Livraisons en ville : heureusement, le Sénat va saboter tout ça bien vite

En légiférant et taxant lourdement la livraison de l'e-commerce dans les centres-villes, les sénateurs montrent l'ampleur de leur inculture économique.
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Livraisons en ville : heureusement, le Sénat va saboter tout ça bien vite

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 juin 2018
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Et si on revitalisait les centres-villes ? Et si on utilisait le pouvoir politique et une assez coquette quantité d’argent gratuit des autres pour aboutir à un résultat palpable et quantifiable, à savoir des centres-villes revitalisés ? Ce serait non seulement une bonne idée, mais certainement l’occasion de faire quelques puissantes lois que la République sera heureuse de voir appliquées ! Avec une telle idée, comment ne pas aboutir à un résultat formidable, et un succès épatant ?

En tout cas, c’est assez probablement ce que se sont dit nos sénateurs à qui il n’échappe jamais une excellente occasion de faire n’importe quoi, n’importe comment, avec le sourire et cette décontraction qui sied à ceux qui ne souffriront que trop rarement des conséquences de leurs décisions stupides.

Comme d’habitude, tout part d’une intention discutable, très mal définie, dans un cadre flou et avec des buts vagues qui se transforme, au fil des discussions, en une véritable offensive contre l’intelligence. Pour mener tel assaut, il fallait une troupe d’élite et en matière de propositions de lois consternantes, le Sénat a largement fait preuve d’un entraînement raffiné.

Or donc, les centres-villes se dévitalisent ? Qu’à cela ne tienne, légiférons !

Et pour bien faire, le Sénat expliquera donc ce qu’il entend par là dans un exposé des motifs particulièrement croustillant dont le premier chapitre pose immédiatement « L’absolue nécessité d’agir » sans laquelle l’inutilité de l’appendice sénatorial apparaîtrait au grand jour aux électeurs-contribuables.

Dans cet exposé, on apprend qu’avant d’arriver à de belles propositions, des trouzaines d’élus se sont rassemblés, commissionnés, auto-écoutés et congratulés généreusement, et qu’ils ont abouti à la conclusion imparable que « ce qui fait l’originalité et la richesse incomparable de nos villes françaises et européennes » c’est – je vous le donne en mille – « leur centre » (là où en Asie, en Afrique et en Amérique, l’originalité des villes provient de leurs banlieues et de la rase campagne, cette autre forme de ville avec moins de béton et plus d’animaux qui broutent, je suppose) et que ces centres-villes méritaient immédiatement la mise en branle massive de lois réformatrices.

En pratique et une fois faite l’exégèse attentive de la proposition de loi, cette « revitalisation » entend surtout combattre… les grandes surfaces et l’e-commerce. Oui, vous avez bien lu : alors que, depuis plusieurs décennies maintenant, les lois s’empilent précisément pour éviter que toute grande surface ne se développe en centre-ville, que l’asymétrie entre les commerces du centre et ceux de la périphérie a été entretenue précisément par cette opposition stérile introduite dans une myriade de lois aux effets imprévus et néfastes, cette proposition entend… en remettre une couche.

Mais au-delà de ce constat finalement banal dans cette France où chaque réforme, annoncée en fanfare, se termine par une réédition d’une précédente idiotie législative, il faut noter que cette proposition contient quelques pépites de crottin qu’il serait dommage de passer sous silence.

Ainsi, comme en France rien ne se légifère sans qu’une piscine olympique de pognon ne soit cramée, il est entendu qu’il faudra créer une Agence Nationale des Centres-Villes et Centres-Bourgs puisque dans ce merveilleux pays aux ressources fiscales apparemment inépuisables, chaque concept trouvera son Agence Nationale officielle, bien évidemment dotée de ressources et de personnel. Partant, l’Agence Nationale des Pains & Chocolatines ne tardera pas à voir le jour (que dirigera sans doute François Hollande, habilement recyclé).

Il serait bien évidemment possible de revenir en détail sur les 7 chapitres et 31 articles de cette loi, en engluant le lecteur dans le sabir sénatorial, pour y découvrir les nouvelles sources de dépenses publiques, les inepties conceptuelles, les âneries économiques et les sottises législatives qui amèneront une nouvelle dose de paperasserie et de taxation sur les pauvres citoyens français, mais plutôt que me lancer dans cet épuisant exercice, je me contenterai de me pencher sur son article 27 qui propose d’instituer une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique, et dont l’idiotie résume assez bien tout le reste de la proposition de loi.

En effet, pour les sénateurs, pas de doute : la revitalisation-truc bidule des centres-machinchose, cela ne passe pas seulement par la création d’une Agence ou le déploiement d’une nouvelle fiscalité à tubulures chromées adaptée à de nouveaux défis taxatoires en milieux urbains, mais cela passe aussi par une distribution de punitions sur ceux qui tirent malgré tout leur épingle du jeu merdique imposés à tous en France.

