Loi Elan et assemblées générales : de belles promesses et des décrets qui font flop !

L’ambition de nos politiques d’introduire du numérique en copropriété, au travers de la loi Elan, semble faire donc un immense flop !

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Immobilier à Paris by Luc Mercelis(CC BY-NC-ND 2.0)

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Loi Elan et assemblées générales : de belles promesses et des décrets qui font flop !

Publié le 9 juillet 2019
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Par Nafy-Nathalie.

En 2017, Jean Pisani-Ferry, Commissaire général de France Stratégie expliquait à propos du marché du logement que « Comme sur les autres marchés qui ont vu l’irruption du numérique bouleverser les usages, les pouvoir publics doivent lever les freins à l’innovation afin de permettre aux acteurs les plus dynamiques et aux consommateurs de tirer pleinement parti des progrès technologiques ».

Les syndics n’ont pas attendu l’État pour introduire de la modernité

Mettre du numérique en copropriété ? Pourquoi pas ! Les administrateurs de biens sont friands de toutes ces améliorations qui facilitent leur quotidien.

Dans les années 90, on trouvait encore des minitels et des machines à écrire dans les cabinets. On envoyait des fax et parfois des télégrammes en cas d’urgence. Les secrétaires géraient le courrier et le traitement des convocations.

Puis Internet est arrivé avec les mails, word aussi, le téléphone portable également et cela a été le début de la révolution. La gestion du courrier a pris moins de temps. Les convocations ont été externalisées. Les assistantes ont remplacé les secrétaires, devenant plutôt des gestionnaires sédentaires. De la même manière, les factures ont été dématérialisées, l’intégration en comptabilité externalisée et l’aide comptable ont disparu au profit d’un comptable devenant expert et ainsi de suite.

Maintenant on parle d’extranet, de communauté de copropriétaires avec des services de conciergerie. Les ordres de service se font en direct dans les immeubles à partir de son téléphone, les entreprises peuvent s’en auto-saisir. Tout se fait en ligne avec une vision quasi immédiate des clients qui ne sont plus juste demandeurs et passifs mais acteurs s’ils le souhaitent.

Les syndics et leurs clients ont les mêmes objectifs : une gestion plus efficace à un coût moindre. Ils intègrent donc volontiers toutes les innovations qui le leur permettent.

Elan, une loi espérée par tous

La loi Elan, qui est la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, a été promulguée avec l’idée de permettre encore plus l’utilisation de technologies. Les professionnels et les copropriétaires ont accueilli cette loi avec intérêt. Elle a amené différentes idées intéressantes comme celles des réunions en visioconférence ou encore du vote électronique. Ces dispositions étaient inapplicables sans les décrets qui paraissent depuis quelques temps au fil de l’eau.

Le décret sur la mise en ligne des pièces est paru il y a quelques semaines et est commenté dans cet article de Contrepoints. Un autre paru le 27 juin dernier traite de différents points et se trouve bien fourni. Ce billet se limite volontairement à traiter des dispositions relatives aux assemblées générales.

Information sur les dates de convocation aux assemblées générales

L’article 3 du décret indique que :

« Sans que cette formalité soit prescrite à peine d’irrégularité de la convocation, le syndic indique, par voie d’affichage, aux copropriétaires, la date de la prochaine assemblée générale et la possibilité qui leur est offerte de solliciter l’inscription d’une ou plusieurs questions à l’ordre du jour. L’affichage, qui reproduit les dispositions de l’article 10, est réalisé dans un délai raisonnable permettant aux copropriétaires de faire inscrire leurs questions à l’ordre du jour. »

Passons rapidement sur le fait que nos politiques traitent les copropriétaires en mineurs incapables de gérer seuls l’information de la récurrence d’un rendez-vous annuel. Arrêtons-nous plutôt sur le postulat que la connaissance suffisamment en amont de la date d’une réunion permet au plus grand nombre d’y assister plus facilement.

L’idée semble donc bonne mais reste cependant inaboutie. Le gouvernement laisse en effet le calendrier d’information à l’appréciation du syndic au lieu de l’imposer en évoquant un délai raisonnable. Il se refuse aussi à introduire une sanction en cas de non-respect, ce qui transforme immédiatement l’obligation créée en une vague incitation sans grand intérêt puisque l’on sait par avance qu’elle a peu de chances d’être respectée.

