L’influent économiste Olivier Blanchard (ancien économiste principal au FMI) avait prévu, un peu imprudemment, que les taux d’intérêt (réels) allaient rester faibles et inférieurs aux taux de croissance réels pour les 20 prochaines années, et cela pour tous les pays (cf. PIIE, Reexamining the economic costs of debt, O. Blanchard, Nov. 2019). Donc inutile de procéder à un ajustement, la dette publique allait décliner par enchantement.
Pour M. Blanchard, les taux étaient sur une tendance séculaire à la baisse depuis le XIVe siècle… Dans un monde à taux nul (lower bond), la seule politique possible est une politique budgétaire expansive (ce qui a été fait). Dans un nouvel article, Olivier Blanchard reconnaît qu’il n’avait pas prévu la hausse des taux longs.
Plusieurs explications ont été données à la baisse des taux
Dans les livres de macroéconomie, le taux d’intérêt est le résultat de l’épargne et de l’investissement. La baisse des taux provenait d’un surplus d’épargne par rapport à l’investissement désiré. La croissance est insuffisante (stagnation séculaire, Gordon, Summers) pour absorber l’épargne existante. Il y a trop d’épargne dans certains pays (la Chine), ce qui se traduit par des surplus externes (ce qui est faux à l’heure actuelle). Mais comment alors expliquer la hausse des taux ? Y aurait-il brusquement une baisse de l’épargne par rapport à l’investissement, ou une hausse anticipée des investissements par rapport à l’épargne ? Ça semble improbable.
Certains économistes utilisent le concept de taux d’intérêt neutre, soit le taux d’équilibre qui n’entrave pas la croissance, taux d’intérêt et croissance étant liés. Est-ce que la croissance potentielle de l’économie aurait soudain augmenté ?
Cela semble d’autant plus curieux quand le FMI projette une croissance mondiale toujours plus faible. Pour le FMI, le taux de croissance réel pour les pays développés doit passer de 2,7 % en 2022 à 1,5 % en 2023 et 2024. On ne voit pas très bien pourquoi il y aurait un changement soudain dans la courbe de la croissance… (l’intelligence artificielle semble encore bien incertaine et limitée pour justifier des taux de croissance plus élevés).
Apparemment, le marché ne fait pas partie de la boîte à outils de nos professeurs.
Les déficits budgétaires expliquent largement la hausse des taux
Si les taux augmentent, c’est peut-être dû à trois facteurs :
- Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales qui ont augmenté à cause de l’inflation.
- Les taux sont liés aux déficits budgétaires.
- Les déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing.
Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales et de la Fed en particulier.
Or, les taux directeurs ont augmenté rapidement à partir de la mi 2022, pour la Fed, de 1,7 % à 5,3 % en octobre 2023. Les taux du marché (10 yr US bond yield) ont suivi avec un décalage, ils s’élèvent aujourd’hui (le 27 novembre) à 4,46 %.
Étant donné la détermination du président de la Fed à ramener l’inflation à sa cible, les marchés ont intégré que le taux directeur va rester à un niveau élevé (higher for longer), la décennie 2010 où les taux étaient proches de zéro est terminée. Des taux de la banque centrale à 5 % ne sont pas anormaux, ils sont anormaux pour les traders qui ne sont sur le marché que depuis 2009.
Lors des deux crises, la crise financière de 2008 et celle du covid, les déficits budgétaires ont explosé pour la France, l’Italie, l’Espagne, et surtout les États-Unis. Leur augmentation ne s’est pas limitée aux années de récession, 2009 et 2020, mais a continué toutes les années. C’est-à-dire qu’au lieu de faire du keynésianisme (du déficit budgétaire en période de récession) ces pays ont continué à faire du déficit en période de croissance. Pour les États-Unis, le déficit budgétaire moyen après la crise de 2008 a continué au rythme de -6 % par an sur la période 2010-19 et -8 % après la crise liée au covid de 2020, pour la période 2021-23 ; or, le pays n’avait besoin d’aucune impulsion budgétaire.
Les déficits budgétaires se traduisent par l’accroissement de la dette publique (on rappelle que l’augmentation de la dette publique en t est égale au déficit global la même année).
Ces déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing. L’État ne peut plus financer ses déficits par l’émission d’obligations publiques comme à l’époque du covid. Il entre en compétition avec les autres agents privés pour accéder à un niveau de liquidité qui n’augmente pas autant qu’à l’époque artificielle du quantitative easing (crowding out).
Cette compétition entre des besoins de financement de l’État et du secteur privé explique largement la hausse des taux. Or, si les banques centrales sont insensibles au rendement de leurs bons, ce n’est pas le cas des institutions financières qui demandent un term premium (une prime de risque) plus élevée.
Plus les dettes augmenteront et plus les taux à long terme vont croître, ou du moins ne pas diminuer. Il est grand temps pour les États de commencer à réduire leurs déficits, dans les faits, pas en parole.
Les taux vont-ils continuer à augmenter ? Vont-ils baisser ?
Difficile de répondre. Une hausse trop élevée des taux peut entraîner une récession, et les banques centrales devront intervenir pour baisser leurs taux directeurs (à condition que le taux d’inflation ait atteint sa cible de 2 %). Les taux directeurs vont sans doute progressivement baisser néanmoins, le monde des taux zéro est terminé ; elle était dominée par la grande distorsion due au quantitative easing.
Le niveau des taux longs va dépendre du déficit des États-Unis. Aujourd’hui, il tourne autour de 7 % du PIB sur une base annuelle. L’Office of Budget ne prévoit pas de réduction des déficits sur les prochaines années, ce qui ne peut qu’augurer des taux élevés pour longtemps.
Si Trump était réélu, le déficit ne serait pas réduit et les États-Unis se dirigeraient vers une dette incontrôlable. On aura une hausse de l’offre de bons du Trésor pour financer des déficits énormes, une demande pour la dette américaine réduite de la part des pays étrangers qui sont sceptiques sur les bons américains, et un arrêt de la politique du quantitative easing, tous ces facteurs militent en faveur de taux longs élevés et durables.
« Si Trump était réélu » …
Belle expression pour explique que Biden soit réélu ou Trump élu à nouveau, ce sera bonnet blanc et blanc bonnet pour le déficit US !
Remarquable à-propos.
Les taux longs viennent de baisser très sensiblement aux States et en Europe…
A des taux US entre 5.27% pour le 1 an, et 4.47 pour le 10 ans, je doute qu’on soit tirés d’affaire. Et avec un peu de chance on va se taper un contre-choc pétrolier de derrière les fagots.
Le 10 ans dépassait 5 % il y a peu.
Les taux vont continuer à refluer.
Ce qu’on va récolter, 2024 et suivantes ? Une croissance atone (litote).
Si le pétrole baisse, ce sera une (maigre) consolation.