Google : l’Intelligence artificielle victime des passions identitaires

Le comité d’éthique Google en charge de l’Intelligence artificielle n’a duré qu’une semaine. Les querelles identitaires ont eu raison de lui.

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Googleplex By: Robbie Shade - CC BY 2.0

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Google : l’Intelligence artificielle victime des passions identitaires

Publié le 12 avril 2019
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Par Frédéric Mas.

Google a abandonné son comité d’éthique en charge de l’Intelligence artificielle à peine une semaine après sa création. Le géant de la Silicon Valley l’avait composé afin de garantir un développement responsable de ses nouvelles technologies.

Dès les premières annonces de l’initiative, des milliers d’employés de l’entreprise avaient protesté contre l’inclusion au sein du comité de Kay Coles James, la présidente de la célèbre fondation conservatrice Heritage Foundation. Cette dernière a notamment été accusée d’être hostile aux LGBTQ, et d’avoir tenu des propos transphobes. Elle aurait en particulier déclaré que les femmes transgenres étaient « biologiquement des hommes ». La vague d’indignation a rapidement touché la composition du comité, et certains membres se sont à leur tour désistés pour éviter d’être pris dans les tumultes de la polémique.

En accueillant dans son comité d’éthique sur l’Intelligence artificielle une personnalité conservatrice, la direction de Google cherchait à éteindre la polémique créée après le renvoi de son ingénieur James Damore. Celui-ci avait été congédié suite à la rédaction d’un rapport sur le nombre de femmes dans la tech qui avait été jugé sexiste au regard de la charte éthique de Google. L’affaire avait révélé l’importance de l’idéologie « progressiste » au sein de la culture de l’entreprise, au sens particulier de la promotion de certaines minorités au nom de l’inclusion et de l’égalité.

Seulement, la domination idéologique quasi-exclusive de cette forme de progressisme est ressentie par beaucoup d’acteurs de la tech comme une chape de plomb difficile à supporter. Ainsi, le libertarien Peter Thiel, créateur de Paypal et à la tête de Palantir, a choisi de quitter la Silicon Valley pour échapper au climat inquisitorial entretenu par ses gardiens vigilants.

La nomination d’une personnalité conservatrice au sein du board de Google sur l’IA devait éteindre la polémique. Elle n’a fait que l’enflammer.

Pluralisme, rationalité et controverses

La crise identitaire qui traverse les États-Unis a dégénéré en véritable guerre culturelle depuis l’élection de Donald Trump. L’esprit de faction qui contamine autant la droite que la gauche rend le dialogue raisonnable de plus en plus difficile à établir, comme ont pu le constater dans le domaine de l’éducation les psychologues Greg Lukianoff et Jonathan Haidt1.

En réaction, des progressistes plus classiques, des conservateurs et des libéraux ont protesté au nom de la liberté d’expression et des bienfaits de la controverse raisonnée. Peter Thiel, qui a plaidé pour davantage de pluralisme idéologique dans le domaine des nouvelles technologies, soulève ainsi un problème fondamental : comment revenir à un dialogue rationnel entre des groupes aux passions morales si violemment opposées ?

Pour le philosophe John Kekes, la nature même des valeurs au sein du monde social est conflictuelle. Parce que les ressources sont rares, les conduites et les désirs différents, voire incommensurables entre eux et incompatibles, il est essentiel de trouver un terrain d’entente éthique relativement neutre qui puisse servir de pivot à l’ensemble des conceptions de la vie bonne acceptables au sein d’une démocratie libérale2. Traditionnellement, les libéraux cherchent à résoudre ce problème en privilégiant la justice sur les conceptions subjectives de la vie bonne, c’est-à-dire l’adoption des procédures institutionnelles et juridiques pour résoudre les conflits et organiser la coopération sociale, plutôt que de s’en remettre à telle ou telle écurie morale pour dominer l’ensemble du corps politique.

Cela suppose la culture publique de la raison comme élément fédérateur et modérateur, et la nécessité, rappelée récemment par Steven Pinker, de revenir à l’esprit humaniste et rationnel des Lumières. Plus largement, le modèle de la controverse scientifique pourrait être un modèle à suivre : c’est de la confrontation des points de vue que jaillit la vérité, et non de la défense des intérêts de groupe.

Le consensus moral paraît difficile à obtenir concernant l’Intelligence artificielle aujourd’hui. L’Intelligence artificielle forte posera plus de problèmes encore, et demande dès aujourd’hui une préparation dans le domaine éthique que personne ne semble capable de fournir. Faudra-t-il une catastrophe pour redevenir raisonnables ?

  1. The Coddling of the American Mind, Penguin, 2018.
  2. John Kekes, The Morality of Pluralism, Princeton, 1993.
Voir les commentaires (25)

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  • Cela ne doit pas etre drole tous les jours de vivre aux usa !
    Un comite d’ethique dans une societe multiculturelle s’occupant d’intelligence artificielle ou pas discutant du sexe des anges males femelles transgenres sans genres ,il y a de quoi en deplumer plus d’un ou une ou ?…

  • Je ne vois pas le rapport entre l’intolérance congénitale du marxisme culturel, les LGBT, et les passions « identitaires ».

    • Traduction directe et pas inappropriée de « identity politics », je pense. « Communautariste » ou « intersectionnel » conviendraient, ou
      sinon le sigle SJW simplifie tout… Mais implique une critique.

