L’écriture inclusive ou le triomphe du ressentiment

Que cherchent les extrémistes qui veulent nous imposer l’écriture inclusive ?

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L’écriture inclusive ou le triomphe du ressentiment

Publié le 27 juin 2018
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Par Jean-Pierre Dumas.

Pour Nietzsche, l’histoire de l’humanité peut se résumer en un combat visible et invisible entre le désir par une minorité (« les forts ») d’exprimer la puissance moyennant la force et le désir par une majorité (« les faibles »), de la combattre par les mots, par le droit et la morale.

Dans ce combat inégal, ce sont « les faibles » qui l’emportent sur « les forts », « il faut protéger les faibles contre les forts ». La force est la volonté de domination, la faiblesse ne peut, par définition, se manifester en utilisant les mêmes armes, elle utilisera un subterfuge, les mots et la morale en renversant le sens des mots.

Nietzsche interroge ceux qui produisent les mots et leurs désirs inconscients. Ceux qui dirigent la société produisent les mots, ils donnent des appellations, ils décident du sens des mots, en ce faisant, ils créent des valeurs « l’origine du langage est un acte d’autorité émanant de ceux qui dominent » (Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 2010). « En créant le langage, ils (les nobles, les puissants) se sont arrogé le droit de créer les valeurs, de donner des noms à ces valeurs. » (Nietzsche, Généalogie de la Morale, I, §2).

 

Les mots ne sont pas neutres

Donc la philologie pour Nietzsche consiste à interroger celui qui parle et qui nomme. Les mots ne sont pas neutres, « Un mot ne veut dire quelque chose que dans la mesure où celui qui le dit veut quelque chose en le disant » (Deleuze, 2010). Donc, la question que l’on devrait se poser devrait être : à qui l’applique-t-il et dans quelle intention crée-t-il tels mots ? « La transformation du sens d’un mot signifie que quelqu’un d’autre (une autre force) s’en empare, l’applique à autre chose parce qu’il veut quelque chose de différent. » (Deleuze, 2010).

Prenons l’exemple tiré de Nietzsche (Généalogie de la morale, 1887) ; certains mots ont changé de sens au cours de l’histoire au point de subir une inversion de sens. « Bon » dans la période présocratique était un terme défini par les maîtres, les nobles, les puissants et les hommes de condition supérieure qui estimaient que leurs actes étaient par définition bons et ils n’avaient pas à se justifier « Je suis bon, donc tu es méchant ». Ils ne se comparent pas à des valeurs supérieures ou transcendantes. Ils créent les valeurs. Nietzsche, qui était aussi un philologue, a découvert qu’à l’époque présocratique, dans de nombreuses langues : « bon = noble = puissant = beau = heureux » (GM, I §7). C’est à l’époque de la guerre de 30 ans que le mot a acquis son sens actuel.

La caste des prêtres, peu apte à l’action, n’a eu de cesse de s’opposer aux seigneurs et finalement « n’a su avoir raison de ses ennemis que par un renversement total de leurs valeurs » (GM, I §7) en changeant/inversant le sens même du mot, le bon au sens de « noble », « âme distinguée » a pris les caractéristiques des faibles, ils ont décrété « que seuls les misérables sont les bons, seuls les pauvres, les impuissants, les nécessiteux sont les bons… tandis que vous, les nobles et les puissants, vous êtes de toute éternité les méchants, les cruels… », (Nietzsche, GM, §7).

 

Transmutation des valeurs

À cette inversion du sens des mots correspond une transmutation des valeurs. Suivant les époques et la classe dominante, le même mot signifie deux choses opposées. On est passé de bon = fort à bien = faible. C’est l’apparition du bien et du mal (Deleuze, 1962) qui remplace le bon et le méchant dans le sens inverse. Le bon (éthique) au sens premier devient le méchant (morale) et le mauvais (éthique), au sens du faible, devient le bien (morale). Le bien et le mal ne sont pas le bon et le mauvais, mais leur renversement.

Dans ce cas, le bien n’est pas une affirmation mais une négation, un principe de précaution et de non-action. Ces valeurs cachent une méfiance (Nietzsche, qui ne donne pas dans la nuance, parle de « haine ») contre la vie. C’est une morale du ressentiment, « le ressentiment devient créateur et engendre des valeurs » (GM, I §10). C’est une morale de la passivité. L’homme faible se définit par rapport à quelqu’un, il dit : « Tu es méchant, donc je suis bon ».

Le fait de dire tu es méchant, je suis le contraire de ce que tu es, donc je suis bon, semble impliquer une identité avec une simple inversion de signe. Le bon décide qu’il est bon parce qu’il est fort, le faible décide qu’il est bon et fait croire que s’il n’utilise pas la force, c’est par vertu. Or il n’en est rien, les faibles ne peuvent utiliser, par définition, les armes des forts : la force, l’affirmation ou les conquêtes « nous les faibles, nous ne faisons aucune chose pour laquelle nous ne sommes pas assez forts » (Nietzsche, GM I, §13). Le faible considérera que la vertu consiste à s’opposer aux valeurs du fort.

