La différence entre démocratie « liquide » et « directe »

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La différence entre démocratie « liquide » et « directe »

Publié le 15 novembre 2018
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Par Emmanuel Brunet Bommert.

Quand on parle de démocratie, il y a toujours un risque d’être incompris. La faute à cette aura glorieuse qui entoure le concept depuis la révolution américaine. Il n’existe pas qu’une seule définition au mot « démocratie » mais deux, que la plupart des gens ont tendance à confondre. Nous avons d’abord l’adjectif. Un système gouvernemental est admissible comme « démocratique » dès lors que tous les citoyens d’une société civile peuvent participer au processus de décision politique. Vient ensuite le concept. Une démocratie, c’est un système où tous les citoyens doivent participer au processus de décision, puisqu’ils délèguent leur autorité.

Les deux idées s’excluent mutuellement. Dans le premier cas, on considère qu’un gouvernement est démocratique même si l’accès au pouvoir est rendu difficile par des réclamations abusives. Dans l’autre, le citoyen doit pouvoir donner son avis dans chaque cas, ce qui ne sera pas toujours faisable compte tenu des limitations du quotidien.

Démocratie formelle et démocratie pure

C’est pourquoi une république est une « démocratie », au sens qu’elle correspond à l’adjectif. Cependant, elle n’est pas forcément conforme au concept. Après tout, le fait qu’on n’empêche pas le citoyen de participer à la vie publique n’implique pas forcément que ce concours sera facilité par la loi. On doit faire la distinction entre d’un côté une « démocratie formelle », qui permet au Peuple de décider mais ne l’encourage pas, et de l’autre la « démocratie pure », qui nécessite une généralisation de la décision populaire pour être admissible comme telle.

Le concept même de démocratie est finalement assez mal compris à notre époque. Churchill ne disait-il qu’elle est le « pire système à l’exception de tous les autres » sans une bonne raison. On ne règne pas dans une démocratie. Les seules idées qui survivent sont celles que tous les citoyens sont capables d’accepter, c’est-à-dire uniquement les plus nécessaires à la vie commune. La démocratie n’existe que pour empêcher qu’une façon de vivre soit imposée à ceux qui la refusent. Elle repose sur une observation simple : les individus ne s’entendent pas, sauf sur l’essentiel. S’ils sont incapables de se mettre d’accord sur d’autres sujets que les plus importants, il y a peu de risque qu’une mauvaise décision passe sans qu’une résistance s’organise et n’empêche sa mise en place.

Le principe démocratique fonctionne grâce à cette tendance naturelle de l’Homme. Il la transforme en bouclier contre les exactions de l’autorité publique. Un système de gouvernement fiable est justement celui qui sait contrôler ses propres dérives potentielles. Un Peuple tend à résister contre tout et c’est justement cette inertie qu’un bon système politique doit exploiter, pour compenser la volonté de puissance d’une administration. Cela précisé, une « démocratie pure » peut prendre deux formes :

 

  1. La démocratie directe

 

Ce premier aspect donne au citoyen le pouvoir de décider lui-même de la loi et du budget. Il contrôle ces deux éléments sans intermédiaire. S’il est le plus évidemment démocratique, ce système est aussi le plus lourd inventé par l’Homme. Il nécessite l’intervention d’une masse colossale d’intervenants pour la plus modeste décision. Dans l’idée, une démocratie directe revient à former un parlement composé de millions de députés. Ce n’est que parce que la technologie de l’information nous permet de collecter rapidement des masses de données qu’un tel système devient réaliste. Sans cet outil, les votations devraient être limitées aux questions simples.

 

  1. La démocratie liquide

 

Ce second aspect permet au citoyen de déléguer son autorité à un représentant. Toutefois, à la différence d’une république basée sur un modèle électoral, ladite délégation ne se fait pas sur un territoire fixe à l’issue d’une élection. Ce type d’élu fonctionne plutôt comme un avocat, à qui on ferait procuration de voter pour certaines législations, d’une certaine façon. Un « représentant » n’est donc fort que des voix pour lesquelles il s’exprime et son poids sera exactement celui de ses « adhérents ». Par exemple, dans un pays de 10 000 habitants, un « élu » qui parle pour 1 000 signataires compte pour 10 % des voix. Dès lors qu’il n’agit pas conformément aux attentes de ses « électeurs », ceux-ci peuvent se retirer immédiatement, le conduisant au chômage. Il représente donc une population bien définie, aussi longtemps qu’elle lui fera confiance. Le système conserve la forme connue d’une république, tout en offrant au citoyen un contrôle strict sur son représentant. Celui-ci peut rester en fonction toute sa vie s’il est efficace ou tout perdre en quelques secondes dès qu’il ne l’est plus.

