Accord ArtPrice-Artron : vers des marchés de l’art concurrentiels ?

Le monde futur de l’art sans frontières sera probablement celui d’une véritable diversité créatrice plutôt que d’une uniformisation globale.

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Fiac 2012 By: g.sighele - CC BY 2.0

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Accord ArtPrice-Artron : vers des marchés de l’art concurrentiels ?

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Publié le 24 octobre 2018
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Par Aude de Kerros.

Le 17 octobre, alors que l’on sable le champagne pour l’inauguration de la FIAC à Paris, un évènement remet en cause trente années d’hégémonie d’Art contemporain, international, orchestré par New York : lors d’une conférence de presse est annoncée la signature d’un accord commercial entre les deux plus grandes banques de données sur l’art : Art Price et Artron.

Art Price est une société privée française, devenue le n°1 mondial du Big data dans domaine du marché de l’art. Elle est aussi une place de marché de l’art en ligne.

Artron est une société de services crée par l’État chinois pour assurer des fonctions, inexistantes jusque- là, indispensables au marché de l’art : salle des ventes, site Internet répertoriant œuvres et artistes, production de livres d’art, etc.  Elle a constitué également une banque de données pour l’art ancien, moderne et contemporain chinois… les artistes, y vivant aujourd’hui de leur art, sont évalués à 1 million.

Ces deux sociétés en s’alliant ont pour objectif de faire circuler entre elles les données du marché et abattre ainsi la double barrière qui isole encore la Chine du reste du monde : la langue et l’isolement numérique. D’une part, elles ont réalisé la traduction nécessaire des datas, d’autre part, par cet accord, la Chine qui se protège de l’hégémonie des GAFA en ayant son propre système Internet, donne à Art Price le privilège d’y entrer. Il en résulte que la coupure qui a longuement séparé les deux faces de l’Eurasie s’efface progressivement. Dans le domaine particulier de l’art, l’information va faire désormais le tour du monde.

Un troisième élément parachève cette transformation du marché : le commerce de l’art entre l’Est et l’Ouest devient fluide grâce à la vente en ligne passant pour le paiement par WeChat, application chinoise fonctionnant dans les deux sens. L’instrument informatique Xylogic acquis par Art Price permet la mise aux normes du marché chinois au marché mondial, réglant problèmes douaniers et fiscaux. Enfin l’utilisation de Blockchain garantit l’authenticité et traçabilité des œuvres.  Le 18 octobre, à l’heure où la FIAC ouvre ses portes, le titre d’Art Price a déjà pris 10 % en Bourse.

Deux conceptions de l’Art sont désormais concurrentes

Depuis 2010, la Chine, par le montant de ses transactions, s’approche, égale ou dépasse le niveau du marché américain. Cependant, si elle pèse dans les salles des ventes en particulier chinoises, elle est plutôt tenue à l’écart des Foires, institutions internationales – à l’exception des artistes chinois pris en charge par le haut marché de l’Art contemporain occidental qui se plient à ses règles du jeu financières et critiques.

L’accord commercial Arton-Art Price, fort de ses datas, ses sites de vente et de la volonté politique chinoise de ne pas se soumettre entièrement aux diktats newyorkais, change la donne parce qu’elle fait apparaître une concurrence entre deux conceptions différentes de l’art.  

  • Celle de New York défendant un art essentiellement conceptuel, imposé en amont par les réseaux fermés de collectionneurs à la richesse hors normes, et par un maillage mondial d’Institutions, Foires, maisons de ventes internationales respectant les caractéristiques du label « contemporain » et « international » ;
  • Celle de Thierry Ehrmann, grand « disrupteur », partisan du libéralisme, ayant foi en la vertu du marché débarrassé des intermédiaires parasites, alliée à celle de l’État chinois qui admet tous les courants, du conceptualisme le plus hard au classicisme le plus pur, en incluant les artistes singuliers, les arts ethniques, l’art brut, le street art, etc.

Or, une observation internationale non exclusive de l’art aujourd’hui montre en effet une grande diversité de courants esthétiques ou conceptuels, savants ou non. Ils sont là, à la fois contemporains et internationaux.

ArtPrice et Artron, avec les moyens dont ils disposent, peuvent rendre cette réalité beaucoup plus visible. Leur ambition est de faire ainsi émerger des marchés de la demande, ouverts à des amateurs de tous les niveaux de fortune, cultivés ou non – très différents du marché de l’offre, unique celui-là, propre à l’Art contemporain du système New York, conçu pour des collectionneurs hyper riches et affairistes plutôt qu’amateurs et cultivés. Ces marchés de la demande seront visibles en raison de leur différence et particularité et non pas de leurs cotations sidérantes, transgression spectaculairehyper visibilité médiatique. Cette conception réaliste et libérale de la création a de grandes chances d’être largement reconnue et adoptée au-delà du cercle Occidental.

Quelques faits récents confirment le changement de modèle en cours. Depuis 2012 on voit apparaître sur le très haut marché, réservé depuis 30 ans au « contemporain-conceptuel », de nombreuses œuvres chinoises qui ont atteint les cotes du très haut marché, entre 1 M$ et 58 M$. Ce sont pourtant des peintres vivants, dans la suite de l’art, ne pratiquant pas la rupture systématique.

Ce fait est une légitimation par le marché d’un art jusque-là exclu… le monde futur de l’art sans frontières sera probablement celui d’une véritable diversité créatrice plutôt que d’une uniformisation globale. Il fera place à tous les courants, y compris aux pratiques cultivées et virtuoses, dans la suite des civilisations et pas seulement en rupture. 

À la question posée par la presse à Jennifer Flay, grande maîtresse de la FIAC, comment se porte le marché de l’art ? Elle répond : « Le marché se porte bien pour les valeurs sûres », comprenez les œuvres d’AC de plus d’1 M$. Ce qui veut dire que le problème structurel de ce marché est sa difficulté à se renouveler, par manque d’apports. Quand un art devient un produit financier, les garanties sont exigibles…

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  • Lire que l’irruption de l’Etat chinois dans le marché de l’art participe à la Grande Oeuvre du libéralisme… ça pique un peu les yeux !

    • Si j’ai bien compris, le marché de l’art chinois est un monstre éternel, qui va juste engloutir le reste du monde pour son petit déjeuner. Dans l’affaire, il est remarquable que la connivence occidentale n’y entre pas, mais seulement le bon côté du prix de marché. L’économie dictatoriale socialiste de marché vaut bien l’économie démocratique socialiste de décisions étatiques sur un certain nombre de points, la progression du niveau de vie de la classe moyenne ces dernières décennies dans les deux configurations montre que les despotismes seuls peuvent être éclairés…

    • sur bien des point, à l’exception de la critique du régime, la Chine est pourtant bien plus libérale que nous… balladez-vous avec une personne locale dans une rue d’un quartier d’une ville chinoise pour le voir (je ne parle pas des quartiers Disneyland comme le « vieux Shaghai »)

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