Chine : l’anthropologue ouïghoure Rahile Dawut emprisonnée secrètement

L’anthropologue ouïghoure Dr. Rahile Dawut, disparue depuis 2017, a été condamnée secrètement à la perpétuité par la Chine. Un acte qui dévoile une répression plus large contre les Ouïghours.

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Chine : l’anthropologue ouïghoure Rahile Dawut emprisonnée secrètement

Publié le 4 octobre 2023
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Le 21 septembre dernier, la Fondation Dui Hua a révélé que l’anthropologue ouïghoure Dr. Rahile Dawut (راھىلە داۋۇت, 热依拉 · 达吾提) a été condamnée en 2018 à une peine de réclusion à perpétuité par les autorités chinoises, pour des accusations de mise en danger de la sécurité de l’État. Depuis la disparition de Rahile Dawut en 2017, la Fondation Dui Hua a demandé 28 fois au gouvernement chinois des informations sur son cas, mais n’a reçu confirmation de son sort que très récemment.

La fille de Dawut, Akida Pulat, a déclaré au China Project qu’elle était « révoltée » que sa mère, une anthropologue dont le travail de toute une vie visait à préserver la culture ouïghoure soit traitée si sévèrement.

« Je veux dire au gouvernement chinois : Vous montrez au monde que vous n’avez aucune pitié en donnant à ma mère innocente une peine de réclusion à perpétuité, » a déclaré Akida Pulat depuis son domicile à Seattle. « Je vous demande de faire preuve de clémence ! »

 

Un procès secret caché pendant 5 ans

Ces informations ont été cachées à la famille de Rahile Dawut pendant cinq longues années. Le procès secret et la sentence secrète en disent long sur les crimes du gouvernement chinois.

Le secret même montre qu’il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire ordinaire : il s’agit d’un crime contre les droits humains fondamentaux. Son seul crime était d’être une anthropologue étudiant la culture et l’héritage ouïghours.

Les hommages de collègues, d’anciens étudiants et d’amis ont envahi les réseaux sociaux après que la Fondation Dui Hua a rapporté qu’un tribunal chinois avait rejeté l’appel de Dawut concernant une condamnation de 2018 pour des accusations de « séparatisme » (分裂国家罪 fēnliè guójiā zuì), ou sécession. Comme le rappelle le China Project, l’article 103 du droit pénal chinois impose une peine de « pas moins de 10 ans » et jusqu’à la réclusion à perpétuité pour les personnes reconnues coupables.

Rahile Dawut est originaire du Xinjiang, une région du nord-ouest de la Chine trois fois plus grande que la France, qui subit une stricte répression d’État contre les Ouïghours et les autres peuples turciques principalement musulmans depuis 2016.

Dawut a été arrêtée en décembre 2017 par la police chinoise à l’aéroport Capital de Pékin, après avoir quitté le Xinjiang en route vers une conférence académique dans la ville. Sa disparition déclencha une recherche de 6 années par la Fondation Dui Hua parmi ses contacts en Chine.

Ce n’est qu’en juillet 2021 que ses anciens collègues ont confirmé sa détention. Mais sa famille et ses soutiens, y compris les nombreuses universités américaines où elle avait été chercheuse invitée, étaient toujours maintenus dans l’ignorance quant à l’issue de son procès et son bien-être.

 

Un engagement académique pour la préservation de la culture ouïghoure

Rahile Dawut, une érudite de renommée internationale spécialisée dans le folklore et les traditions ouïghoures, avait consacré sa vie à la préservation et à la diffusion de la culture ouïghoure. Son emprisonnement injuste est non seulement une tragédie pour elle et sa famille, mais aussi une grave perte pour la liberté académique, la préservation culturelle, et les droits humains.

