Par Jacques Garello.
Un article de La Nouvelle Lettre
Voilà des années que les économistes libéraux soutiennent une évidence : la durée légale du temps de travail hebdomadaire est contraire à la liberté contractuelle et à l’indispensable flexibilité de la production. Elle diminue la productivité et crée du chômage. Mais inspirée par l’idéologie de la lutte des classes, elle prétend défendre le salarié contre la rapacité de l’entreprise.
L’Union européenne ne pouvait donc faire moins que fixer à 48 heures par semaine le temps maximum de travail. Mais la France a pu faire mieux encore : le système social le plus performant du monde, grâce en particulier à Martine Aubry, a inventé les 35 heures et le candidat Macron s’est engagé à n’y point toucher. De même ne toucherait-il pas à l’âge légal du départ à la retraite : 62 ans. Emmanuel Macron se voulait « libéral social » : libre entreprise corrigée par la justice sociale — de quoi séduire « en même temps » droite et gauche.
Catastrophe économique
Mais voilà maintenant quelques années que ces deux rigidités arbitraires ont débouché sur une catastrophe économique (des entreprises pénalisées dans la compétitivité mondiale), sociale (chômage structurel massif) et psychologique (aversion croissante au travail) mais aussi sur l’explosion du système de retraites par répartition. Le magicien de l’Élysée a heureusement trouvé le moyen de conserver et les 35 heures et la retraite à 62 ans sans qu’elles ne portent préjudice aux travailleurs et entrepreneurs français. Le travail doit être remis à l’honneur : une nouvelle morale s’impose désormais. Travaillons plus.
En effet la France est le pays où non seulement le chômage massif demeure (on y compte depuis des années 9 % de chômeurs en dépit des arrangements statistiques) mais où le taux d’activité est très faible, ce qui signifie que la proportion de Français au travail dans la population totale en âge de travailler (15-64 ans) est inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE (71 %), avec une particularité dramatique : pour la population des 55-64 ans le taux est de 51 % contre plus de 70% chez nos compétiteurs européens.
Mais en quoi notre Président est-il magicien depuis dix jours ? Il a repris le principe de Nicolas Sarkozy : au-delà de 35, les heures supplémentaires sont payées davantage, mais surtout sont partiellement exemptées d’impôts et de cotisations. L’État récompense le travail. Cela nous mène aux 62 ans. Pour retarder l’inévitable explosion du système de retraites actuel les salariés ont intérêt à faire davantage d’heures supplémentaires, car ce pécule leur permettra de souscrire à la retraite par points.
Contre la retraite à points
Je me bats depuis des années contre la retraite par points. J’ai croisé le fer avec Jacques Bichot (prophète avec Madelin de la retraite par points) dans les colonnes de La Croix. D’abord pour une raison évidente : le futur retraité sait où il en est du capital-points qu’il accumule sa vie active durant, mais il ne connaît en rien la valeur de sa pension quand il partira à la retraite puisque cela dépendra de la valeur du point.
Il pourra toucher des haricots si la courbe de la croissance économique s’inverse, si l’inflation est là et plus encore si la pyramide des âges ne s’inverse pas. Voici maintenant où est le tour de magie : quand le salarié atteindra 62 ans, il s’apercevra que, sauf miracle, le capital-points et surtout la valeur en euros du point ne lui offrent qu’une pension (en termes réels) très inférieure à ses attentes.
Il a alors une solution : continuer à prolonger son activité afin de grossir son capital-points pour compenser la baisse de la valeur monétaire du point. Le voilà donc parti vers 64, 68 ou 70 ans, comme beaucoup d’autres Européens. Mais politiquement Emmanuel Macron aura tenu ses promesses. Par ailleurs, le même salarié, dès avant 62 ans, peut sagement abonder son compte de capital-points en faisant davantage d’heures au-delà des 35 légales ; là encore Emmanuel Macron aura respecté ses engagements.
Je ne sais comment vous jugez l’affaire. À mon sens, il s’agit d’un tour de passe-passe nouveau, après tous ceux que nous a déjà joués notre cher Président.
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