De l’hégémonie de l’Art contemporain à la concurrence

Le doute sur la pérennité de l’Art Contemporain ronge à juste titre les responsables des portefeuilles financiers. C’est dans ce contexte que réapparaît l’objet merveilleux….

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De l’hégémonie de l’Art contemporain à la concurrence

Publié le 19 septembre 2017
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Par Aude de Kerros.

La disparition de l’objet merveilleux de l’offre et de la visibilité

Les objets merveilleux ont pendant quelques décennies disparu de la visibilité de l’offre artistique. Ils restèrent cachés, rares, réservés à des amateurs discrets, pour leur plaisir. Jugés inégalitaires, trop universels, pas assez global-kitsch, ils furent rejetés par l’intelligentsia et les médias. À l’ère du produit artistique, financier, dérivé, sécurisé, ces objets n’étaient pas sériels, avaient  trop de valeur intrinsèque : matériaux nobles, virtuosité, génie, sens.

Un haut lieu de présentation de ces objets merveilleux persista cependant à Paris contre vents et marées entre 1993 et 2011 : le prestigieux centre d’art Mitsukoshi,  créé par le mécénat privé japonais, conçu comme un écrin, pour faire connaître en Europe les œuvres des maîtres japonais, considérés comme des « trésors vivants ».

Ce lieu d’exception  eut le malheur d’apporter la preuve qu’il était possible de créer dans le sillage d’une tradition millénaire. Les Institutions françaises n’ont pas admis cette modernité sans rupture. Ministère de la Culture, des Affaires Étrangères et Ville de Paris, ont ignoré avec ostentation le Centre Mitsukoshi, entraînant après eux les médias.

Retour de quelques « objets merveilleux »

Les expositions prestigieuses ont donc été quasi invisibles durant dix-huit ans…  découragés par ce mur de silence, les mécènes ont fermé les portes de ce lieu, avec le goût amer de l’échec.

Au mois de mai  2017 quelques « objets merveilleux » ont réapparu au Musée des Arts Décoratifs. Gonzague Mézin en est l’auteur. Créateur solitaire, il a eu l’idée de relever en 2015 le nom de la maison Lignereux, crée en 1787 pour disparaître en 1804. Elle a fourni rois et princes en objets de rêve et d’exception.

Les premières œuvres de Gonzague Mézin ont été exposées dans les salles consacrées aux productions de cette célèbre maison. Contrairement aux maîtres dinandiers Goudgi et Hervé Wahlen, autres créateurs actuels d’objets merveilleux1, qui font de leurs mains toute leur œuvre, ce jeune créateur joue plutôt le rôle de chef d’orchestre en mettant à contribution plusieurs artistes et artisans dans la confection d’un objet.

Ainsi il accorde doreurs et céramistes, pour réaliser un projet longuement mûri : reprendre l’idée traditionnelle chinoise du socle en métal doré portant une céramique accompagnée d’ornements comprenant parfois plusieurs matières précieuses.

Le phénomène n’est pas sans portée et signification… la lassitude est extrême et générale vis-à-vis d’objets sériels, recherchés pour leur vulgarité et vacuité, occupant des hauteurs monétaires dépassant le million de dollars, réescomptés par ministères, institutions et très riches collectionneurs.

Le doute sur la pérennité de l’AC ronge à juste titre les responsables des portefeuilles financiers2. C’est dans ce contexte que réapparaît l’objet merveilleux….

La valeur géopolitique de « l’objet merveilleux »  

La « merveille » de Gonzague Mézin en mai 2017 au Musée des Arts Décoratifs fut suivie d’une autre en juillet 2017 dans ce  même lieu. Elle fut apportée par une délégation chinoise et montrée  à un public convié à apprécier un aspect méconnu de l’art chinois actuel. Solitaire était la démarche de Gonzague Mézin, officielle  et politique fut celle de la mission diplomatique chinoise…

Celle-ci, lors d’une réception, ouvre solennellement un coffre en bois de rose sculpté au fermoir en or.

