Justice : une réforme qui n’identifie pas les problèmes

Vanité et vacuité du projet de Nicole Belloubet pour la justice : il est tellement plus confortable d’afficher une réforme qui ne touche pas au coeur de l’activité judiciaire.

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Manifestation de professions judiciaires by Marie-Lan Nguyen(CC BY 2.0)

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Justice : une réforme qui n’identifie pas les problèmes

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 avril 2018
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Par Philippe Bilger.

Quelques nouvelles qui créent un climat autour de la Justice.

Le Syndicat de la magistrature se fait l’avocat des zadistes qui devraient être expulsés. Henri Guaino continue et se répète avec sa haine obsessionnelle des juges et son soutien inconditionnel à Nicolas Sarkozy. Marc Trévidic a co-écrit une bande dessinée sur le terrorisme de laquelle il n’est pas absent. Philippe Courroye va publier un livre sur son expérience de magistrat avec ses lumières incontestables et ses ombres (s’il en admet).

J’ai scrupule à évoquer ces détails alors que l’essentiel s’est déroulé le vendredi 30 mars avec une « Journée morte » pour la Justice. Magistrats, avocats et greffiers mobilisés. L’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la CGT des chancelleries et services judiciaires, et autres syndicats.

Cette unité est exceptionnelle qui rassemble des causes très disparates et aux intérêts sinon opposés du moins guère complémentaires. Une seconde « Journée morte » est déjà prévue pour le 11 avril.

Cette opposition vise le projet de réforme judiciaire que la garde des Sceaux va présenter dans le cours de ce mois au Conseil des ministres. Les principaux griefs qui lui sont imputés : « Suppression des 307 tribunaux d’instance et de la fonction spécialisée de juge d’instance, organisation judiciaire illisible et éloignée du citoyen, déshumanisation de la justice, privatisation du contentieux civil » (Le Point). Avec un simulacre de concertation.

Quel sombre tableau renvoyant aussi bien à un futur qui serait catastrophique qu’à un présent auquel personne ne semble souscrire ! Ce défaitisme tristement synthétisé par Jean-Baptiste Jacquin dans Le Monde ne parlant de rien de moins que d’« une justice asphyxiée, paupérisée et décrédibilisée » !

Cette vision apocalyptique est dangereuse à double titre.

D’abord parce que je la crois fausse dans cette globalité déprimante, formulée par une majorité de magistrats. Le but des syndicats est moins de stimuler que de protester, est moins de susciter de la fierté pour ce grand métier que de le réduire à des doléances, à des revendications permanentes…

Ensuite parce qu’elle justifie, à cause de son caractère absurdement caricatural, la politique qui sera évidemment mise en oeuvre puisque le gouvernement a usé d’une méthode déjà éprouvée : vous nous donnez votre avis mais le nôtre l’emporte par définition.

Pour ma part je n’ai jamais été fanatique de ce mimétisme qui a conduit trop souvent le monde judiciaire à emprunter les chemins du syndicalisme basique avec un certain nombre de postures qui probablement accentuent le hiatus entre le citoyen et l’institution, entre les attentes du premier et la réalité de la seconde.

Le président Macron et son gouvernement ont tendance à pécher par présomption. Ils auraient pour vocation politique et démocratique de tout changer, de tout réformer, et de fond en comble. Et ce serait le tour de la Justice ! Ils ont évidemment trouvé un prétexte à cette boulimie de métamorphose dans la déplorable appréciation que le service public de la Justice porte sur lui-même.

Mais ils s’égarent car la Justice n’a nul besoin d’un « grand soir » mais d’une multitude de petits matins modestes, pragmatiques, ne rêvant pas d’un bouleversement auquel un pouvoir pourrait accoler son nom mais d’avancées immédiatement et partout opératoires. Si Jean-Jacques Urvoas n’avait pas succombé à la maléfique influence de Thierry Solère, il aurait été un parfait ministre pour de telles ambitions et cet empirisme efficace.

Le projet de Nicole Belloubet n’était souhaité par personne et, à ma connaissance, pas annoncé par le candidat dans son programme. Il y a une forme de vanité dans cette obsession de prétendre tout subvertir et de vouloir en même temps les applaudissements de ceux qu’on a écoutés pour la forme.

Le gouvernement, pour se justifier, énonce rationalisation, rentabilité, numérisation, cohérence, réduction, invoque une efficacité toute technocratique. Alors que si la modernité ne doit pas demeurer étrangère à la Justice, cette dernière est toutefois grevée par des maux plus immatériels. Les moyens, certes, mais comment faire que dans le progrès qu’ils ne manqueront pas d’apporter, une belle image de la Justice surgisse aussi ? À force de la dépouiller de sa complexité, on lui fera perdre son âme.

Les authentiques problèmes, les réelles difficultés se rapportent au choix et à la nomination de magistrats de qualité, de procureurs actifs, intelligents et soucieux du citoyen, indépendants mais loyaux. À l’instauration d’un contrôle professionnel de ce nom. À la création d’une instance qui n’ajouterait pas sa pierre au corporatisme judiciaire et disposerait d’une véritable légitimité pour nommer, promouvoir et sanctionner.

Il est clair que pour un pouvoir il est tellement plus confortable d’afficher une réforme qui ne touche pas au coeur de l’activité judiciaire (autorité, courage, respect et rapidité) qu’on peut être assuré qu’aujourd’hui comme demain les structures seront mises en cause mais qu’on ne fera rien pour les vivifier par des personnalités et des tempéraments lucidement sélectionnés, juridiquement et humainement à la hauteur.

N’en déplaise au pouvoir, malgré les gémissements de part et d’autre, la Justice est très vivante, absolument pas « décrédibilisée ». Elle résiste même à l’injustice chronique dont on l’accable.

