Droit de vote sous tutelle : comment l’État risque d’affaiblir des gens vulnérables

En voulant accorder le droit de vote aux personnes sous tutelle, l’État va affaiblir la protection dont elles bénéficient.

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Droit de vote sous tutelle : comment l’État risque d’affaiblir des gens vulnérables

Publié le 28 octobre 2018
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Par Phoebe Ann Moses.

Lors des échanges au cours du Comité interministériel du Handicap, le 25 octobre dernier, il a été question d’améliorer le sort des personnes en situation de handicap (nous dirons ensuite « handicapés », parce que c’est moins long et que ce n’est pas un gros mot) en levant un certain nombre d’obstacles rencontrés, qu’ils soient physiques ou administratifs.

Cela n’est pas en soi une mauvaise mesure, puisqu’il est proposé de simplifier un certain nombre de procédures administratives. Mais certains points posent des problèmes sur le plan légal et sur le plan éthique. Il ne sera question ici que du point particulier qui concerne l’attribution du droit de vote aux personnes sous tutelle.

La mise sous tutelle et la perte de certains droits

Les personnes mises sous tutelle sont privées d’une partie de leurs droits parce qu’il est considéré au terme d’une procédure juridique qu’elles ne sont pas aptes à prendre des décisions. En quelque sorte, elles ont le comportement ou le raisonnement d’un enfant. La loi était là pour les protéger.

Le rapport préconise (page 251) l’abolition de l’article 5 du Code électoral  pour leur permettre dorénavant de voter.

« L’exclusion d’une partie des personnes en situation de handicap du processus électoral, au simple motif qu’elles sont handicapées est contraire au principe d’autonomisation, et il convient selon nous de faire désormais évoluer la réglementation actuelle. »

La Commission nationale consultative des Droits de l’homme (CNCDH) citée dans le rapport considère elle aussi (page 254) que :

«  l’article L.5 du Code électoral introduit une discrimination entre les citoyens, puisque basée sur le handicap pour un groupe entier de personnes. En cela, et parce que la privation du droit de vote relève de la seule décision discrétionnaire du juge des tutelles, notre système contrevient au droit international. »

Cela pose plusieurs problèmes, d’ordre juridique et éthique.

Problème éthique : des personnes sous influence

Quel sera le degré d’influençabilité de ces personnes, dont certaines peuvent avoir le raisonnement d’un enfant ? Comment peuvent-elles s’informer sur la vie politique et émettre un choix éclairé ? Ce sont des arguments déjà soulevés par certaines associations. Comme on le lit dans 20minutes :

« Les personnes défendant le maintien de la législation actuelle évoquent un risque de manipulation. « Le droit de vote est quelque chose d’extrêmement personnel. Or un individu présentant un handicap mental lourd risque de voir son suffrage dévoyé », relevait ainsi la présidente de l’Association nationale des juges d’instance au journal La Croix en janvier 2017. »

Le rapport reconnaît que ces objections peuvent s’appliquer à une bonne partie de la population valide et que c’est pour cela que des handicapés mentaux ne peuvent être exclus des votants :

« La CNCDH a ainsi estimé que nombreuses personnes non handicapées devraient se voir enlever leur droit de vote si elles étaient soumises aux mêmes tests. »

Même son de cloche du côté de la secrétaire d’État Sophie Cluzel, qui explique :

« Tout le monde est influençable, c’est la conception même de notre démocratie. C’est aussi le même argument que l’on a tenu pour éloigner les femmes du droit de vote jusqu’en 1946. »

Handicap physique, handicap mental : que d’amalgame !

Ce rapport contient par ailleurs un élément de langage propre à faire régner la confusion : le chapitre en question traite de l’accessibilité du droit de vote « aux personnes handicapées ». On y trouve pêle-mêle l’accès physique aux urnes et l’accès au droit de vote des personnes sous tutelle. Handicap physique et handicap mental se confondent comme si c’était la même chose. Que d’amalgame…

Cela permet à la secrétaire d’État Sophie Cluzel d’annoncer fièrement :

« Toutes les personnes handicapées pourront voter et se marier ».

Quelle réforme ! Mais au fait, les personnes ayant un handicap physique peuvent déjà voter. Si elles ne le font pas, c’est soit à cause de l’accès chaotique à l’isoloir, soit… que leur cerveau bien valide leur a permis de comprendre, entre autres choses, que cela ne servait à rien.