L’écrin semble alors se déplier comme un éventail et laisse apparaître un paysage chinois sculpté dans le jade. Le public aperçoit un roseau aux feuilles d’or, une montagne, un rocher sur lequel se dresse un coq multicolore aux quatre yeux, serti de diamants, émeraudes rubis et perles.

Deux oisillons au duvet scintillant semblent prendre leur vol. Le coq et ses poussins symbolisent l’aurore, l’origine du monde, la création. C’est le premier signe du grand cycle zodiacal chinois. L’objet merveilleux est un écrin à bijoux destiné à une reine : les oisillons sont des boucles d’oreille, le coq est une broche, un anneau du roseau  devient bracelet, une pousse forme le collier.

L’art chinois à l’honneur

Ce chef d’œuvre a lui aussi été conçu par un « chef d’orchestre » : Deng Dingsan, grand érudit, expert en objets d’art, artiste lui-même, producteur renommé de documentaires sur l’art chinois. Il a allié le travail virtuose de trois grands maîtres chinois : le sculpteur sur jade, Wang Shuwen, le sertisseur de pierres précieuses Feng Daoming, l’orfèvre Liu Hongbao, virtuose de l’or cloisonné.

On retrouve dans cette « merveille » qui veut « honorer la Chine », noble matière, beau métier, sens fort,  désir de beauté et d’enchantement… tout ce qu’interdit la doxa de l’Art contemporain financier.

Fin de l’hégémonie ? Le monde serait-il devenu pluri-polaire ?

C’est un fait, le tournant est historique, depuis 2013 la Chine est presque constamment au premier rang du marché de l’Art contemporain. Elle  ne se comporte pas cependant en suiveur de New York.

Elle fait certes la promotion d’artistes contemporains conceptuels selon les critères de New York, mais consacre aussi les peintres de la suite de l’Art chinois en les cotant au même niveau que l’AC3.

Ainsi elle tire parti du système de l’art financier, de ses fonctions de com., de vie relationnelle globale, tout en défendant l’identité de l’art chinois. D’autres pays émergeants, reconnaissant la pertinence de ce libéralisme artistique qui respecte la concurrence, suivent son exemple.

La rivalité entre les deux leaders du marché des arts actuels, Chine et USA, fait de l’Europe un enjeu majeur. Celle-ci pour l’instant est dans un docile suivisme de New York : religion multiculturaliste pour les masses – global kitsch pour les élites financières.

Deux conceptions qui s’affrontent

La France est au cœur de la convoitise, jadis en tête du marché de l’art, elle ne représente plus que 4% du marché et ses artistes sont inconnus à l’intérieur et hors de ses frontières.  Sa direction bureaucratique, ses inspecteurs de la création (sic), pendant 37 ans, ont apporté leur collaboration militante au système de New York.

Deux conceptions s’affrontent désormais sur la notion de haute valeur artistique. La Chine dans ce nouveau jeu a une grande supériorité sur la France : elle admet l’Art contemporain financier sans renier le grand’art pour autant…

Certains affirment que c’est sans conséquence… que la Chine est un marché fermé sur lui-même qui n’influence pas les goûts du monde… c’est sans compter sur le fait qu’il y a plus d’universalité dans les critères du beau, même emprunts de subjectivité et de préférences culturelles, que dans le sadomasochisme critique et conceptuel de l’AC. Par ailleurs, ce sont aujourd’hui les Chinois qui collectionnent la suite de l’art Occidental. Il y a donc réelle concurrence…

Un monde multipolaire

Nous sommes en 2017 dans un monde culturel international tout à fait nouveau. Il est désormais multipolaire et clôt un épisode hégémonique de trois décennies, après un long épisode bipolaire où l’Amérique s’est affrontée dans une guerre froide culturelle au système soviétique .

Plus encore, le président Xi Jinping s’est donné comme mission de réaliser le rêve chinois : être une grande puissance reconnue mais aussi une grande civilisation. C’est le sens de sa détermination à ressusciter la nouvelle route de la soie à la fois commerciale, politique et culturelle.

