Par Michel Ghazal.
Il est difficile pour quiconque d’échapper depuis trois mois à l’actualité autour du mouvement des Gilets jaunes. Comme dans une pièce de théâtre, nous sommes bientôt à l’acte XIV et cela semble vouloir durer jusqu’aux élections européennes. Tous les médias s’en sont emparés, donnant la parole dans la rue et sur les plateaux aux manifestants, gouvernement, hommes politiques de tous bords, syndicats, élus locaux, intellectuels, sociologues, experts et donneurs de leçons en tout genre.
Qu’entendons-nous ?
Face à cette crise et ce conflit, chacun se plaint de ne pas être écouté, de ne pas se sentir compris ni entendu, de se sentir méprisé, rejeté et floué, en un mot d’absence de dialogue. Les uns et les autres s’accusent d’être la cause du problème et tout le monde est frustré. Des émotions fortes s’expriment (colère, haine, envie) et engendrent des dérapages et des affrontements graves tant et si bien que nous avons assisté à des scènes de violences inacceptables, de guérilla urbaine et de quasi insurrection.
Même si bien entendu des casseurs professionnels se sont invités aux manifestations, les excès furent innombrables : saccage du musée de l’Arc de triomphe, destructions et pillage des commerces, destruction des péages et de 50 % des radars, menaces envers les hommes politiques et les journalistes et même appel à la décapitation du président de la République. Tout ceci, sous l’œil indulgent et complaisant d’une partie de la classe politique ayant pour unique but de les récupérer et de s’attirer leur clientèle mais sans vraiment y parvenir.
L’ouverture au dialogue, fut-elle tardive, faite par le gouvernement a été étouffée dans l’œuf du fait de la difficulté en face à désigner des représentants crédibles et acceptés par tous. Or, c’est la première condition pour dénouer une crise. Pour négocier, il faut au moins être deux.
Se mettre autour d’une table pour écouter et dialoguer
Pour passer du monologue au dialogue, encore faut-il savoir ce que cela veut dire ou pas dire.
Ce n’est pas
Pour beaucoup, se sentir écouté et compris signifie forcément être approuvé par l’autre dans ses revendications ou ses propositions. Pour y parvenir, les parties en présence se lancent dans des séquences d’argumentation et de contre argumentation qu’elles se renvoient à la figure et ne font malheureusement qu’empirer la situation. Dans ce face-à-face très tendu, chacun enfonce ses talons dans le sol, cherche par tous les moyens à battre en brèche les arguments de l’autre et, surtout, espère que ce soit son interlocuteur qui plie.
Que de fois dans les interviews de certains Gilets jaunes fut répété en boucle : « Nous ne sommes pas écoutés car Macron n’a pas augmenté le SMIC de 50 % comme nous l’exigeons ». Et quand certains rares journalistes rappellent que le gouvernement les a entendus et a supprimé par exemple la taxe carbone, ceci est balayé d’un revers de main : « Nous voulons plus ! », suivi d’une nouvelle liste de revendications non prévues au début du mouvement.
En effet, ceci est révélateur d’une triple certitude dans laquelle chaque partie est enfermée :
- elle a raison et l’autre a tort
- elle détient la vérité
- s’il y a problème, c’est forcément la faute à l’autre
Il s’agit, par ceux-là même qui le réclament, d’un refus manifeste du dialogue. Est-ce surprenant alors que cela débouche sur un dialogue de sourds, au recours à l’épreuve de force ou, le pire, à une reculade généralisée ?
Or, comme il est écrit dans ce joli texte Lettres à Nour de Rachid Benzine lu au théâtre par Éric Cantona : « Le contraire de la connaissance c’est pas l’ignorance mais la certitude ».
Écouter et Dialoguer c’est quoi ?
S’il y a des freins à l’écoute, c’est que beaucoup confondent écouter et être d’accord. Du coup, ils en ont peur et fuient l’échange. Or, dialoguer c’est accepter de mettre ses certitudes momentanément entre parenthèses pour se laisser traverser par le point de vue et les idées de l’autre. Cela permet une meilleure compréhension de sa vision et sa perception et peut déboucher sur une évolution de nos idées, et peut-être un changement de part et d’autre.
Écouter vraiment, c’est faire le contraire de ce qui est fait habituellement. Voici quelques pratiques concrètes :
- Passer d’une volonté de convaincre à une volonté d’apprendre.
- Pratiquer l’écoute active.
- Comprendre l’autre avant de chercher à s’en faire comprendre. Pour cela, écouter sa version en premier avant de donner la sienne
- Se mettre dans la peau de l’autre pour voir et comprendre sa vision des choses.
En conclusion
Si vous voulez que l’autre vous écoute, vous devez être en mesure de répéter ses arguments mieux qu’il ne l’a fait lui-même. C’est la condition essentielle afin que cet autre vous écoute à son tour. Dans nos formations à la négociation, nos participants découvrent qu’il n’y a rien de plus persuasif que de se montrer ouvert à la persuasion. Mais attention, une représentation erronée du sens de l’écoute conduit souvent à une incompréhension et à un dialogue de sourds. Écouter, ce n’est pas forcément adhérer.
