C’est en Corée du Sud qu’a lieu, en ce moment même, un des plus grands évènements e-sportifs du monde : les Worlds (championnats du monde) de League of Legends, un jeu vidéo en ligne par équipe. Si cela peut encore prêter à sourire ceux qui voient dans les jeux vidéos un simple divertissement pour enfants ou « adulescents » enfermés dans leurs chambres et en manque de vie sociale, l’e-sport est pourtant, depuis quelques années, en pleine expansion, en témoignent les stades remplis pour regarder 10 joueurs s’affronter pour la victoire finale.
Ce nouveau secteur en croissance n’a pas manqué de déclencher l’obsession réglementaire française. En effet, que pourraient faire les acteurs de l’e-sport sans le soutien des politiques et de l’administration ?
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, invité de la Paris Games Week (un salon annuel consacré aux jeux vidéos), après avoir reconnu que « le secteur du jeu vidéo est une vraie force économique » pour la France, a fait part de sa volonté d’intervenir, de « faire bouger les lignes » sur la question de la parité homme-femme dans le monde e-sportif.
Il y a autant de femmes que d’hommes qui jouent aux jeux vidéo en France. Par contre dans l’esport au niveau amateur et au niveau professionnel, l’égalité femmes-hommes est inexistante. Avec @jnbarrot et le secteur, nous sommes mobilisés pour faire bouger les lignes. #PGW
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) November 1, 2023
Une activité principalement masculine
Il est vrai qu’historiquement, jouer aux jeux vidéos a été une activité principalement pratiquée par des hommes. Les raisons d’une telle disparité sont multiples, mélangeant certainement des facteurs d’ordres sociaux à des facteurs dits innés et ayant trait aux différences entre les sexes.
C’est par la déconstruction de l’idée selon laquelle les jeux vidéos seraient une « activité d’homme », et donc par la fin du stigmate touchant les joueuses, dont l’expérience dans des milieux exclusivement masculins pouvaient parfois être désagréable, que l’augmentation du nombre de joueuses a été rendu possible. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’en l’absence de facteurs sociaux, il y aurait nécessairement autant de joueuses que de joueurs.
Ainsi, si les idées reçues ont la vie dure, et qu’il reste encore des progrès à réaliser quant à l’évolution des mentalités dans le monde des jeux vidéos, il serait faux et malhonnête d’affirmer qu’une femme, si elle le souhaite, ne peut jouer aux jeux vidéos ou atteindre le niveau professionnel en 2023.
Mais alors, pourrait-on nous répondre, comment expliquer l’évidente disparité statistique que l’association Women in Games France ne manque pas de souligner : si 47 % des joueurs sont des femmes, seuls 6 % des joueurs pros sont des joueuses pros. Ici encore nous dirait-on, l’égalité en droit ne s’accompagne pas d’une égalité des résultats.
Comment l’expliquer ?
D’abord, l’étude d’où l’association tire ses chiffres prend en compte l’intégralité des jeux vidéos sur toutes les plateformes (ordinateur, consoles, téléphones portables…). Or, les jeux compétitifs sont une infime partie de ces derniers. Sur League Of Legends par exemple (peut-être le plus gros jeu compétitif depuis quelques années), il y aurait entre 10 % et 15 % de femmes seulement. En réalité donc, sur les jeux qui nous intéressent ici, la disparité statistique est beaucoup moins forte que ce qui est annoncé ci-dessus.
Cela ne signifie pas pour autant que le poids des représentations, le fait que ce soit un milieu fondamentalement masculin, l’absence de modèle féminin, etc. ne sont pas des causes signifiantes, mais elles n’épuisent pas l’explication de cette disparité.
Et si la parité totale n’était pas un idéal ?
Quelles que soient les explications, ne faudrait-il pas questionner l’objectif politique de la parité totale ?
Si en France, l’égalitarisme ambiant interdit de poser cette question sans prendre le risque d’être classé dans le camp du politiquement incorrect, il reste que dans une perspective individualiste et universaliste, seules comptent l’égalité des droits et la responsabilité individuelle. L’idéal ne devrait-il pas être qu’une femme possédant la volonté et les compétences suffisantes pour être joueuse professionnelle puisse effectivement le devenir ? Dis autrement, ne devrait-on pas défendre un paradigme individualiste où la priorité serait de laisser les individus libres de poursuivre leurs intérêts propres sans que l’État ne pose de jugement sur la légitimité et les origines des buts poursuivis ?