Cet égalitarisme (encore une fois) s’applique aujourd’hui aux handicaps, quels qu’ils soient. On fait fi des lois existantes, pour ne les analyser qu’à travers le prisme de la discrimination.

Mais alors pourquoi empêcher les mineurs d’avoir accès au porno ? Pourquoi interdire la prostitution ? Pourquoi interdire aux mineurs de se marier ? N’y a-t-il pas un « âge » pour la responsabilité ?

Mais la secrétaire d’État ne voit dans la tutelle qu’un « prétexte » :

« Cette mesure est prise sous prétexte de les protéger. »

Enfin, n’y a-t-il pas un risque par le biais de la procuration : la personne de confiance qui ira voter en lieu et place d’une personne handicapée mentale ne pourrait-elle pas dévoyer le vote, sous prétexte qu’elle saurait « mieux » choisir ? Cela reviendrait à donner deux voix à certains électeurs pas forcément bien intentionnés et, pourquoi pas, tout aussi manipulables…

Sophie Cluzel considère aussi comme une victoire l’autorisation pour les gens sous tutelle de pouvoir se marier sans l’accord d’un juge.

Les mêmes arguments peuvent être développés : la loi pouvait protéger d’une mauvaise influence ces personnes vulnérables. Combien de comptes en banque dévalisés quand il s’agit de personnes sous influence ? Mais on préfère y voir un progrès pour l’égalité…

On ne manquera pas de sourire en découvrant que le rapport présenté n’a reculé devant rien en se parant d’atours libéraux (p. 255) avec une citation de Jean-François Revel :

« La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l’exactitude de l’information. Si le citoyen n’est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire. »

Le paradis électoral est décidément pavé d’infernales intentions.

Voir les commentaires (19)

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Créer un compte Tous les commentaires (19)
  • « la privation du droit de vote relève de la seule décision discrétionnaire du juge des tutelles » : c’est le caractère discrétionnaire de la décision qui pose problème et qui doit être corrigé, pas le principe de priver du droit de vote, déjà appliqué lors de la privation des droits civiques et politiques, p.ex. pour faits commis par des élus.
    « Le rapport reconnaît que ces objections peuvent s’appliquer à une bonne partie de la population valide » : à nouveau une inversion de la logique : puisqu’on pense que certains votants pourraient ne pas savoir ce qu’ils font, il faut que ceux dont la justice dit, après examen minutieux, qu’ils ne savent pas ce qu’ils font puissent voter.

    « autorisation pour les gens sous tutelle de pouvoir se marier sans l’accord d’un juge » : c’est sans doute l’élément le plus absurde : la personne sous tutelle n’est pas jugée apte à gérer ses biens, mais pourrait les aliéner par mariage sans rien demander, sauf à imposer un mariage avec séparation des biens, ce qui serait une autre discrimination.

    • on racle les fonds de tiroir pour trouver plus d’électeurs.?
      pourquoi pas rendre l vote obligatoire et tenir compte des votes blancs?
      ah? les abstentionnistes c’est cool? çà permet de prendre le pouvoir avec 21% de votants? et apres

  • prêt à tout et à n’importe quoi pour quelques voix électorale …..

  • Vous ne comprenez pas : il ne s’agit pas de faire des handicapés sous tutelle des électeurs comme les autres, il s’agit de faire des électeurs des handicapés sous tutelle comme les autres !

  • « Mais alors pourquoi empêcher les mineurs d’avoir accès au porno ? Pourquoi interdire la prostitution ? Pourquoi interdire aux mineurs de se marier ? »
    Voilà bien la vraie question (et aussi pourquoi le cannabis reste t-il interdit ? pourquoi la ceinture est-elle obligatoire ? )…
    Redonner de la responsabilité aux handicapés part d’un bon postulat. Pourquoi les non handicapés n’en profitent-ils pas de la même manière ?

    • @Jean Manchzek
      Bonjour
      « Redonner de la responsabilité aux handicapés part d’un bon postulat.  »
      Comme le dit l’auteur de l’article les handicapés moteur ont le droit de vote. Seuls ceux qui sont sous tutelle curatelle ne l’ont pas.
      Une personne sous tutelle n’est pas responsable de ses actes, elle n’est donc pas libre. Lui donner le droit de vote, c’est aussi la rendre responsable de ses actes. La protection dont elle bénéficie s’évapore.
      La responsabilité ne doit pas être redonnée aux handicapés, elle doit etre rendue à TOUS les citoyens, rendus libres.