Il a voulu incarner cette stratégie politique d’influence, en faisant la commande de douze objets merveilleux sortis de mains de maîtres, fabriquées au long de douze années, illustrant le cycle du temps. Elles fondent symboliquement ce nouvel axe d’échanges qui souhaite déplacer le centre géopolitique du monde de New York au cœur du continent Eurasien.

Elles sont destinées à faire le tour du monde avant d’être exposées dans un grand musée chinois. Le monde doit compter avec la Chine, non comme une vulgaire ressource mondiale de travailleurs mal payés, mais en tant que civilisation.

Tel était le sens de la présentation de « l’objet merveilleux » au Musée des Arts décoratifs, en juillet 2017, par la mission diplomatique à laquelle aucun officiel du ministère de la Culture, du ministère des affaires étrangères et de la ville de Paris n’a eu la sagesse d’assister, pas plus que les grands médias.

De la politique manipulatrice à l’influence par la séduction 

Au contraire de ce qui est souvent pensé, l’État Chinois conçoit le travail d’influence comme une démarche de séduction, d’échange entre civilisations ayant une portée universelle. il honore ainsi l’autre civilisation à laquelle il s’adresse dans une relation entre égaux.

Il n’agit pas par manipulation secrète comme ce fut le cas des USA lors de guerre froide culturelle, puis de la période hégémonique aujourd’hui révolue, consacrant financièrement des œuvres essentiellement provocatrices, niant, ridiculisant, culpabilisant toute civilisation afin de mieux soumettre ses concurrents.

La Chine agit ici plutôt selon une tradition diplomatique jadis partagée universellement. Il n’y a pas si longtemps le Général de Gaulle utilisait la Joconde comme ambassadrice aux États-Unis.

Offrandes diplomatiques comparées – Global Kitsch contre Grand’art

Il n’est plus tout à fait exact en 2017 de parler d’un soft power américain œuvrant à assurer son hégémonie en dévalorisant la culture européenne parce qu’elle fait ombre aux cultures du monde dont elle défend vertueusement la diversité.

Il est plus juste aujourd’hui d’évoquer un travail de propagande plus « supra national », fabriquant les cotes global kitsch sur la place financière de New York.

En France la politique culturelle des institutions collabore à la légitimation civilisationnelle des artistes du très haut marché, offrant les hauts lieux, sous le prétexte d’une vertueuse mission :  mater l’insupportable french arrogance.

Ainsi Jeef Koons met « Versailles en abîme », Anish Kapoor déshonore la reine en exhibant son vagin, Paul Mac Carthy, dresse un plug anal place Vendôme… avec l’argent du contribuable.

La catastrophe esthétique Koons

En 2017 également, a eu lieu l’annonce du royal cadeau de Jeef Koons à la municipalité de Paris : le concept de fleurs en plastique aux couleurs criardes, à installer devant le Palais de Tokyo. Le but étant d’opérer « un nécessaire travail de rupture et de déconstruction » de l’harmonie visuelle d’une architecture des années trente et d’un ensemble de statues des plus grands sculpteurs du XXème siècle..

Pétitions, lettres et signatures ont immédiatement circulé pour éviter la catastrophe esthétique de 3 millions d’euros imposée aux contribuables (seul le concept est offert). Quelques mois après le début de la résistance au projet on a pu lire dans Le Monde un article où Robert M. Rubin, ancien Président du Centre Pompidou Fondation,  association américaine pourvoyant le Musée en œuvres américaines, contribuant à leur légitimation, dénonce l’inélégance du procédé.

La soumission des institutions françaises au marché financier de l’art apparaît aujourd’hui au grand public non seulement aberrante mais incompatible avec la déontologie du Service Public. Leur unique ligne de défense qui consiste à dénoncer le populisme d’un public non éduqué – ne tient pas. Ce sont les élites qui paraissent barbares.

À l’échelle du monde, au-delà du microcosme français de la rue de Valois, les hommes ont aujourd’hui la possibilité de choisir entre un art global kitsch nomade et totalitaire et le libre échange des arts et des cultures.

