Réforme de l’État : la politique du rabot ne suffira pas

La révolution de l’État n’est toujours pas là alors que ses lourdeurs et inefficiences, non traitées lors des précédents mandats, sont aujourd’hui les principaux obstacles au changement.

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Réforme de l’État : la politique du rabot ne suffira pas

Publié le 8 septembre 2018
- A +

Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre

Les premières annonces, par le gouvernement, du projet de budget 2019 sont loin d’avoir déclenché l’enthousiasme. La plupart des commentateurs ont fait part de leur scepticisme, voire de leur déception : la baisse de la dépense publique poursuit une logique paramétrique, qui consiste à faire bouger divers indices pour aller chercher tous les euros possibles, sans sauter le pas d’une action publique rénovée. La révolution de l’État n’est toujours pas là alors que ses lourdeurs et inefficiences, non traitées lors des précédents mandats, sont aujourd’hui les principaux obstacles au changement.

Pour engager une grande réforme de l’action publique, la politique du rabot ne suffira pas. Cette révolution est l’un des grands enjeux du XXIe siècle. Elle est politique : les démocraties doivent inventer un nouveau cadre pour l’action collective partagée de populations plus diverses et ouvertes, alors que les Nations avaient été pensées pour des groupes homogènes et des flux économiques et humains lents. Elle est économique également : l’intervention publique, hier verticale et centrée sur la réglementation, migre progressivement vers l’incitation pour faciliter le déploiement du marché. Elle est sociale enfin, la collectivité devant inventer les nouvelles solidarités et de nouvelles formations, dans des contextes d’emploi mouvants.

Deux fonctions de l’État bouleversées

Dans ce contexte, deux fonctions de l’État sont profondément bouleversées. Celle de tiers de confiance d’abord, affectée par l’horizontalisation de la société et les changements technologiques en cours comme la blockchain1. Celle de gestionnaire et d’assureur du risque ensuite.

Or, force est de constater que le goût de l’administration pour le risque est modéré. Il n’est pas nul : un grand nombre de fonctionnaires prennent des risques énormes (il suffit de penser aux forces de l’ordre !). Mais dans la relation de l’administration au risque, c’est une réticence générale qui s’exprime.

Le Conseil d’État en fait l’analyse dans un rapport passionnant, piloté par Jean-Ludovic Silicani et publié au début de l’été2 : « L’action publique contemporaine peut apparaître marquée par le conservatisme et la routine ». La faible propension collective pour l’innovation et l’audace, à un moment où celles-ci sont plus que jamais nécessaires pour assurer le dynamisme de notre pays, peut s’avérer préjudiciable à l’intérêt général. Cette frilosité est structurelle : « les principaux motifs de cette « aversion » au risque sont plutôt à rechercher dans l’absence, parmi les décideurs publics et plus généralement au sein de la population, d’une culture et d’une pratique du risque ».

Le nouvel État qui se dessine

La révolution de l’administration appelle donc un changement de paradigme profond : elle doit apprendre à ré-apprivoiser le risque. Le rapport avance 32 propositions qui, chacune et ensemble, proposent un véritable changement de perspective de l’action publique. De mesure en mesure, c’est un nouvel État qui se dessine.

L’enjeu est essentiel car comme le rappelle Nassim Nicholas Taleb dans son dernier livre, Jouer sa peau, la prise de risque est ce qui fait le sel des sociétés libres. Le rapport du Conseil d’État le rappelle avec force et une très grande justesse : « dans une démocratie soucieuse du respect des libertés, les acteurs publics doivent assumer le risque de laisser les individus libres d’en prendre pour eux-mêmes ».

Sur le web

  1. L’Opinion, 27 aout 2018.
  2.  La prise en compte du risque dans la décision publique.
Voir les commentaires (7)

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  • J’adore la page 97 du rapport sur la prise en compte du risque dans la décision publique où il est écrit : « D’une manière générale, le caractère « mono-culturel » des décideurs publics, relevé dans de nombreuses études, est en lui-même un facteur de fragilisation des décisions. »
    Ben oui, aucune promotion interne réelle sur les emplois de direction qui sont captés par de jeunes adultes de 25 ans sans expérience réelle des difficultés de la vie.
    Et surtout : « pas de vagues ». C’est comme dans la scène du film Charlot soldat, lorsque l’obus n’a pas explosé : la chaîne hiérarchique se décharge sur le moins gradé.
    Pauvre France.
    Des lions menés par des ânes, ? Mais les lions – ceux qui n’ont pas quitté le pays- seraient-ils devenus des « sans-dents » ?

    • Les vrais lions sont des fainéants, ce sont les lionnes de leur harem qui chassent pour eux. Ca risque de ne pas passer avec le ministère de l’égalité lionne-lion.

      • Je faisais allusion au titre du livre de Charles Gave : « Des lions menés par des ânes ». publié en 2003.
        Extrait de sa présentation : « La zone euro, ou Euroland, et la France ne vont pas bien.
        Les lions ce sont les Français, les ânes, les fonctionnaires et la classe politique…
        Les politiques économiques, monétaires et sociales suivies aujourd’hui par le Vieux Continent ne sont pas assez libérales et n’entraîneront pas de croissance économique.
        En France, ce ne sont pas les entrepreneurs, les profits, les emplois qui croissent, c’est l’État, sa fonction dans l’économie, et le pouvoir des technocrates.
        Résultat: en vingt ans, notre pays est passé en Europe du troisième au onzième rang pour son niveau de vie.. ».
        Nous sommes en 2018 et « tout va bien », non ?

  • Ah le budget !
    Même si légèrement hors sujet, je voudrais partager ici une phrase de Mark Twain :
    ‘ A partir d’aujourd’hui je ne dépenserai pas plus d’argent que ce que je gagne, même si je dois emprunter pour cela… ‘

  • Que notre élite découvre pour elle même les vertus du risque me serait agréable. Beaucoup moins que par ses décisions elle en fasse courir aux autres (des risques).
    Comme ces prostituées qu’on précarise par pure ideologie abolitionniste.

  • Bonjour,
    La réforme de l’état ne peut être menée par ceux qui sont les bénéficiaires de l’immobilisme…
    Nos bataillons d’énarques ne risqueront pas de mettre à mal la fontaine de la bonne fortune dont ils s’abreuvent allégrement…
    Et ne réformeront pas un système qui a vocation à engraisser tout autant les promotions suivantes, au sein desquels ils auront peut être en sus, pu intégrer leur progéniture…
    Bref, pas la peine de compter sur les prébendiers de la machine étatique pour la faire avancer d’un iota…

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