Une démocratie directe adaptée aux nouvelles technologies

Ce genre de gouvernement n’est pas complexe à mettre en place. Il suffit pour le « représentant » de se déclarer comme tel, puis à ses éventuels « électeurs » de le choisir en préfecture. Il ne convient plus ? Un simple passage en préfecture suffit à en changer. Rapide et facile. Au final, une démocratie liquide n’est rien de plus qu’une démocratie directe où les citoyens délèguent leur pouvoir à un professionnel, qui n’a pour fonction que de voter des lois. Le Parlement, au sens d’infrastructure physique avec des bâtiments dédiés, n’est même plus nécessaire. Un intranet public et sécurisé adapté aux votations suffit.

Les deux solutions sont autant « démocratiques » l’une que l’autre. On peut considérer une démocratie comme « exclusivement directe » quand elle n’admet pas que ses citoyens puissent déléguer leur pouvoir de décision. Tout au contraire, on peut la dire « exclusivement liquide » si elle ne permet pas la votation des lois ou du budget sans passer obligatoirement par un professionnel. Cependant, les deux n’ont rien d’incompatible.

Dans une démocratie directe, la lourdeur du système limite la portée des décisions. Il peut arriver dans quelques situations que des Lois potentielles se multiplient et dans la hâte de faire passer les législations utiles, certaines seront acceptées sans précaution par un Peuple exténué. Qui plus est, les citoyens auront presque toujours tendance à s’abstenir s’ils ne peuvent pas déléguer une tâche aussi prenante à un professionnel de confiance.

Dans une démocratie liquide, la politique tendra à se professionnaliser au-delà du niveau que connaît actuellement notre république. Les représentants vont former un corps de métier à part entière, au même titre que les avocats ou les médecins. Ils demanderont à être rémunérés pour cette tâche (ou pas). Le risque que l’activité se transforme en monopole n’est pas inexistant et laisser la possibilité aux gens d’exercer directement leur autorité fait contre-poids. Tout citoyen doit donc pouvoir devenir représentant, sans qu’on puisse le lui interdire.

La légitimité de la loi

L’efficacité d’une démocratie à réduire les dérives dépend aussi d’autres facteurs. Tout d’abord, une Loi doit être voulue pour qu’on la considère légitime. Une législation ne doit jamais passer « par dépit » ou « par défaut ». Elle doit naître d’une volonté du citoyen. C’est lui qui portera la responsabilité d’une mauvaise politique. Les décisions à prendre peuvent être confiées à des représentants car dès lors que le Peuple a un contrôle total sur eux, il est admissible qu’ils exercent une autorité en son nom.

Les citoyens sont la source des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ils peuvent les confier à leur convenance sans que la séparation des pouvoirs ne soit compromise. Ce qui importe, pour le succès du système, c’est que :

  1. Le citoyen puisse confier ces pouvoirs aux personnalités qu’il désire sans que la Loi ne l’en empêche ;
  2. L’autorité publique ne puisse jamais être accaparée par une seule personne (physique ou sociale) sans que le Peuple n’ait la possibilité de la reprendre quand il le veut.

Une bonne démocratie doit savoir faire contre-pouvoir, mais aussi prendre en compte les réalités du quotidien. Les citoyens vivent. Ils n’ont pas forcément l’énergie pour décider de tout à chaque instant. Un système « purement direct » est viable pour un petit village, mais la quantité d’acteurs à prendre en compte dans une grande ville le rendrait vite insupportable. Un bon gouvernement doit protéger les Droits de ses citoyens, naturellement. Les limites aux dangers qu’il représente se retrouvent dans son infrastructure elle-même.

On ne protège pas rien avec l’article d’une Constitution. Il y a toujours un moyen de retourner les mots contre ceux qui les rédigent. Par contre, on sauvegarde efficacement le Droit s’il est physiquement impossible pour un représentant public de faire quelque chose sans devoir rendre des comptes. Les désaccords entre citoyens élimineront les extrêmes par eux-mêmes.

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