Et comme actuellement, la mode consiste à taper sur le commerce électronique, cela est rapidement bouclé dans l’article 27 :

… La montée en puissance du e-commerce, avec des conditions de livraison très favorables et de plus en plus souvent proches de la gratuité, induit des conséquences en termes de multiplication des trajets automobiles, générateurs de diverses pollutions, et conduisent par ailleurs à un usage immodéré des infrastructures routières.

Oui, vous l’avez compris : en première comme en seconde analyse, il faut être particulièrement épais intellectuellement pour ne pas comprendre l’impact particulièrement dévastateur d’une telle loi, d’autant plus lorsqu’on apprend son taux, « fixé à 0,5€ par kilomètre avec un minimum forfaitaire de 3€ par livraison. »

Pour nos sénateurs, qu’aucune contradiction environnementale ne saurait étouffer, mieux vaut donc trente clients qui prennent chacun leur voiture pour se rendre au commerce de leur choix au centre-ville plutôt qu’un ou deux livreurs qui auront tout loisir d’optimiser leurs tournées en une fois. Une fois cette loi passée, il deviendra bien plus compliqué pour les livreurs de rentabiliser leurs déplacements, tout comme il va devenir difficile pour ne pas dire impossible pour la plupart des sites d’e-commerce de s’en sortir avec ce qui s’apparente ni plus ni moins – comme le font justement remarquer différents acteurs du e-commerce français – qu’à une sorte de droit de douane interne à la France.

Frédéric Bastiat ironisait sur la mise en place de tarifs douaniers entre grandes villes de France et riait à l’époque de l’imbécilité d’une telle pratique. Aujourd’hui, il en pleurerait.

Du reste, cette loi, évidemment destinée à bouter Amazon hors de France au point que l’exposé des motifs peine à cacher cette motivation chauviniste, va directement appauvrir le consommateur français qui ne pourra plus bénéficier des offres de livraison e-commerce, au contraire de… partout ailleurs dans le monde. Pire encore : alors qu’Amazon développe actuellement des méthodes pour livrer ses clients même le dimanche (ne vous inquiétez pas, la Poste pourra continuer à perdre vos paquets le reste de la semaine), créant directement et indirectement des centaines d’emplois dans ce pays qui manque cruellement d’offres, la mise en place de ce nouveau tsunami de taxes tue ce vivier d’emplois dans l’œuf.

Voilà qui ne manquera pas de donner, une fois encore, un avantage décisif à la France dans sa course à la venezuélisation de son économie. On peut encore une fois remercier nos élus pour l’immensité du travail de sape qu’ils réalisent et s’il ne s’agissait pas, encore une fois, de sombre stupidité et d’inculture économique crasse, on pourrait même y voir un sabotage délibéré.

Accordons à nos sénateurs le bénéfice de l’idiotie.

Implied Facepalm
—-
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  • Amazon m’a livré hier, dimanche, les 4 livres de lecture d’été de mon fils commandés samedi au déjeuner.
    Vous vous rendez-compte ma bonne dame… Des gens bossent le dimanche..
    Et pour des sales Yankee en plus.
    La France n’est plus ce qu’elle était.
    Ou pas 🙂

  • que dirigera sans doute François Hollande, habilement recyclé

    Eh oui, bien vu, il sait faire du scooter ❗

    « fixé à 0,5€ par kilomètre avec un minimum forfaitaire de 3€ par livraison. »

    A ce tarif, je me fais livrer à domicile tous les jours ❗ Comprennent-ils, savent-ils ce qu’ils disent ❓

    • c’est une taxe. Ca vient en plus du coût de la livraison. Donc ça rogne soit sur les bénéfices du vendeur, soit sur ceux du livreur (devinez qui va payer…?)

      • C’est plus qu’une taxe. C’est une interdiction de travailler avec des conséquences sur l’emploi et le trafic routier. Cela va dépendre des produits impactés. Il n’y aura pas que Amazon de touché, mais les sociétés qui fournissent les produits. Au Luxembourg, vous avez plusieurs sociétés privées. DHL, DPD,…. Pas de monopole tels que nos crânes d’œufs le voudraient.

  • « une distribution de punitions sur ceux qui tirent malgré tout leur épingle du jeu merdique imposés à tous en France » : magnifique résumé.

  • Vu que ca vient du Senat (moyenne d age des senateurs 80 ans !) c est pas etonnant.
    D ailleurs savez vous que nos senateurs sont la creme de la creme. Il n y a qu a voir la performance du senateur maire Gaudin (20 ans au pouvoir) dans sa bonne ville de marseille pour le constater: il a certes cree des grand centre commerciaux a la Peripherie mais il a aidé le petit commerce: les vendeurs de shit prosperent (bon ils se battent de temps en temps en AK47 mais bon …)

    Si Macron voulait Economiser un « pognon de dingue » il dissoudrait le Senat (ou a moins mettrait une limite d age. plus de senateur age de plus de 50 ans !)

    • Mais l’intérêt au moins théorique du Sénat, en rapport à sa lenteur proverbiale, est d’amortir les frénésies de députés urtiqués par les urgences de la dernière mode populaire.
      Dans certains cas cette inertie vertueuse nous a tout de même évité de sombrer sous des tsunamis de billevesées législatives désastreuses.