Les contributions de Rahile Dawut à la connaissance ouïghoure et son excellence académique étaient largement reconnues. Elle était professeure associée à l’Institut des Sciences Humaines de l’Université du Xinjiang. En 2007, elle a fondé le Centre de Recherche sur le Folklore des Minorités à l’Université du Xinjiang, dans la capitale du Xinjiang, Ürümqi, où elle a continué à enseigner jusqu’en 2017.

Rahile Dawut était chercheuse invitée à Harvard, Cambridge, l’Université de Pennsylvanie et l’Université de Washington. Ses recherches et initiatives ont même reçu le parrainage et le soutien du gouvernement chinois. En 2018 elle était décrite dans le New York Times comme « l’une des universitaires les plus vénérées de la minorité ethnique ouïghoure dans l’extrême ouest de la Chine. »

Rahile Dawut a écrit de nombreux livres et articles de recherche au fil des ans, mais la publication qui l’a le plus rendue chère aux Ouïghours était son mince volume détaillant les histoires et les emplacements de centaines de mazars, les tombes de saints et de héros bien-aimés des Ouïghours, des sanctuaires parsemant le paysage désertique du Xinjiang.

 

Une destruction systématique de la culture et de l’identité ouïghoure

La confirmation de la sentence draconienne de Rahile est arrivée juste deux jours avant le neuvième anniversaire de la peine de réclusion à perpétuité infligée à un autre universitaire ouïghour éminent, le Dr. Ilham Tohti, professeur associé d’économie à la Central University of Nationalities à Pékin. Ce dernier a été emprisonné pour avoir plaidé en faveur des droits économiques, culturels, religieux et politiques fondamentaux pour les Ouïghours. Ces peines sévères pour les intellectuels ouïghours font partie d’un phénomène plus large de persécution et d’effacement culturel qui constitue un élément important de la campagne génocidaire du Parti communiste chinois dans la région du Xinjiang.

Parmi les personnes détenues figurent des leaders religieux et des centaines d’universitaires, auteurs et poètes. Beaucoup ont été envoyés dans des installations d’internement de masse pour subir une « rééducation. » Des milliers ont été condamnés à des décennies de prison, souvent de manière extrajudiciaire.

Selon le Uyghur Human Rights Project à Washington, D.C., environ 435 chercheurs et universitaires du Xinjiang ont été muselés, arrêtés, emprisonnés, ou ont tout simplement disparu, contribuant à la plus grande répression de la liberté académique en Chine depuis la révolution culturelle. La destruction de l’élite intellectuelle et culturelle ouïghoure relève d’une stratégie pour nuire à l’identité ouïghoure même.

La rhétorique étatique d’un Xinjiang ouvert et « harmonieux » est une propagande honteuse visant à blanchir les politiques d’effacement culturel et d’oppression systématique. Des universitaires innocents comme Rahile Dawut sont écrasés au service de la politique du PCC visant à effacer l’héritage et l’identité distincts des Ouïghours.

À titre d’illustration, en décembre 2017 (ce qui coïncide avec son arrestation à Pékin), le Parti communiste chinois s’attelait à détruire l’Ordam Mazar qui était au cœur de la recherche de Rahile Dawut. Comme expliqué dans un rapport du chercheur Nathan Ruser pour l’ASPI :

« Ordam Mazar (sanctuaire de la ville royale) était un petit village d’environ 50 structures dans le grand désert de Bughra. Situé à mi-chemin entre Kashgar et Yarkant, il était entouré de kilomètres de désert et était célébré comme le lieu d’où l’Islam s’est répandu dans la région.

Il marquait le site où, en 998 après J. -C., Ali Arslan Khan, le petit-fils du premier roi ouïghour musulman est mort lors d’une bataille pour conquérir le royaume bouddhiste de Hotan. Le martyre d’Ali Arslan était marqué par un festival chaque année, attirant des pèlerins ouïghours de tout le sud du Xinjiang au début du dixième mois islamique de Muharram. »

Nathan Ruser relate que des dizaines de milliers de personnes visitaient le site avant que le festival ne soit interdit en 1997. Depuis lors, la zone a été bouclée par le PCC. D’après l’analyse d’images satellites par l’ASPI, entre le 24 novembre et le 24 décembre 2017, l’intégralité du site d’Ordam Mazar a été rasée.