  1. Goudgi est défendu par la Galerie Claude Bernard. Hervé Wahlen par la Galerie Michel Giraud.
  2.  Ce marché très « financier » a stagné en 2015-2016, repart en 2017.
  3.  AC acronyme de « Art contemporain » qui a l’avantage d’éviter la confusion entre une pratique conceptuelle et financière dominante et tout l’art d’aujourd’hui.
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  • « Il n’agit pas par manipulation secrète comme ce fut le cas des USA lors de guerre froide culturelle, puis de la période hégémonique aujourd’hui révolue, consacrant financièrement des Å“uvres essentiellement provocatrices, niant, ridiculisant, culpabilisant toute civilisation afin de mieux soumettre ses concurrents ».
    Voulez-vous dire que dans un pays où il n’y a même pas de ministère de la culture, il y a des gens qui ont créé et développé l’AC dans un but uniquement politique? C’est une accusation grave qui mérite des sources – spécialement lorsqu’elle est couplée à un éloge suspect de la politique culturelle chinoise (pays où, faut-il le rappeler, il y a eu effectivement une tentative de destruction culturelle totale sous Mao). On frise l’inversion accusatoire…
    J’ai malheureusement peur que nos « élites culturelles » n’ont pas eu besoin des américains pour les pousser dans le marais de l’AC.
    Et personnellement, si quelqu’un veut payer 3millions de dollars un bidule en plastique, je n’en ai cure, tant que cette valeur n’est pas artificiellement gonflée par des expositions payées sur fonds publics.

    • L’antiaméricanisme est avec l’étatisme le poison que sucent les intellectuels français, ainsi qu’une méconnaissance totale de l’histoire récente, comme cet oubli de la révolution culturelle le révèle! Le grand défaut de l’AC c’est le marché de l’art, il faut sans cesse de nouveaux objets à vendre, et donc on va chercher des charlatans se prétendant artistes, il y a toujours eu de mauvais artistes (les salles de ventes en regorgent), pour alimenter le marché. Les galeristes et marchands d’art font gonfler artificiellement les prix, et les journalistes bâtissent des notoriétés, ce qui nous donne des horreurs sans intérêt vendues pour des millions.

  • Voici ce qu’écrivit Marcel Duchamp à Hans Richter en 1962:
    Ce néo-dada qui se nomme maintenant Nouveau réalisme, Pop’art, Assemblage… est une distraction à bon marché qui vit de ce que Dada a fait. Lorsque j’ai découvert les ready-made, j’espérais décourager ce carnaval d’esthétisme. Mais les néo-dadaïstes utilisent les ready-made pour leur découvrir une valeur esthétique. Je leur ai jeté le Porte-bouteilles et l’Urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu’ils en admirent la beauté.
    Les bobos snobinards qui se pâment devant les ready-made, en invoquant justement Duchamp, révèlent ainsi leur sottise et leur ignorance artistique. Tout comme l’avait fait avant eux leurs prédécesseurs, face au tableau réalisé par la queue d’un âne suivant le gag de Dorgelès pour confondre les mêmes bobos de son époque.

  • L’art contemporain est le symbole de la décadence de notre société. C’est le symbole du relativisme actuelle. En effet, dans l’art classique, il y a une acceptation commune de ce qui est beau. Les artistes ont une même conception du beau. Pour qu’une oeuvre soit belle, il faut respecter certains critères. Plus dans l’art contemporain où les artistes peuvent faire ce qu’ils veulent et c’est laisser à la libre interprétation du spectateur. Ce qui conduit à une situation absurde car dans cette conception, tout se vaut, tout est beau. A chacun d’interpréter comme il entends l’oeuvre. Sauf que la réalité ce n’est pas cela. Tout ne se vaut pas. On ne peut pas interpréter les choses comme on l’entends il y a une réalité à respecter. A part les bobos gauchos, personne n’aime l’art contemporain. Demander à la plupart des gens ils vous diront qu’ils n’aiment pas. L’art contemporain est le symbole du refus de respecter toute hiérarchie, toute valeur,….C’est totalement absurde.

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