    • Et sortons la calculette:
      le pognon de dingue c’est ~1800 fois le budget du Sénat (6€/français/an).
      Quant à imposer une limite d’âge de 50 ans, les sénateurs ne seraient plus que des clones redondants des députés et cela obligerait à provisionner pour eux une retraite beaucoup plus longue qu’aujourd’hui.

      • @mc2
        Le but devrait etre d avoir des gens competants qui vont insufler des idees nouvelles, pas d embaucher des vieux car ils couteront moins cher a la retraite !
        Personnellement je me moque de l age (meme si a une epoque on ne pouvait pas etre senateur si moins de 35 ans) mais il faut bien reconnaitre que pour la plupart des senateurs, le Senat c est juste le couronnement d une carriere d apparatchik

        6€/francais/an c est pas grand chose mais si vous avez en retour des lois comme celles ci, c est 6 € de trop.
        Surtout que vous allez payez vos 6 € plus les taxes que nos bons senateurs ont votées. donc par ex 3€ pour chaque commande via internet. Comment peut on etre aussi c… ?

        • « insufler des idees nouvelles »

          Parce que vous croyez que les idées nouvelles sont meilleures que les anciennes?

          « je me moque de l age »

          Eh bien on ne dirait pas à vous lire.

          « payer 6 € plus les taxes que nos bons senateurs ont votées. »
          … ou 6€ moins les taxes qu’ils auront empêché les députés de voter.

          • D’ailleurs on se passerait très bien d’idées nouvelles chez nos parlementaires ! Qu’ils se contentent donc d’appliquer les anciens principes, par exemple la DDHC, aux aspects nouveaux du monde.

  • il n’y a pas de problème que des solutions.
    Mais quand on a la même solution pour tous les problèmes c’est problématique. Taxons les taxes et la boucle sera bouclée.

  • 0,5€ par kilomètre avec un minimum de 3€…
    bien vu pour les ruraux qui vont se trouver surtaxés…
    ils vont donc continer à payer pour des services publics inexistant et vont payer plus cher pour des services privés… c’est beau la France des taxes..
    n’oublions pas qu’un rural prend de plein fouet le délire des taxes sur les carburants qui pourrait à la rigueur s’expliquer en ville, mais à la campagne, une voiture est indispensable quoi qu’en disent nos têtes chenues…
    bref, encore une bonne idée de nos chers élus si proches du peuple…

    • un peu comme les forfaits internet….débit de merde en campagne et pourtant l’abonnement est plus cher qu’en zone dégroupée….trouvez l’erreur…ah bah non c’est la France, pays ou on fait tout à l’envers…plus on trie plus on paie ..ceux qui polluent ne paient rien mais ceux qui sont pollués paient à leur place …etc…

      • Vivre à la campagne reste un choix… il offre bien des joies et des plaisirs… Il y a aussi des contraintes et des couts propres…
        Mais cette opposition est pour moi assez stupide…
        1- tous les quartiers urbains ne sont pas desservis correctement par les transports en communs ou les THD
        2- le couts de l’immobilier n’est pas le mème pour un bien équivalent…

  • c’est super cette capacité de nos chers zélus locaux d’oublier qu’ils sont les principaux responsables de la désertification des centres villes.
    ça fait 50 ans qu’ils s’acharnent à créer des zones commerciales et à nous convaincre de ne pas venir en centre ville , et là , crack !! ça va plus mais ce n’est évidemment pas leur faute.

  • Déjà, ils n’ont qu’à arrêter de taxer le stationnement en centre ville, et peut être que les gens y reviendraient !

    • Oui, mais alors comment compenser le mankagagner qui a suivi la réduction des « dotations »? Comment continuer à payer les neveux, les cousines et les beaux-frères?

  • ça devrait faire rire tellement c’est con…mais ça va passer et ça fait pleurer…

  • « Agence Nationale des Centres-Villes et Centres-Bourgs »
    Magnifique.

  • Si je comprends bien, La Poste, qui participe à la distribution de l’e-commerce, sera également taxée.
    Une taxe sur les services publics qui n’existent déjà que grâce aux taxes.

  • Comment un pays avec autant de dettes ( 2200 Md€) peut continuer à créer des agences nationales pour recaser les politiciens professionnels incapables. Les citoyens ont sans doute Les élus qu’ils méritent. Revitaliser les centres ville et bourg après avoir fait des dépenses d’aménagement immenses pour interdire l’accès des clients en ces lieux …… on croit rêver !!!!

  • Géniale illustration de ce qu’est le « métier » de politique : « promouvoir des taxes et des réglementations » ! Chaque nouvelle couche engendre son lot de calamités que les politiques s’empressent d’aggraver par une nouvelle couche. La seule chose à faire pour « revitaliser » les centres villes, comme le reste, c’est de laisser les individus libres de leurs actions et interactions. Le contraire de politique.

  • Les commentaires sont fermés.

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