 

L’agneau philosophe

Prenons, nous dit Nietzsche, (GM, I,13), l’exemple d’un agneau philosophe, il se plaint des rapaces qui les mangent, les agneaux les considèrent donc comme méchants, rien de plus logique. Moi agneau, je ne suis pas en mesure de manger les rapaces, donc mon impuissance va devenir source de mes valeurs.

Il va dire « soyons différents des méchants, soyons bons ! Or est bon tout ce qui ne fait violence à personne (l’opposé des valeurs du rapace)… qui ne se venge pas, et qui remet à Dieu la vengeance… qui demande peu à la vie, comme nous les patients, les humbles, les justes. » (GM, I, 13).

Certes, tout cela est très beau, très noble, mais si les agneaux étaient des loups ou des aigles, tiendraient-ils ce même langage, auraient-ils les mêmes valeurs ? Tout l’art du faible est de nous convaincre que sa faiblesse « est un exploit délibéré, quelque chose de voulu, une action, une qualité» (GM, I, §13).

Le drame de Nietzsche est qu’on l’a limité à ses mots extrêmes, racistes et incantatoires, on a souvent oublié qu’il nous lègue une méthode de raisonnement. Rechercher dans le langage les fausses monnaies, les intérêts cachés véhiculés par les mots ; ils cachent un pouvoir latent qui est l’expression d’une caste dominante qui n’est plus celle des « forts ». Les valeurs sur lesquelles nous reposons sont relatives à l’époque et à ceux qui les prônent.

Il faut s’interroger sur ce que veut dire celui qui construit les mots, d’où la nécessité d’une « généalogie » du langage qui sous-tend « la généalogie de la morale ». Nous vous proposons l’exercice suivant : remplacer le mot « fort » (au sens premier du terme) par chef d’entreprise (je n’ose pas utiliser le terme capitaliste) et « faible » par socialiste et vous verrez que ça marche pas mal. C’est ça la modernité de Nietzsche.

Ainsi il y a une guerre souterraine du sens des mots, celui, ou plutôt aujourd’hui, celle qui domine (il y a longtemps que ce n’est plus le fort) donne un sens nouveau aux mots et cherche ainsi un nouveau pouvoir. Aujourd’hui, on ne dit plus madame le ministre, madame le directeur mais la directrice (qui était réservée aux directrices d’école).

Demain devra-t-on écrire l’écriture des précieuses ridicules : « Très fier.ère.s d’avoir publié le premier manuel scolaire d’écriture inclusive » ? Le plus inquiétant c’est que demain certains professeurs Trissotin obligeront nos enfants et petits-enfants, sous une nouvelle dictature intellectuelle, à apprendre ce nouveau.elle langage.ue.

Pour répondre à la question de Nietzsche, que cherchent ces féministes extrémistes ? Se venger de l’outrage fait à leur sexe durant des siècles ? Comme la Marquise de Merteuil, le talent en moins, elles sont nées pour venger leur sexe et humilier les mâles, qui, dans leur monde, sont toujours dominants.

N’est-ce pas l’exemple de la morale du ressentiment ? Ainsi dans chaque mot masculin résiderait un monstre (mâle) prêt à abuser, violenter les femmes endormies. L’écriture inclusive viserait à émasculer ces incubes imaginaires. Le ressentiment « fait naître une haine, une haine féroce, la haine la plus intellectuelle et la plus venimeuse qui soit. » (Nietzsche GM, §7).

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  • Un exemple de plus s’il en faut encore, de l’extrémisme primaire des imbéciles qui nous gouvernent. Comme les Taxes, la voiture, les ronds-points, ralentisseurs, radars, etc. tout n’est qu’extrême dans ce triste pays et toujours et encore pour récupérer du Fric ou pour imposer de nouvelles contraintes à la société entière.
    Il faut modifier le mode d’élection, peut être revenir au septennat mais avec la possibilité de virer tous ces mafieux tous les 2 ans pour éviter toutes ces dérives extrémistes qui doivent être considéré comme du terrorisme envers la société.

    • Pourquoi voulez virer « tous ces mafieux » uniquement tous les deux ans ? Si ce sont des mafieux, « qui imposent des contraintes à la société », il faut se poser d’autres questions.
      J adhère bien entendu à la première partie de votre commentaire.

  • Cet article devrait plutôt s’intituler « ma révolte contre la morale chrétienne ». D’écriture inclusive il n’est guère question, à part une brève allusion dans les dernières lignes, qui arrive d’ailleurs pratiquement comme un cheveux sur la soupe.

  • Je ne comprends pas l’ intérêt des féministes pour l’ écriture inclusive, prenons l’ exemple « fier.ère.s » le mot féminin n’ apparait qu’ en rajoutant au mot de base qui reste le masculin « fier » un accent par ci et un e par là, quel avantage ? Dans ce cas le mot féminin ne reste toujours qu’ un dérivé du mot masculin, je ne vois pas en quoi ça peut satisfaire ces extrémistes….

