ledger est partagé est que la création de monnaie ne peut pas s’éloigner du protocole de départ. Donc la masse monétaire est stable.
      Ces deux aspects sont précisément ce qu’il y a de différent et d’avantageux sur le bitcoin. L’utilité originale du bitcoin c’est ça. Le fait que ce soit une monnaie électronique n’a rien d’original: Vos euros sont bien électroniques eux aussi our la majorité.

      Donc quand BLM propose une crypto moonnaie centralisée, il vide ces crypto monnaies leur substance. Le cryptage sert justement à ce qu’on puisse travailler en décentralisé, tout en gardant un anonymat relatif et une très forte sécurité. Une crypto monnaie centralisée d’Etat ça apporte quoi? Rien… C’est comme faire une automobile sans moteur. Au mieux, c’est une bonne caisse à savon.

  • Sans compter que la définition de BLM d’une crypto monnaie ne diffère en rien d’une monnaie fiat classique hormis le fait qu’elle n’est qu’électronique. Il semble que BLM ne comprenne pas que la monnaie électronique gérée la banque centrale c’est déjà la norme. Donc concrètement il nous parle de quoi là? Il veut faire concurrence à l’Euro avec une monnaie franco française? On va rire… Enfin, moi, depuis l’étranger, je vais rire…

  • On a Flop Joene. On tient son successeur : Méga Flop Joene.

  • La débilité de nos politiciens ne cesse de m’étonner!

  • Les torrents d’insultes de cet « édito » ne sont pas une analyse et ont plutôt tendance à démontrer un manque de réflexion et d’arguments pour étayer le propos. La blockchain n’est qu’un outil, une technique qu’un État peu très bien utiliser à bon escient, comme outil de stockage et transmission de valeur… Par ex. le Canada expérimente depuis quelques années une blockchain pour émettre des « dollars canadiens numériques » reconnu et échangeables auprès du gouvernement..

    • Le Canada mais le Canada est maitre de sa monnaie ce qui n’est pas le cas de la France

      • Le Zimbabwe et la République de Weimar étaient maîtres de leur monnaie.

      • Reconnaître et permettre d’échanger des token liés à des euros, reconnaissance de dette ou contrat sur une blockchain ne nécessite pas de pouvoir émettre de la monnaie, il suffit que l’État garde en réserve un équivalent (par ex des euros correspondant aux euros émis sur la blockchain), de la même manière que pour les monnaies locales..

    • Si le Canada est à sec de $, on aura du Canada dry 😉

    • @Wag
      Bonjour,
      Dites ? Dans une blockchain classique, n’y a-t-il pas un « verrou » ? En cela qu’un achat doit être validé par d’autres utilisateurs de la blockchain ?
      Si l’Etat met en place une blockchain, il sera maître des clés des du verrou.

      • Oui, même dans ce cas la blockchain a un intérêt car elle permet à tous les participants de vérifier cryptographiquement l’absence de manipulation, et potentiellement de prouver sans doute possible cette manipulation devant un juge.

  • Cette crytpo monnaie publique sent bon la méthode à appliquer dans le but de supprimer le cash, de tracer les achats de tout le monde, et de valoriser (rentabiliser) le prélèvement à la source. Source qui sera encore plus accessible, puis asséchée avec des grandes bassines. ou des gros tuyaux.

  • J’adore l’ours ! Peut-être louche t’il sur l’Italie ? Peut-être veut il une crypto Bercy ? Ou une cccp coin ! Ou encore une ss coin. Je n’ose même pas imaginer la marge de manœuvre que cela offrirait. Je suis certain qu’ils doivent en baver d’avance. Je me demande même si leur projet EU si dégoulinant de miraline ne commence pas par les embarrasser. Que finalement une bonne dictature nationale c’est toujours plus agréable qu’une dictature molle des autres. On y va, on y va. On accélère !

  • h16, je vous aime ?

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