  • C’est vrai qu’en France c’est mieux, avec, par exemple, des lois très sélectives concernant les génocides, dont il y a deux sortes : ceux qu’on ne peut absolument pas mettre en cause ( Shoah, Arméniens, … ) et ceux qu’on peut gentiment nier ( Holodomor, grand bond en avant, Khmers rouges, Ethiopie de Mengistu, … ). Et là, il ne s’agit pas de sexe des anges, mais de millions de vies humaines. Où est le comité d’éthique qui dira que c’est inacceptable ?

    • La France est profondément « de gauche » (l’Éducation Nationale a été créée, configurée et organisée pour ça).

      En conséquence la France fonctionne selon le principe du « Bien » et du « Mal »…

      Un comité d’éthique pluraliste en France est juste impensable. La « Gauche » est là pour dire le Bien.

  • l’intelligence artificielle a plus de gens pour en parler, que de gens en mesure de savoir comment çà marche..
    L’autre jour je regardais une graine de courge , sèche pesant 0,2g
    une fois mise en terre et convenablement arrosée, elle fabrique ses propres panneaux solaires,puisun racinaire capable de la nourrir et de se développer jusqu’à fabriquer une fleur , se faire polliniser par une autre courge via un insecte, et fabriquer un fruit plein de graines qui sécheront a leur tour..
    Je peux donc en observant le phénomène parler d’intelligence végétale, je suis incapable d’en connaitre vraiment le mécanisme..
    mais je peux en parler..
    on trouvera toujours quelqu’un pour arguer de la couleur verte est inappropriée.. alors

  • La liberté et la raison ont été à la base de la covilisation occidentale. Les deux sont menacées par un progressisme de gauche qui n’est rien d’autre qu’un néo-marxisme.

    • Oui, mais en fait le marxisme culturel a toujours accompagné le marxisme, car pour remplacer la culture d’un peuple par la culture prolétarienne de « l’homme nouveau », il faut d’abord détruire la culture traditionnelle du dit peuple.

    • la rigueur universitaire et la logique ont été bannies de certaines universités au motif que ce sont des privilèges de mâles blancs … ça commence à faire peur !!

    • Entre le progressisme de gauche et le conservatisme de droite, mon coeur balance… Et si j’envoyais les deux à la poubelle ?!

  • Un consensus moral sur la bêtise artificielle serait probablement beaucoup plus facile à obtenir.

  • Certains commentaires ici me font bien rire : outre le fait qu’ils ne comprennent pas les enjeux induits par l’intelligence artificielle, ils critiquent les individus qui décident librement d’en parler, de définir au moins pour eux un cadre de réflexion, des limites, etc. Il ne fait pas bon d’être libre en Libéralie.

    • « les individus qui décident librement d’en parler, de définir au moins pour eux un cadre de réflexion, des limites, etc.  »
      Non?! C’est ce que vous avez compris de l’article?
      Vous trouvez que ces individus décident « librement » d’en parler? Votre définition du « librement » est toujours orientée. Il ne vous apparaît pas qu’ils décident surtout avec qui ils ne veulent pas en parler… Pratique quand on veut orienter « librement » un débat. 🙂
      C’est ce que critique principalement la plupart des commentaires.

  • Comme beaucoup de ces « comités », on se porte mieux quand ils n’existent pas.
    Et cela coûte moins cher.

  • trop tard !! le phénomène a déjà traversé l’Atlantique , il paraîtrait que l’IA est sexiste , surtout parce qu’elle a été développée par des mâles blancs .
    https://www.nouvelobs.com/societe/20190412.OBS11456/l-intelligence-artificielle-reproduit-les-schemas-sexistes-mais-ca-peut-s-arranger.html

  • Oui, c’ est devenu plus qu’ évident, il va falloir une catastrophe pour devenir raisonnable.

  • Pour ce qui est de Google, son moteur de recherches est loin d’être neutre. Prenez la sélection des actualités tous les matins, elle est très orientée bobos écolos gauchos.
    J’ai commencé à l’analyser lorsque Trump a été élu.
    Tous les jours, on me proposait au minimum un article anti Trump parfois censé, parfois complètement débile et non objectif.
    A la fin, je me suis posée des questions.
    Et je me suis amusée à me faire des revues de presse tous les matins y compris en allant piocher dans les presses étrangères.
    Conclusion : un matraquage google assez incroyable dans les domaines suivants : anti Trump, anti Poutine, pro écologiste version khmer vert, marxiste, pro migrants, altermondialiste et tiers mondiste.
    Je ne regardais déjà plus les intox à la TV, vous savez ce truc faussement appelé les infos. Maintenant, je ne laisse plus un moteur de recherches me suggérer quoi lire en matière d’infos.
    Et si vous avez des questions objectives à poser sur le net sur quelque sujet que ce soit, vous avez intérêt à réfléchir à vos mots clés, comme à aller voir le net anglo-saxon plus libre et plus riche.
    Et systématiquement, lorsque vous lisez quelque chose, demandez vous qui l’écrit, quelles sont ses compétences, et si c’est un pseudo, comment peut-on le juger en examinant un panel de ses écrits.

  • La morale est l’ennemie de l’intelligence.
    La morale factice est l’ennemie de l’intelligence artificielle.

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