D’après Nathan Ruser, cet effort de destruction d’un site sacré « suggère que la démolition représente non seulement la restriction des libertés religieuses au Xinjiang, mais aussi la coupure délibérée des liens que les Ouïghours entretiennent avec leur patrimoine culturel, leur histoire, leur paysage et leur identité. »

En fin de compte, l’emprisonnement à vie de Rahile Dawut représente donc, non seulement une tragédie personnelle, mais aussi un n-ième élément de l’attaque plus large contre la culture et l’identité ouïghoures. Nous devons faire preuve de solidarité envers Rahile Dawut, sa famille et le peuple ouïghour, et exiger justice, liberté et respect des droits humains fondamentaux face à l’oppression et à la destruction culturelle du Parti communiste chinois.

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  • Savez-vous qu’il y a en Europe plus d’articles concernant les ouïghours que la somme totale des articles concernant les persécutions des chrétiens d’Orient et du Pakistan ?
    Comment expliquez vous cela ?

    • les états parlent et scrutent les états.. des musulmans brulent un église c’est différent d’un etat met en prison un chretien.

      ici c’est une minorité persécutée par un état ailleurs parfois mais pas toujours..
      c’est pas pareil en effet..
      dans un cas on peut donner des leçons de libéralisme à la chine dans l’autre omet le doigt dans une guerre de religion..qu’on peut importer..

      le concept de crime d’islmophobie sans un pendant crime de christianophobie d’ailleurs, m’ennuie , en ce qui concerne mes libertés, davantage..

    • Pourquoi poser une telle question, à laquelle vous savez bien évidemment répondre. Un état ne s’offusque pas d’un évènement si cela peut lui nuire.
      Il est politiquement en France bien plus risqué de dénoncer les actions d’un état musulman que de la Chine, voilà tout. On n’entend jamais parler des violations des droits de l’homme et des exactions de l’autorité palestinienne par exemple…

  • La Chine toujours pareille à soi-même…

    -1
  • Il faudrait peut-être que les Ouïghours fassent appel au champion incontesté du panturquisme et de la protection des musulmans opprimés dans le monde, je suis sûr que monsieur Erdogan sera sensible à leurs souffrances et saura faire entendre leur cause à monsieur Xi. Après tout, quand on critique la politique d’oppression systématique de la France vis-à-vis des musulmans, on doit pouvoir aussi faire des remarques sur une véritable génocide, non ?

    • Non, c’est une guerre de religion, pas un génocide. Perso, je ne prends pas parti dans les guerres de religion lointaines, je n’ai aucune envie de les importer chez moi.

    • Les pays musulmans ne sont pas du tout solidaires entre eux. Lorsqu’il y a une guerre, aucun réfugié ne part dans les pays du golfe par exemple. Je veux dire sauf en tant qu’esclave.
      Bref, pour Erdogan, les Ouighour peuvent tous mourir, il s’en fout. A moins que la Chine ne le paye pour les prendre. Mais bon, ça coute moins cher de les éliminer.

  • Xinjiang, « nouvelle frontière » en mandarin, est en effet le Turkestan Oriental occupé par les armes de la Chine de Mao il n’y a pas si longtemps et subit un sort comparable à celui du Tibet qui n’a pas plus de raison d’être chinois, a fortiori communiste. Régions dites « autonomes » dont les autochtones devenus minoritaires sur leurs terres sont « rééduqués » voire neutralisés (vaporisés?) pour les plus cultivés.
    L’histoire suit son cours ordinaire.

  • En gros, les Ouïghours par rapport à Pékin, c’est comme le Donbass par rapport à Kiev ?

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