Enfin, dans une loi traitant du numérique, au moment où l’État mène un plan national pour réduire les déchets, que les syndics mettent à disposition de leurs clients des extranets, communiquent avec eux par mail ou sms, notre gouvernement, lui, ne trouve rien de mieux que d’imposer un affichage dans les parties communes des immeubles.

Le décret aurait pu imposer un affichage numérique. Il ne le fait pas. Il est évident que peu de copropriétaires seront d’accord pour financer volontairement un tableau numérique. S’il se réalise, l’affichage sera donc papier et chacun jugera de l’incongruité de pousser à retourner vers une pratique quasi moyenâgeuse par le biais d’une loi dont la modernisation est l’ambition.

Participation à distance aux assemblées générales

Permettre à chacun de pouvoir assister aux réunions même en étant éloigné était extrêmement ambitieux. Le décret propose que la disposition s’applique de la manière suivante :

« Art. 13-1.-Pour l’application de l’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965, l’assemblée générale décide des moyens et supports techniques permettant aux copropriétaires de participer aux assemblées générales par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ainsi que des garanties permettant de s’assurer de l’identité de chaque participant. La décision est prise sur la base de devis élaborés à cet effet à l’initiative du syndic ou du conseil syndical. Le syndicat des copropriétaires en supporte les coûts. »

« Art. 13-2.-Le copropriétaire qui souhaite participer à l’assemblée générale par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique en informe par tout moyen le syndic trois jours francs au plus tard avant la réunion de l’assemblée générale. »

Difficile de ne pas sourire à la lecture de ces articles. Le gouvernement semble ignorer que la plupart des réunions ne se déroulent pas avec la sérénité qui permettrait à chacun de prendre part au débat et au vote à distance. Impossible d’imaginer, par exemple, gérer une réunion avec une centaine de copropriétaires physiquement présents et 50 copropriétaires en visioconférence qui seraient tous indisciplinés ?

A priori, il ne l’imagine pas davantage que les professionnels et, sans doute conscient du côté usine à gaz de son ambition, il a promulgué un décret qui l’air de rien en gomme les effets les plus pernicieux.

En effet, il soumet la participation à distance à l’accord de la collectivité à qui il fait aussi financer le dispositif. Si la collectivité est généreuse, il est facile pourtant d’anticiper qu’elle a ses limites et qu’elle refusera la plupart du temps de payer pour quelques uns qu’elle jugera défaillants et auxquels il reste toujours la possibilité de renvoyer un pouvoir avec intention de vote.

Ensuite, le législateur laisse la responsabilité de l’établissement des devis au syndic ou au conseil syndical, ce qui permet à l’un et l’autre de ne surtout rien faire du tout.

La question logistique semble également ignorée par des politiques ignorants du métier qu’ils voudraient révolutionner. Les assemblées générales ne se tiennent pas toujours dans des salles avec le réseau, le calme et le confort nécessaires permettant une participation à distance. Pour des questions de coût, elles sont souvent organisées dans des salles paroissiales sans réseau internet, des sous-sols, des halls, des parkings, des jardins, voire des cafés bruyants.

Dans le même esprit, demander aux copropriétaires souhaitant bénéficier du dispositif de se signaler dans un délai de 3 jours avant une réunion, alors que le lieu est déjà défini est absurde. Tant qu’à fixer un délai, il aurait fallu faire les choses bien et imposer à la fois un calendrier à l’obligation d’affichage et un délai, avant le départ de la convocation, pour signaler son souhait de participer à distance, de manière à ce que la réunion puisse se tenir le cas échéant dans un endroit adapté.

Enfin, il n’interdit pas l’élection au bureau de l’assemblée d’un copropriétaire non présent physiquement ; se pose alors la question de la réelle capacité d’un président de gérer une assemblée générale à distance.

Pouvoirs en blanc

Un article 15-1 est introduit :

« Art. 15-1.-Le syndic qui reçoit, en application du troisième alinéa du I de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965, un mandat avec délégation de vote sans indication du nom du mandataire, remet ce mandat en début de réunion au président du conseil syndical afin qu’il désigne un mandataire pour exercer cette délégation de vote. En l’absence du président du conseil syndical ou à défaut de conseil syndical, le syndic remet aux mêmes fins ce mandat au président de séance désigné par l’assemblée générale. »

Cette disposition était supposée résoudre la problématique des pouvoirs en blanc reçus par le syndic mais indistribuables par lui pour éviter une influence indirecte sur les décisions prises. L’intention est donc louable à première vue.