      La C.N.C.D.H devrait relire le texte originel duquel elle tire son acronyme.

      • On ne met pas sous tutelle ou curatelle des personnes dont le jugement n’est pas altéré, qui sont capables de réfléchir et de prendre des décisions en toute lucidité!

        • @Mariah
          Bonjour,
          …. oui tout à fait. Et ?
          Les personnes sous curatelle ou tutelle sont incapables de se prendre en charge, et sont donc à la charge d’autrui, un particulier ou une institution. C’est la même chose que pour les cas pshychiatriques qui ne sont pas reconnus responsables de leurs actes. Du coup, quelle serait la prochaine étape ? Donner le droit de vote aux psychonévropathes ? aux criminels enfermés ?
          Certes, des morts ont eu le droit de vote et ont voté, on n’est plus à ça près dans notre « République démocratique » !

          • En plus en ce moment, on veut nous faire passer la pillule comme quoi un bonhomme de 50 piges passées, mari et père, qui s’habille et se comporte comme une fillette de 6 ans est tout à fait normal.

  • Il faut vraiment manquer de jugeote pour mettre dans le même sac et à égalité de conditions les handicapés physiques et les handicapés mentaux! Les personnes mises sous tutelle sont incapables de gérer leurs propres affaires, de prendre des décisions de bon sens. Elles sont tout aussi incapables de voter qu’un nouveau-né! Ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de gens sans jugeotte qui ont le droit de vote qu’il convient d’en généraliser la pratique!

  • « notre système contrevient au droit international. »
    Le droit international est le cache-sexe des constructivistes.
    Vous aimeriez contester une loi ou mesure débile fortement imprégnée d’idéologie? Hop-hop ma petite dame, vous n’y pensez pas, c’est in-ter-na-tio-nal, on vous dit; circulez, y a rien à penser.

  • Manie gauchiste de l’égalitarisme sans considérer la diversité des situations. Avec toujours la même argumentation qui consiste à « noyer » le poisson. Faire des enfants sans père, ben oui, puisque ça existe déjà…
    Je propse qu’on donne le droit de vote à partir de 4 ans.

  • Je serais curieuse de savoir le nombre de personnes que cela représente . Nul doute qu ils iront tous la fleur au fusil exercer ce droit tout beau tout neuf et en féliciter l instigateur. ….

  • En ma qualité d’avocat je suis effaré de l’incurie juridique des personnes qui proposent cette mesure. Une personne sous tutelle est un incapable majeur, ce qui signifie qu’elle ne peut souscrire aucun contrat sous peine de nullité de ce dernier. En quoi son état lui permettrait-il de participer à un vote qui découle du droit pour un citoyen de souscrire un contrat social? Il est évident que ce ne sera pas la personne sous tutelle qui votera mais son tuteur autorisé par le juge des tutelles qui votera à sa place. Voilà comment nos dirigeants espèrent manipuler les suffrages des incapables majeurs !

    • c’st tout simplement lamentable

    • @Bigwood
      Bonjour,
      « Il est évident que ce ne sera pas la personne sous tutelle qui votera mais son tuteur autorisé par le juge des tutelles qui votera à sa place. »
      Ca revient presqu’à donner deux voies à un seul citoyen. Vous me direz que c’est pareil pour les procurations entre citoyens valides.

       » Voilà comment nos dirigeants espèrent manipuler les suffrages des incapables majeurs ! »
      Ils sentent que ça sent mauvais pour leurs séants et leurs ‘zacquis’. Alors ils font comme Louis Napoléon, qui a fait passer le suffrage universel (avec un peu beaucoup de triche) pour se faire élire président à vie, par des incultes, bien que braves mais illétrés et trompés par les ‘élites’, maires des communes par exemple.

  • Au sujet du droit international : les Suisses (encore eux !) votent le 25 novembre pour décider si le droit national doit primer sur le droit international ou l’inverse. https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations/20181125.html

  • Ca fait longtemps que nous sommes tous sous tutelle me semble-t-il.

  • Les commentaires sont fermés.

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