Afrique du Sud : la sécurité privée entrave l’État de droit

La loi impose des exigences strictes aux entreprises de sécurité et aux agents de sécurité privée, mais le ministre et l’autorité de réglementation disposent d’un pouvoir discrétionnaire absolu qui permet de faire abstraction de ces exigences.

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Afrique du Sud : la sécurité privée entrave l’État de droit

Publié le 13 mars 2019
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Par Gary Moore.
Un article de Libre Afrique

Selon la Cour constitutionnelle, le service public de police étant souvent défaillant, le secteur de la sécurité privée est une alternative nécessaire dans la lutte contre la criminalité en Afrique du Sud. Ainsi, par la force des choses, le secteur privé doit se substituer aux services de l’État et remplir des fonctions qui relevaient jadis du domaine exclusif de la police.

Le flou juridique

La loi de 2001 sur la réglementation du secteur de la sécurité privée prévoit un encadrement par une autorité de réglementation basée à Pretoria. Cette autorité a pour fonction de contrôler le secteur « dans l’intérêt public et national », d’encourager la « fiabilité » des fournisseurs de services de sécurité et de protéger les intérêts des usagers.

La loi énonce, avec ambition, que nul (autre que l’armée, la police et les services de renseignement) ne peut, contre rémunération, rendre un « service de sécurité » sans être enregistré en tant que prestataire de services de sécurité au sens de la loi. Ceci dit, la loi autorise le ministre de la Sécurité et de la sûreté (après consultation de l’Autorité de régulation) à « exempter tout fournisseur de services de sécurité » ou classe de ceux-ci, de toute disposition de la loi. Les tribunaux ont interprété cela comme une possibilité pour le ministre d’accorder des exemptions indéfinies par la Loi. D’ailleurs, le ministre a accordé près de quatre douzaines d’exemptions.

Malheureusement, cette disposition ne contient aucun critère pour guider le ministre dans l’exercice de son pouvoir d’exemption. Il s’agit donc d’une enfreinte manifeste à l’état de droit en accordant un pouvoir discrétionnaire excessivement large et flou. Les questions de droit et de responsabilité devraient normalement être résolues par l’application de la loi, et non par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, et les pouvoirs discrétionnaires devraient être encadrés. Car plus large est le pouvoir discrétionnaire conféré à un fonctionnaire, plus large est le champ de la subjectivité, de la corruption et de l’arbitraire, antithèse de l’état de droit.

Cette disposition d’exemption se superpose à la disposition plus générale de la loi selon laquelle le ministre (après consultation de l’Autorité) peut exempter « tout service, activité ou pratique ou tout équipement» ou «toute personne ou entité » de l’ensemble ou de toutes les dispositions de la loi. Cette disposition générale laisse planer un doute quant à savoir si elle supplante complètement la première disposition (le ministre peut exempter un « fournisseur de services de sécurité ») de la loi. Cette incertitude constitue également une violation de l’état de droit, selon laquelle les lois doivent être claires et prévisibles.

Quand l’exception devient règle

En principe, la loi de 2001 exige que les demandeurs d’inscription soient « intègres et aptes » à rendre un service de sécurité, répondant aux exigences de formation stipulées dans les règlements pris par le ministre, ont un casier judiciaire vierge et n’ont pas été reconnus coupables de conduite irrégulière en vertu de la loi au cours des cinq dernières années, et ne pas être membre d’un service de sécurité de l’État. Cependant, malgré toutes ces conditions requises pour l’inscription dans la loi, celle-ci autorise l’Autorité de régulation, pour « des raisons valables » et « des motifs qui ne sont pas en contradiction avec l’objet de la Loi » d’enregistrer « tout demandeur » en tant que prestataire de services de sécurité.

La disposition ne dit pas ce qui peut constituer une « raison valable » ou « les motifs » requis pour enregistrer des candidats qui ne satisfont pas aux exigences stipulées. La Cour constitutionnelle a déclaré à propos de cette disposition que « la raison valable » dépendra des circonstances particulières de chaque cas. Cette disposition est vague et constitue donc une violation de l’état de droit, car les lois doivent être intelligibles et claires. Ce flou signifie que la disposition permet en pratique un traitement inégal, également en violation de l’état de droit. La primauté du droit stipule que les lois doivent s’appliquer de la même manière à tous, sauf lorsque des différences objectives justifient la différenciation.

Les pleins pouvoirs au ministre

Mais il y a pire. La loi autorise le ministre à promulguer des règlements prescrivant des « procédures et des principes » concernant les demandes périodiques des fournisseurs de services de sécurité enregistrés en vue du renouvellement de leur licence, ainsi que les conditions et les exigences pour donner suite à ces demandes. La loi ne fixe pas de critères pour guider le ministre dans la prescription de tels « procédures et principes ».

La loi ne détermine pas non plus la fréquence à laquelle un fournisseur de services de sécurité enregistré peut être tenu de présenter de telles demandes « périodiques » de renouvellement de sa licence. Il ne précise pas non plus de critères pour guider le ministre dans la prescription de la fréquence des demandes. Ces dispositions violent l’état de droit en conférant au ministre un pouvoir discrétionnaire indéterminé lui permettant de déterminer la fréquence à laquelle les fournisseurs de services de sécurité enregistrés devront demander le renouvellement de leur licence.

La loi impose des exigences strictes aux entreprises de sécurité et aux agents de sécurité privée, mais le ministre et l’autorité de réglementation disposent d’un pouvoir discrétionnaire absolu qui permet de faire abstraction de ces exigences, exposant ainsi les entreprises et les agents de sécurité à un traitement arbitraire et inégal.

Les échappatoires de la loi permettent aux fonctionnaires de choisir injustement à quel moment l’appliquer et quand ne pas l’appliquer, ce qui donne l’illusion que le secteur de la sécurité privée soit bien réglementé. Avec une industrie aussi importante pour la sécurité et le développement, il doit exister un meilleur moyen de la réguler plutôt que de violer les principes de l’état du droit.

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  • Cette évolution inquiétante de la dégradation l’état de droit en RSA illustre deux évolutions parallèles de la société sud-africaine.
    La première est liée à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat, gangréné par le clientélisme partisan et ethnique. On sait que l’ANC, rompant avec le pieux discours de Mandela, a investit le régime, en favorisant un mal africain, le favoritisme.
    La deuxième est la montée inquiétante de l’insécurité, dont sont victimes d’abord les sud-africains noirs, et secondairement les blancs, riches ou pauvres d’ailleurs.
    Il fallait donc une réponse.
    Comme dans beaucoup de pays, même démocratiques, les polices privées ont trouvé là une occasion de monter en puissance.
    Les compounds et autres quartiers sécurisés se sont multipliés.
    Au plan juridique, le contexte légal est typiquement anglo-saxon ; le recours aux principes d’équité et de bon sens, versus le texte de loi, quoi de plus normal.
    Mais dans une société ethnicisée et clanisée, en proie à des difficultés économiques croissantes et à l’absence de pouvoir de la justice, l’urgence conduit à la prise de mesures administratives en temps réel.
    C’est là que le système rompt avec sa tradition juridique anglo-saxonne, et s’en remet à des mesures réglementaires. Autrement dit, laisser le pouvoir exécutif le droit d’établir la règle et à ses fonctionnaires de l’appliquer.
    A titre documentaire, la France connait le même type de déviance consistant à déléguer ainsi sa sécurité…

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