Par Rami Trabelsi1.
Avant de s’orienter vers les nouvelles élections législatives et présidentielle qui se dérouleront en octobre et novembre 2019, un bilan de la période transitoire s’étendant de 2011 à 2019 est nécessaire.
Ce bilan s’établit aux niveaux institutionnel, politique et socio-économique.
Un État en phase de transition démocratique
Sur le plan institutionnel, contrairement aux voix qui s’élèvent en Tunisie, la transition démocratique est loin d’être achevée. Elle est au contraire en situation de blocage.
L’histoire montre que la transition démocratique est un parcours long précédant sa consolidation ; mais dans ce contexte régional et international, la situation de blocage du pays en interne constitue une vraie menace dans le cheminement de la Tunisie vers un État de droit jouissant pleinement de sa souveraineté.
Ce blocage se manifeste à plusieurs niveaux :
Premièrement, par le non-respect de la constitution du 26 janvier 2014. L’assemblée du peuple a échoué à plusieurs reprises à élire les membres de la Cour constitutionnelle suite à un bras de fer entre les partis politiques. Cet échec revient en premier lieu aux critères d’élections des membres, loins d’être basés sur la compétence mais sur l’appartenance politique. Cette institution, pierre angulaire de l’État de droit, risque de ne pas voir le jour à cause des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale.
Sans l’établissement de la Cour constitutionnelle, la sécurité juridique des citoyens et des justiciables est en danger.
Insécurité juridique
Deuxièmement, l’I.V.D (Instance Dignité et Vérité), l’instance mise en place par la loi organique 2013-53 du 24 décembre 2013 relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son organisation, a achevé ses travaux et publié son rapport final d’activité après une prolongation d’une année.
Elle a raté sa mission historique de traiter la question de justice transitionnelle, élément essentiel dans tout processus de transition démocratique. Elle a fait manquer à la Tunisie une occasion en or d’être un modèle de justice transitionnelle comme d’autres pays, à savoir l’Afrique du Sud ou le Maroc.
Cet échec trouve ses origines, d’une part, à l’Assemblée nationale constituante dans l’élection de ses membres qui ne s’attardent pas à présenter leur démission dès la prise de leur fonction. D’autre part, une mauvaise gestion flagrante et sans précédent au sein de l’instance a conduit à un échec qui va engendrer des problèmes dans le futur, ce qui ne va pas tarder à remonter en surface.
Un calendrier bouclé à la hâte
Enfin, sur le plan politique, la cartographie de la scène politique est en train de se ré-organiser à seulement quatre mois des élections parlementaire et présidentielle et à l’approche imminente des campagnes électorales.
Actuellement en Tunisie, on compte 218 partis politiques, sachant que les élus à l’Assemblée du peuple sont au nombre de 217…
Ces deux chiffres illustrent bien que le problème est d’abord celui de la gouvernance face aux priorités des citoyens en termes de paix et de justice sociale, de justice fiscale ; et aussi de son incapacité à mettre en place un pacte social garantissant une vraie stabilité politique.
Au niveau du pouvoir législatif, le parlement se trouve déstabilisé par les résultats des élections de 2014. Le parti Nidaa Tounes gagnant des élections a perdu sa première place au profit du parti islamiste Ennahda. Cette métamorphose au sein du parlement a provoqué un ralentissement, voire parfois un dysfonctionnement total du pouvoir législatif.
Au niveau du pouvoir exécutif, de 2014 à 2019, la Tunisie a connu au moins quatre gouvernements en l’absence de programme politique clair et réalisable.
Le consensus entre les partis au pouvoir est un échec. La politique est un discours de résultats et non des slogans.
La preuve de cet échec est l’hémorragie des démissions au sein des conseils municipaux un an après les élections municipales du 6 mai 2018.
Sur le plan économique et social, toute période de transition démocratique ne peut réussir sans une situation économique et sociale stable.
Les gouvernements qui se sont succédé après 2014 sont loin de pouvoir rétablir la paix sociale et ont été à l’origine de situations de crises sans fin.
Le rapport n° 31 de la Cour des comptes de l’année 2018 dénonce un bilan négatif à plusieurs niveaux.
Par ses décisions non rationnelles, le gouvernement n’a pu améliorer la situation économique du pays ; au contraire, le rapport de la Cour des comptes évoque un déficit budgétaire sans précédent des entreprises publiques à cause d’une mauvaise gouvernance et une absence de visibilité, de stratégie claire, et de l’incompétence dans la gestion de crise.
Ce résultat reflète l’absence d’un projet national capable d’établir la croissance économique du pays.
La crise économique est l’une des causes principales de la crise politique du pays, laquelle a poussé l’U.G.T.T, sa première force syndicale, à entamer un long parcours de négociations en 2018 afin de mettre fin au gouvernement en place. Mais celui-ci est allé jusqu’au terme de son mandat, défendu uniquement par les partisans du chef du gouvernement et du parti islamiste Ennahda.
Des efforts vers la démocratie et la paix
Toutefois, cette situation ne peut pas masquer deux aspects positifs.
- l’effort de l’État dans sa lutte contre le terrorisme à plusieurs niveaux, ainsi que l’évolution des réussites des ministères de l’Intérieur et de la Défense dans ce processus face à ce danger international.
- le potentiel de la société civile tunisienne dans son combat pour atteindre et réaliser les principes de la transparence, l’égalité et le respect de la loi.
La scène politique en Tunisie connaît sans doute une phase de mutation qui va influencer les résultats des prochaines élections.
1 319 204 : c’est le nombre des nouveaux électeurs inscrits pour les élections de 2019 au moment où ces lignes sont écrites. La guerre électorale est lancée, et la dernière ligne droite ne manquera pas de surprises.
- Conseiller juridique et analyste en géopolitique. ↩
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