  • Je me suis fait la même réflexion Yann92 concernant le petit entrefilet sur l’écriture inclusive dont pourtant le titre porte la notion. Je ne sais pas s’il est question de morale chrétienne, en revanche il est bien question de poids et sens des mots. Lorsque l’auteur cite « directrice qui ne concernait que les directrices d’école », il oublie que, historiquement, les femmes ne pouvaient être directrices que d’école. Mais si un homme devient « directrice d’école », va-t-on l’appeler M. la directrice… ? Non. Donc si une femme est « directeur » elle est directrice, si elle devient ministre, elle est la ministre. Ce n’est pas une guerre ou une révolte contre l’ordre masculin, c’est juste l’évolution de la société, il y a maintenant des femmes à des postes sur lesquels, lorsque ces mots se sont formés, il n’y avait que des hommes. On accepte bien l’invasion de mots anglais « sales manager, community manager » etc, pour quelle raison ne pourrait-on pas féminiser les mots des fonctions au même titre que caissière ou infirmière ? L’écriture inclusive en revanche est bien une aberration, car elle veut contrer la règle de grammaire qui dit que le masculin l’emporte sur le féminin. Il faut bien une règle et il vaut bien mieux celle-ci, que cette écriture inclusive qui pique les yeux !

    • « L’écriture inclusive en revanche est bien une aberration, car elle veut contrer la règle de grammaire qui dit que le masculin l’emporte sur le féminin »
      C’est bien justement l’objet du litige.
      De ce point de vue, nous devrions nous réjouir de ce que ces féministes ne réclament que l’égalité par le truchement de l’écriture inclusive et non point que le féminin l’emporte sur le masculin !
      Alors plutôt que de nous plaindre, mes amis, savourons ce temps qui nous est accordé (mais jusqu’à quand ?) où si nous ne sommes plus les maîtres du jeu, nous n’en sommes pas encore les esclaves.

  • Avec ce combat stupide les féministes se tirent une balle dans le pied. Là où on peut comprendre la promotion de termes féminisés (la juge, la prof, la ministre), en partant dans cette dérive elles ferment la réflexion y compris sur ces simples évolutions. Un peu comme les pères sans garde alternée qui s’étaient choisis comme porte-drapeau Serge Charnay dont on a su ensuite qu’il cognait sa compagne devant ses enfants (se fichant donc totalement de leur équilibre psychologique) ou les femmes battues se choisissant Jacqueline Sauvage dont on n’est pas certain qu’elle était vraiment battue et surtout qui n’a pas bougé le fusil à l’époque où ses filles se faisaient soi-disant violer (elle devrait donc être condamnée pour non-assistance à personne en danger, avec circonstances aggravantes puisque sur ses filles qu’elle ne protégeait donc pas). Pour en revenir au sujet, si l’évolution des expressions peut se comprendre ne serait-ce que pour la rapidité), l’extrémisme de l’inclusive non.

  • @hazere Elles ne combattent pas le dérivé mais l’inexistence (j’en ris d’avance). Pour elles, si on dit « nous sommes fiers d’avoir fait ceci », alors il n’y a que les hommes qui sont cités, même s’il y a des femmes, du fait de la règle de grammaire qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. Si vous dites (comme vous pouvez mdr) fier.e, alors vous citez à la fois les hommes et les femmes, pauvres créatures absentes de la phrase précédente. Alors qu’il est évident dans la tête de tout le monde, que si des femmes sont concernées, elles sont mentionnées dans la 1ere phrase. D’où l’apparition et le fort développement récent du « celles et ceux » de certains discours. Autant que le Président dise lors d’un discours « Françaises, Français », oui, mais dans la vie de tout les jours, faut se calmer un peu. Mais n’est-ce pas le propre des extrémistes d’être extrêmes ?!

    • Vous montrez surtout que vous êtes conscient.e de la présence de mauvaises coucheuses dans votre lectorat. Tiens, là, je n’entends personne de sexe masculin se plaindre du terme « mauvaise coucheuse » 🙂

  • C’est une idée ça ! Puisque les mots masculins sont en général compris dans les mots féminins, autant ne plus utiliser que les mots féminins… eurêka !

  • Toute l ire des feministes vient que « le masculin l emporte sur le feminin »

    Seul probleme, il s agit de mot, pas d homme ou de femme. ET un mot peut etre masculin sans avoir aucun rapport avec un homme ou feminin sans avoir aucun rapport avec une femme

    Par ex
    – sein
    – erection
    – vagin
    – bite

  • cdg Il ne s’agit pas des noms communs, des mots des objets. Mais des pronoms, des mots qui désignent des gens justement. Que érection et vagin soient masculins ou féminins n’est pas un problème, en revanche que dans un discours on remercie « tous ceux » à l’origine du succès du projet, donc sans mention des femmes présentes dans l’équipe, ça, ça les perturbe. Et ça donne qu’on remercie « toutes celles et tous ceux »… En même temps, dans un pays qui a remplacé « père » et « mère » par « représentant légal 1 » et « représentant légal 2 »…

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Pierre Valentin est diplômé de philosophie et de science politique, ainsi que l'auteur de la première note en France sur l'idéologie woke en 2021 pour la Fondapol. Il publie en ce moment Comprendre la Révolution Woke chez Gallimard dans la collection Le Débat.

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