Quand la situation est tendue, quelles difficultés rencontrez-vous pour écouter et comment réussissez-vous à les surmonter ? Partager votre expérience dans les commentaires.
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nous , citoyens Français avons beaucoup de chance ; combien de fois ai je entendu nos multiples dirigeants nous dire , avec un grand sérieux : » je vous ai entendu « …..alors qu’ils ne nous écoutent jamais…..
ce que tu décris dans ton article est la » voie du milieu ».
pour faire simple, revenons aux fondamentaux de notre devise : 1) LIBERTÉ. 2) ÉGALITÉ 3) FRATERNITÉ
égalité… pas égalitarisme !!!
ça peut marcher pour un individu ou un petit groupe mais une foule ! On est très vite dans le rapport de force.
Bonjour, merci pour cet article intéressant.
Je suis dans une phase de développement personnelle (le truc à la mode), je lis donc des trucs sur le sujet. Je croyais que je savais écouter, mais je me suis rendu compte qu’en fait, je ne savais pas. En effet, j’écoutais, non pas en écoutant vraiment ce que disais l’autre, c’est à dire en essayant de le comprendre, analyse et objectif que je partage totalement, mais que j’écoutais en cherchant systématiquement des contre arguments. Donc, que j’affrontais la pensée de l’autre, pour essayer de la vaincre, au lieu de m’en imprégner et de la comprendre, pour m’en enrichir.
Mais même conscient de ce défaut, j’ai beaucoup de mal a écouter pour comprendre, mon premier réflexe est de combattre. En effet, ma pensée me représente, me définit. Si j’accepte la pensée de l’autre, je PERDS de mon identité sans me rendre compte que je m’ENRICHIS de celle de l’autre. Cette notion de perte, cette peur est encore vraiment prépondérante, chez moi, dans mon rapport à autrui, et est un obstacle, en ce qui me concerne à une vrai communication.
Ensuite, quelques remarques (sic. Je suis indécrottable ^^ )sur votre article
« Comprendre l’autre avant de chercher à s’en faire comprendre. Pour cela, écouter sa version en premier avant de donner la sienne »
Si les deux cherchent à comprendre, qui commence ?
De plus, si j’accepte la version, ou les arguments de l’autre, aurais je le temps de les assimiler dans ma réponse ? Certains ont cette agilité intellectuelle, je sais que j’ai besoin de réfléchir avant de parler. Je suis souvent désavantagé dans les débats « gaulois », ou la gouaille et le verbe leste étaient, si ma mémoire est bonne, des qualités appréciées. J’ai très peu de sens de la répartie.
Bref, encore merci pour cet article.
Souvent les gens se braquent sur la manière avant le fond, ça m’arrive encore. Et là c’est mort ! Il faut les rassurer sur vos intentions « pacifiques ». Ceci dit convaincre quelqu’un est un taf de longue haleine et c’est assez rare. Aujourd’hui je me contente de suggestions comme pour les recettes de cuisine.
Bon courage !
@cernu Si ce sujet vous intéresse vous pourriez lire les théories d’un psychologue américain Rogers (Carl, je crois). Il développe les notions d’empathie, de congruence, etc. Des notions éclairantes, très à la mode dans les années 70 dans le secteur psycho-socio-éducatif.
@Hélébore, merci pour ce tuyau 🙂
Effectivement, l’art de la discussion serait il tout de délicatesse ? Pas toujours facile. Effectivement, la notion de suggestion, en évitant l’affrontement, semble être une belle façon de faire passer ses idées.
L’empathie est selon moi la condition première, la qualité essentielle. L’empathie, c’est justement la capacité à se mettre à la place de l’autre pour comprendre sa vision des choses. Les personnes avec beaucoup d’empathie sont celles vers lesquelles on se tourne quand on veut se confier sans être jugé, on les reconnaît à ça. Une belle parabole : face à un groupe d’élèves, l’enseignant montre un livre et leur affirme que ce livre est bleu. Tous les élèves lui répondent « non il est rouge ». Pas un pour lui demander pourquoi il affirme qu’il est bleu alors qu’ils le voient rouge. Au bout de quelques instants de ce dialogue de sourds, l’enseignant retourne le livre et leur montre la face que lui voyait : elle est bleue bien sûr.
Les suggestions, plutôt que les affirmations, c’est une bonne idée. Merci !
J’ai exactement le même problème que vous Cernu, peu de sens de la repartie, besoin de réfléchir, peut-être parce que mon cerveau cherche toujours à s’exprimer en tenant compte de l’autre, en tentant de ne pas le blesser tout en affirmant mes idées. Avec l’âge, j’y arrive mieux, parce que jeune je mettais de côté mes propres pensées pour ne pas blesser l’autre. Maintenant, je m’affirme beaucoup plus, mes idées n’ont après tout pas moins de valeurs que celles des autres, n’est-ce pas ? Mais j’ai toujours la volonté de ne pas blesser.
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