En ce sens, est-ce si grave de laisser un individu librement se conformer à ses déterminations sociales ? Il est peut-être caricatural pour une femme de souhaiter faire un métier du care, mais si telle est son choix, ne serait-il pas injuste d’interférer au nom d’une émancipation qu’on lui imposerait ?
Aussi, on ne peut mettre sur le même plan une détermination sociale qui oriente l’individu mais lui fait adhérer à ses choix de vie, et une détermination qui le contraint (que cette contrainte agisse physiquement, psychologiquement ou par le truchement de la loi) à un choix qu’il n’a pas fait, auquel il n’adhère pas.
L’intervention de l’État dans la correction des déterminations sociales, par le biais par exemple de l’Affirmative Action (discrimination positive), ne fait-elle pas que remplacer une subjectivité par une autre ? En effet, si la norme sociale selon laquelle les femmes n’aiment pas les jeux vidéos était arbitraire et historiquement située, la nouvelle norme sociale selon laquelle elles devraient aimer les jeux vidéos autant que les hommes ne l’est-elle pas tout autant ? Dans le monde idéal de ceux qui veulent la parité, qui nous dit que les joueuses professionnelles ne seraient pas tout autant déterminées par le discours égalitariste leur imposant de se conformer socialement à cette déconstruction genrée ?
Et au fond, est-il vraiment important qu’il y ait autant d’hommes que de femmes dans le monde des jeux-vidéos et de l’e-Sport ? Ceux qui prônent cette parité sont souvent les mêmes qui font l’éloge (à raison) de la diversité. Seulement, il faudrait être cohérent et aller au bout de la logique : un monde où règne la diversité est un monde d’inégalités, et à l’inverse, un monde tout à fait égalitaire est un monde sans différences où l’individu n’existe pas, puisqu’il ressemblerait en tout point à son voisin.
Légiférer intelligemment, et légiférer peu…
Il peut être intéressant de s’interroger sur les raisons qui font que si peu de femmes atteignent le niveau professionnel. Mais il ne revient pas à l’État de corriger cela. Son rôle doit être de protéger la sphère des droits individuels afin de permettre à un homme ou à une femme de poursuivre sa vie comme il ou elle l’entend, au prix d’éventuelles inégalités statistiques à l’arrivée.
Le choix des individus doit toujours primer sur les velléités d’ingénierie sociale des pouvoirs politiques qui se persuadent qu’une parité statistique est forcément vertueuse. Le monde des jeux vidéos n’a pas attendu l’État pour s’ouvrir à un public féminin. Les changements de mentalités doivent bien plus aux associations, à l’art, aux productions scientifiques et littéraires, aux actions de certains militants politiques, bref, à la société civile, qu’à la loi.
Monsieur le ministre, si vous voulez rendre service au secteur de l’e-sport, légiférez intelligemment, par exemple en réduisant le poids de la fiscalité qui pèse sur les acteurs nationaux et empêche leur développement dans un environnement ultra-compétitif, mais surtout, légiférez peu.
Le jeu vidéo est aux geeks ce que le foot est au petit peuple. Pour mieux l’asservir il faut leur donner des Jeux. Et pour cela, le geek doit, comme au foot s’identifier à des joueurs. D’autant plus qu’il va y avoir de plus en plus de geeks et de moins en moins de supporters de foot dans les années à venir. Femmes et minorités doivent donc obligatoirement produire des compétiteurs. Regardons le foot : 80% des joueurs sont issus des minorités qui présentent 20% de la population en France. C’est bon pour la politique : quand le petit peuple regarde le foot, il ne descend pas dans la rue, surtout s’il s’identifie à un joueur.
Demander à BLM de « légiférer intelligemment », c’est assez amusant, malheureusement c’est peu crédible…
En fait, tout va tellement bien en France au niveau économie, sécurité, infrastructures, service publique que notre ministre de l’économie se cherche des sujets à traiter… C’est magnifique… 🙂