Les journées mortes ne parviendront pas à l’achever pas plus que le projet gouvernemental qui, l’imaginant moribonde, prétend la remettre sur pied en aggravant son sort.

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Voir les commentaires (13)

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  • Notre justice a surtout besoin que ses magistrats soient élus, et son syndicat dissous.

    • @ Dr Slump
      D’abord, les Français doivent savoir que c’est bien l’indépendance du pouvoir judiciaire qui crée problème par rapport à l’indépendance des 3 pouvoirs réclamée par le système démocratique classique.
      (Il en va évidemment de même du « mur des cons n’épinglant que des politiciens de « droite »! Cela laisse pantois!).
      Le pouvoir déjà « monarchique » du président de la république se double, d’une part du droit de grâce du « monarque » et d’autre part de son influence non nulle de son autorité sur le garde des sceaux et de celui-ci sur le « parquet!

      La France est donc avant Hongrie, Roumanie et Bulgarie, en « démocratie », dans l’U.E. mais « peut mieux faire! ».

      L’élection des juges et des « shérifs » est à double tranchant, évidemment!
      Vous n’êtes pas sortis de l’auberge!

  • Notre justice a surtout besoin d’appliquer la loi au lieu de l’idéologie gauchiste laxiste!

    • vous voulez dire qu’ un jugement pour réclusion criminelle à perpétuité ne verrait pas sortir le fautif au bout de quelques années?? comme vous y allez…bon j’avoue je serais pour.

  • Les juges sont supposés justes, car ils connaissent le droit.
    Mais pour le commun, le droit et la Justice ne coïncident pas, tant le droit est élastique et les cas variés: alors qui peut prétendre exercer la Justice ? Pas les magistrats en tout cas.

    • @ VUDUBAR

      Ben si!

      Un juge dit le droit … et l’apprécie dans les circonstances du cas: il est interdit de tuer … sauf en légitime défense: le juge décide si c’est vraiment le cas!
      Réponse oui, relaxe;
      réponse non, meurtre donc prison!
      Le juge ne change (heureusement) pas la loi!

      Justice n’est pas = votre morale personnelle mais = légal!

      Les juges ne font pas la loi (au risque de voir leur jugement cassé!), comme les politiciens ne condamnent personne!
      (Normalement, le président non plus, même si cela n’a pas toujours été le cas, en France, du temps du S.A.C. etc … ).

      Mais condamner un (ancien) président: on verra bien avec N.Sarcozy!…

      • Vous évacuez la colère de Vudubar avec une rapidité suspecte. Le mal qu’il dénonce, cette déconnexion du Droit et de la Justice, ronge l’institution judiciaire comme un cancer. Il est trop facile de répondre « c’est le droit » quand on vous hurle « ce n’est pas juste ».
        Je sais bien que les juges ne font pas le Droit mais ils le disent et le font appliquer et avec plus de liberté qu’ils ne l’admettent quand on leur reproche certaines décisions.

        • @ Synge

          J’accepte très bien vos remarques qui montrent bien le fossé entre « bien et mal » et celui de « légal ou illégal »!

          Mais si la justice ne choisit pas entre « bien et mal » (notions subjectives et morales!) mais entre « légal et illégal », le jugement ne pourra être cassé!

          Les lois sont peut-être mal faites, mais ce n’est pas le problème d’un juge qui n’y peut absolument plus rien!

          Que cela nous plaise ou pas ne changera rien du tout! Et c’est sans doute tant mieux!

    • et puis c’est pas comme si les multirécidivistes en liberté n’étaient juste que des agneaux ou des victimes d’erreurs judiciaires..ahemm

  • La Justice est un pouvoir au même titre que l’Exécutif et le Législatif. Soumis à un Ministre de l’Exécutif, le pouvoir judiciaire est donc cadré, guidé :
    « La garde des Sceaux, ministre de la Justice, est membre du gouvernement.
    Picto Elle est responsable de l’action et de la gestion des juridictions, nomme les officiers ministériels et présente au Parlement des projets de réforme.

    La ministre conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Elle veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. » ( http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/ )
    Les magistrats et autres avocats ont manifesté vendredi pour montrer leur mécontentement au sujet du projet qui vise à supprimer les jurés lors de certains procès.
    En France les jurés déclarent l(es)’accusé(s) coupable(s) ou non coupable(s), plus la sanction pénale (tant d’années de prison). Les jurés ne devraient seulement déclarés la culpabilité ou non.
    Les préfets (membres de l’Exécutif) ont des prérogatives semblables(autorisation de perquisitions) à celles des juges.
    La France compte 600.000 lois réparties dans 70 Codes différents.(civil, pénal, maritime, de la route, des impôts, etc…)… et nul n’est censé ignorer la loi.

    • Pour être juré, il faut jouir de ses droits civiques et politiques.

    • Quand je vois :
      – que la Justice n’est pas capable de voir quel droit prévaut sur autre par exemple droit de propriété contre droit des squatteurs ;
      – qu’une juge peut libéer un accusé, et sanctionner ses co-accusés (J. Bendaoud and Co.), porter au tribunal par un procureur au dossier vide ;
      – qu’un autre juge peut condamner un homme à du sursis, alors que ce dernier a kidnappé, séquestré et violé une collégienne, et donc le laisser dehors, en ne retenant que « attouchements sexuels » ;
      je me dis que sa balance a valdingué très loin, que les poids et mesures dont elle se sert lui ont brisé les pieds, que ses yeux sont crevés, qu’elle n’entend rien et ne veut rien entendre, et qu’elle plane grave vu ce qu’elle sniffe pour éviter le mal de tête chronique.

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