Vous êtes pour quelle équipe ? Le retour indésirable du tribalisme

Les médias sociaux soufflent de manière inquiétante sur les braises du tribalisme, au détriment des individus. En sport comme en politique, c’est désormais eux contre nous, et ce n’est pas près de s’arranger.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Vous êtes pour quelle équipe ? Le retour indésirable du tribalisme

Publié le 18 juillet 2018
- A +

Par Frédéric Mas.

Dans son podcast publié ce lundi 16 juillet sur le site Econlib, l’économiste de Stanford Russ Roberts a choisi de parler de l’effet des médias sociaux sur le débat public et le système politique. S’il prend comme point d’appui la politique américaine, qui avec l’élection de Donald Trump s’est tout sauf apaisée, il estime que les considérations qu’il aborde peuvent être généralisées au-delà des frontières américaines, là où la révolution de l’information est portée par le web.

Si Roberts reconnaît sans problème les aspects positifs de la révolution numérique, en particulier pour celui qui sait retrouver et hiérarchiser le torrent d’informations que les moteurs de recherche mettent à disposition des utilisateurs, il s’inquiète de certaines résurgences de la pensée archaïque que cette grande transformation culturelle est en train de produire.

Les nouveaux médias : intensification de la concurrence et divertissement

L’arrivée d’internet sur le marché de l’information a accentué la concurrence entre médias. Face aux acteurs traditionnels se sont développés non seulement une foule de nouveaux compétiteurs online, mais aussi de commentateurs sur Facebook ou twitter.

Du coup, il est devenu plus difficile de gagner de l’argent dans le secteur, et la pression compétitive a obligé l’ensemble des acteurs à se repenser en fonction du web. Non seulement les acteurs ont changé, mais la nature même de l’information dispensée a évolué pour intégrer une véritable stratégie visant à attirer l’attention des clients. Ce besoin d’attention des internautes vient du fait que pour générer des revenus, c’est toujours l’afflux de visiteurs qui compte, et que cet afflux de visiteurs reste volatil. L’offre internet est tellement importante que si le client se lasse, il peut très bien passer à un autre média sans que ça ne lui coûte quoi que ce soit.

Les attentes des consommateurs d’information ont elles-mêmes évolué : Russ Roberts compare les nouveaux amateurs de débats politiques à ceux de sport. Ils souhaitent désormais être distraits, et soutiennent leurs camps comme on soutient des équipes de foot, avec les mêmes travers identitaires et émotionnels. On passe d’une éthique orientée vers la recherche de la vérité, avec plus ou moins de réussite, à la généralisation du divertissement. Cette re-formulation des débats conduit Russ Roberts à déplorer le nouveau tribalisme, cette tendance à se rassembler entre soi pour jouir des avantages réels ou supposés du groupe, qui s’est emparé de la politique.

Violence et intensité des débats

En effet, les réseaux sociaux amplifient les phénomènes de bulles identitaires et de tribalisme : chacun sélectionne ses informations et les contacts qui le confortent dans ses réflexions et ses certitudes, et ignore superbement le reste du monde ou les données qui vont à l’encontre de ses préjugés. Ce phénomène de bulles se double de la diabolisation des adversaires politiques, de ceux qui ne pensent pas comme le groupe choisi ou qui osent remettre en cause les opinions fétichisées par les uns et les autres.

Celui qui est hors du groupe est en dehors de l’Humanité : pour les conservateurs, il est devenu impensable d’être progressiste, et pour les progressistes, être conservateur tient du blasphème et de la folie. Comment résoudre des problèmes politiques aussi importants — et aussi clivants — que celui de l’immigration, de l’insécurité ou du chômage de masse si aucun terrain d’entente n’est possible ? Plus encore, les bulles informatives et les narrations singulières deviennent imperméables, et ne souffrent plus aucun feedback de la réalité, parfois brutale.

Pour Roberts, tout cela dénote une incapacité de plus en plus grande à se mettre à la place des autres, et à tenter de résoudre ses problèmes en passant par le dialogue rationnel. La crise identitaire qui morcelle les pays occidentaux serait-elle donc aussi une crise de la sympathie, qu’Adam Smith considérait comme l’élément central à l’origine de notre condition sociale et morale ?

Tribus contre Grande société

Comme le remarque Russ Roberts, le besoin humain d’appartenance à un groupe a sans doute une origine lointaine dans notre héritage biologique. C’est ce que suggèrent par exemple les travaux de Joshua Greene sur les tribus morales : le fait de favoriser les membres du groupe est un réflexe commun à l’Humanité toute entière. Inversement, ce sont les systèmes de coopérations élargis aux inconnus, comme les marchés ou les États modernes, qui sont des artifices nouveaux et singuliers, ceux de la Grande Société chère à Hayek.