Avec ce décret, leur distribution au président du conseil syndical est autorisée sous réserve qu’il y en ait bien un et qu’il soit présent lors de la réunion. À défaut, le décret précise que le destinataire des pouvoirs doit être le Président de l’assemblée. C’est là que le dispositif se corse très franchement.

La jurisprudence considère en effet qu’une décision prise sans la comptabilisation de tous les pouvoirs reçus est nulle. L’élection du président de l’assemblée est le premier vote. Vous percevez le paradoxe de la loi ? Comment est-il donc possible d’élire valablement un président sans lui remettre avant son élection des pouvoirs qu’il est censé ne pouvoir posséder qu’une fois élu ? Sacré casse-tête que chacun reste libre de démêler !

Rédaction du procès verbal

L’article 17 dispose principalement que :

« Le procès-verbal précise, le cas échéant, si les mandats de vote ont été distribués par le président du conseil syndical ou par le président de séance dans les conditions prévues à l’article 15-1. »

« Les incidents techniques ayant empêché le copropriétaire ou l’associé qui a eu recours à la visioconférence, à l’audioconférence ou à tout autre moyen de communication électronique de faire connaître son vote sont mentionnés dans le procès-verbal. »

En plus de la gestion de la réunion et des débats, le syndic se retrouve donc à devoir être comptable de la restranscription par le menu de tous les incidents techniques se déroulant durant la réunion. Un gestionnaire seul ne pourra pas tout prednre en charge et cette gestion des incidents peut prendre du temps. Au lieu de devenir plus attractives, les assemblées générales risquent de devenir au contraire plus longues, pénibles et coûteuses.

Réunir un ensemble de personnes dans un même lieu est un exercice difficile. Si les copropriétaires ne viennent pas aux réunions c’est souvent parce que leur agenda ne leur permet pas ou qu’ils ne le souhaitent pas. Le décret risque d’accentuer le problème auquel il avait l’ambition de remédier.

Le législateur aurait pu introduire la possibilité de réunion dans un format différent. Elle pourrait être par exemple filmée pour permettre aux absents de visionner et de voter sur une période de plusieurs heures ou jours après. Le syndic et les membres du bureau pourraient se retrouver ensuite pour finaliser le compte-rendu de réunion. Il n’explore pas cette piste ni les autres d’ailleurs.

Elan, une loi qui fait flop

L’ambition de nos politiques d’introduire du numérique en copropriété, au travers de la loi Elan, semble faire donc un immense flop ! Beaucoup d’annonces spectaculaires ont été faites au moment de la présidentielle et ont été reprises dans la loi Elan mais sont impossibles à mettre en œuvre. Elles se retrouvent quasi vidées de substance par un gouvernement dans l’obligation de faire marche arrière mais se trouvant dans l’incapacité de l’admettre officiellement.

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  • Une spécificité française : « Ciel ! Il n’y a pas de loi ! Faisons-en vite une ! Et si nous ne savons pas quoi y mettre, mettons-y n’importe quoi. »

    • Une autre spécificité Française en matière d’incohérence : la possibilité offerte au syndicat des copropriétaires de refuser systématiquement des travaux pourtant indispensables et toujours remis aux calendes Grecques, dans un souci absurde d’économie immédiate, ce qui ne peut que renchérir considérablement le coût à venir de travaux devenus ainsi obligatoires.
      Le législateur ne devrait pas laisser au syndicat des copropriétaires la possibilité « de ne rien faire du tout » puisque la responsabilité du syndic est mise en jeu sur le plan de la sécurité et de la conservation des parties communes.
      Beaucoup de copropriétés se dégradent trop souvent en raison de la négligence ou de décisions incohérentes du syndicat des copropriétaires quant à un entretien régulier des parties communes.
      Le syndic qui n’a aucun pouvoir de police est alors impuissant face à cette inertie qui en aucun cas ne devrait exister.
      La sauvegarde des parties communes représente un enjeu plus important que la « simple » organisation d’ Assemblées Générales !

  • Pourquoi donc faut-il une loi pour apporter des « idées intéressantes »?

  • Le gouvernement ne fait pas marche arrière !

    Il recule pour prendre de l’élan…

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Je laisse ensuite les plus courageux d’entre vous prendre connaissance de la proposition de loi déposée le 21 février 2023.

 

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