L’eSport de compétition, dérivé du sport classique, va depuis plusieurs années bien au-delà de la retranscription de sports en jeux vidéos. Les structures sportives comme la Ligue 1 ou la NBA outre-Atlantique ont commencé par lancer leurs ligues d’eSport basées sur les jeux de football (FIFA) et de basket-ball (NBA 2K). Si l’eSport en restait là, les ligues et fédérations maîtriseraient le sujet et en tireraient uniquement du profit. Or, l’industrie eSportive se développe très vite, et ce autour de jeux totalement différents du sport.
Plaçons d’abord le contexte. L’eSport et Twitch, la plateforme de visionnage où il s’est développé, c’est 114 millions d’heures visionnées en une semaine sur les 10 jeux les plus populaires. Une masse de spectateurs impressionnante qui attise les convoitises des grands acteurs du sport mondial. Mais l’eSport professionnel permet surtout aux joueurs d’empocher des montants équivalents voire supérieurs à ceux des sportifs. Sur l’année 2018, les dix pays ayant engendré le plus de revenus en compétition cumulent plus de 288 millions de dollars.
À la télévision également, le phénomène eSport séduit de plus en plus. En témoigne la volonté des dirigeants de proSieben Sport, diffuseur allemand, à « élargir [leurs] diffusions consacrées au eSport », étant donné que « Les audiences pour l’eSport sont, à titre de comparaison avec les moyennes de la chaîne, plutôt bonnes.» Cependant, les chaînes télé ont tellement investi ces derniers temps dans le sport dit traditionnel, qu’il ne leur reste que peu de moyens financiers pour ce qui n’est bien souvent qu’une tendance aux yeux de certains décideurs. On comprend alors que, si l’eSport a désormais du temps d’antenne sur les chaînes de sport, c’est au détriment de certains sports auxquels il grignote de l’espace éditorial. Il représente donc un danger potentiel pour ces fédérations de sport, qui ne veulent pas perdre ni visibilité, ni argent.
Par exemple, la LFP ou la FFF, elles, jouissent d’une délégation de puissance publique pour organiser les événements autour du football et de ses dérivés. Cela les contraint évidemment à ne pas sortir de ce périmètre. Tant que les compétitions d’eSport restent dans celui-ci, ces instances peuvent les gérer. Or, ce n’est plus du tout le cas, l’eSport allant bien au-delà. Les clubs pour leur part, sont des groupes et ceux-ci détiennent des équipes, comparables aux filiales d’une entreprise, qui peuvent être déclinées dans le même sport ou d’autres sports. Plus que Manchester City il faudrait parler du City Football Group. Cette holding a une équipe de football anglaise, mais aussi une équipe de football aux États-Unis, le New York City FC, une australienne, le Melbourne City FC ainsi que des clubs affiliés au Japon, en Chine, en Uruguay et bientôt peut-être en Inde. De leur côté, les dirigeants du Real Madrid C.F. ont historiquement diversifié leur activité football par un pôle omnisport qui leur permet d’exporter leur marque “Real Madrid” sur le basket-ball ; le FC Barcelone détient lui une équipe de basket-ball, de handball, de basket-ball, de futsal, de hockey-sur-gazon et de rugby à XV.
C’est dans cette logique que les clubs investissent dans l’eSport, devenant un moyen d’exporter leur marque comme les autres sports. De plus, le public attaché à l’eSport, dont la majorité est issue d’Asie, est un public à conquérir pour le football traditionnel. Les clubs professionnels de sport ont créé leurs propres équipes d’eSport, avec des entraîneurs, des managers et bien entendu des joueurs professionnels. Une fois le retard rattrapé sur les équipes d’eSport “originelles”, comme la Team Vitality ou encore la Team Millenium, les sections eSport des clubs de football reproduisent un schéma qu’ils maîtrisent : ils achètent les talents des Teams moins fortunés. L’achat par le PSG de Rocky, champion du monde de FIFA Ultimate Team en 2017 et 2018 avec la Team Vitality, témoigne de cette mainmise qu’installent peu à peu les clubs de football sur le sport… mais en jeu vidéo.
À titre d’information, pour intégrer une compétition telle que l’Orange e-Ligue 1, les joueurs doivent participer sous l’égide d’un club de Ligue 1. Ainsi, “Rafsou”, membre de la Team Vitality depuis août 2018, n’a pas participé à la compétition, alors qu’il avait remporté le tournoi d’hiver sur FIFA 18 quand il était encore un joueur de l’OL eSports. Une perte de niveau et donc d’intérêt pour la compétition d’e-Ligue 1, à laquelle le tenant du titre n’a pas pu participer.
Par ailleurs, les acteurs actuels ou anciens du sport investissent dans l’eSport. Il n’y a qu’à regarder les placements de deux légendes de la NBA, à savoir Shaquille O’Neal et Michael Jordan. Le premier a démarché la structure nord-américaine NRG eSports (League of Legends et Counter Strike) pour investir et ainsi permettre la création de nouvelles équipes. Pour Michael Jordan, l’idée était de rejoindre un autre ex-basketteur (Magic Johnson) au capital de “aXiomatic Gaming”, propriétaire de la Team Liquid. D’autres sportifs sont les fiers ambassadeurs de jeux vidéos ou marque d’accessoires gaming. On compte notamment le basketteur NBA Joel Embiid et le footballeur allemand Marco Reus pour la marque HyperX.
En revanche, sur League of Legends ou Dota 2, deux des jeux qui suscitent le plus d’engouement sur la planète eSport, des équipes traditionnelles européennes (Team Liquid, G2 Sports, OG), chinoises (NewBee, LFY, Invictus Gaming), coréennes (Samsung Galaxy, SK Telecom ou MVP.Phoenix) et américaines (Digital Chaos, Cloud9 ou Evil Geniuses) remportent fréquemment les plus grandes compétitions mondiales.
Pourtant, l’eSport revêt un tel caractère attrayant pour les fans, notamment asiatiques, que les équipes de sport professionnel investissent progressivement dans les jeux autres que dérivés du sport. Ainsi, en avril 2018 la section eSports du Paris-Saint-Germain lance son équipe Dota 2. Un mois et demi plus tard, grâce à un budget important et donc à des joueurs de gros calibres, la Team PSG.LGD est sacrée vice-championne du monde lors du tournoi The International, grand-messe des joueurs de Dota 2.
Une continuité s’installe puisque cette même équipe du PSG eSports a annoncé la création de deux rosters supplémentaires, fin février 2019. On aura désormais le droit à une équipe PSG sur le jeu Brawl Stars, ainsi que sur Mobile Legends. Deux jeux sur mobile puisque “l’Esports mobile prend de plus en plus d’ampleur” selon le directeur de la section eSport du PSG, Yassine Jaada.
Les clubs de sport voient donc en l’eSport un vecteur d’image et d’identité, les structures d’eSport voient dans les clubs des tuteurs de leur développement international. La frontière entre sport et e-sport est toujours plus fine voire friable, et désormais bon nombre des observateurs sont ceux qui considèrent l’eSport comme un sport. Delà à l’intégrer au programme olympique ?
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- Étudiant en journalisme à Paris 8 – Rédacteur NBA pour Parlons Basket. Assistant Chef de projet Médias & Sport Business. ↩
Mais de quoi donc il parle ?
Il parle de sport. Enfin, je crois…