Comment combattre cette atomisation du débat public et l’esprit de guerre civile ? En Europe, les solutions trouvées sont souvent pires que le mal. La France, en se dotant de lois combattant les fausses nouvelles, ne fera qu’empirer la situation. D’un côté elle donne au juge le rôle de police de la pensée, de l’autre, elle favorise la création d’un véritable marché noir des idées non conformistes : il y aura le cercle de plus en plus étroit des nouvelles contrôlées d’un côté, et de l’autre celui incontrôlable de la presse underground que les pouvoirs publics ne pourront maîtriser. La solution passe sans doute par une véritable réflexion sur la crise de l’éducation et sur la nécessité de conserver notre capacité collective à la délibération rationnelle, qui est l’épine dorsale du gouvernement représentatif.

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • il faut des valeurs communes pour vivre en société. A se demander si la succession des périodes de violence et de paix n’est pas « normale »..
    Le sang vaccine contre le sang pour un temps, la prospérité fait oublier ce qu’est la faim..

  • Sans oublier la multiplication des incivilités de toute nature et l’idiotie des collectivités locales qui suivent bêtement le culture nauséabonde instaurée par les extrémistes de la politique nationale, des médias grands responsables de cette situation ainsi que des associations extrémistes qui ont pignon sur rue avec l’argent public et qui ne font que de la destruction systématique de toutes les valeurs commune. Les guerres régulières avaient nivelées et réduits à néant tous ces extrêmes. C’est peut-être cela qui manque, Hélas !

  • L’abondance de l’information devient nuisible pour le plus grand nombre. Il faut une grande expérience pour sélectionner drastiquement. La qualité rédactionnelle, la rigueur de la construction, la pertinence des concepts peuvent constituer des critères. Mais ceux qui accèdent à ce savoir-faire sont statistiquement rares. Le tribalisme apparaît alors comme une solution : le groupe jugera. Voilà un nouveau facteur de recul de l’individualisme et probablement de la liberté.

  • Je ne comprends pas ce pessimisme! L’informatique et internet sont de nouveaux outils dont on peut constater les effets tous les jours.

    Mais un outil reste un outil, sans philosophie ni morale d’aucune sorte: il n’est ni bon ni mauvais en soi!

    Seul l’utilisateur peut être responsable de son usage personnel de l’outil: il peut mieux comprendre le monde, la vie … ou se « tribaliser » (= limiter sa pensée).

    À chacun de choisir sans ennuyer les autres!

    Il y a peu d’exemples de retours en arrière avec une innovation technologique (les ballons dirigeables après l’incendie du Zeppelin Hindenburg, peut-être).

    Sinon, le progrès technologique aide les gentils comme les méchants! Évidemment!
    De là à légiférer, c’est un pas que je ne veux pas franchir! La police et la justice comme les politiciens ont pour devoir d’évoluer aussi! La presse papier ou internet, aussi. Bien sûr, le lectorat peut devenir plus volatile et c’est tant mieux.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Trentième texte sur le sujet depuis 40 ans, le projet de loi immigration actuellement en discussion au Parlement s’inscrit dans une législation de plus en plus restrictive qui n’est pourtant pas parvenue à dépassionner la question dans le débat public.

Durcit le 14 novembre par le Sénat, le texte interroge sur la position libérale et les enjeux multiples que l’immigration frappe de plein fouet, contribuant à en faire un sujet clivant par excellence, alors même que la question de l’immigration climatique pointe le bout de son nez.

<... Poursuivre la lecture

L’humour, comme le sport, a toujours été politique. La preuve en est avec la dernière polémique en date provoquée par la saillie du chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice la semaine dernière.

Dans un contexte de résurgence du confit israélo-palestinien dans le débat public et des actes antisémites depuis l’attaque du Hamas il y a un mois, et qui constitue l’acte le plus meurtrier à l’égard de la communauté juive depuis 80 ans, ce qui était censé être un « bon mot » fait particulièrement tache au sein d'une rédaction déjà habitué... Poursuivre la lecture

Comme un seul homme, la presse subventionnée reprend la dépêche AFP selon laquelle le nombre d'enquêtes menées par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur l'usage de la force par des policiers sur la voie publique est en nette hausse en 2022.

Par exemple :

« La police des polices a enregistré en 2022 une "nette augmentation" du nombre d'enquêtes sur l'usage de la force sur la voie publique », titre France Info.

« IGPN : les enquêtes sur l’usage de la force par les policiers sur la voie publique en hausse e... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles