« La liberté scolaire est défendue par la Constitution et les traités ! »

L’État, loin de méditer sur le succès des écoles hors contrat, préfère faire obstacle, par principe, à la création d’établissements scolaires.

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« La liberté scolaire est défendue par la Constitution et les traités ! »

Publié le 26 mars 2018
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Par Adeline Le Gouvello1

La proposition de loi de la Sénatrice Françoise Gatel revient en deuxième lecture au Sénat. Ce texte vise à limiter les créations d’écoles indépendantes, dites aussi « hors contrat » en durcissant les conditions de leur ouverture.

Il est vrai que le phénomène de ces écoles alternatives ne pouvait plus être ignoré. 122 ouvertures pour 2017 (84% de ces établissements étant aconfessionnels), contre 93 en 2016, 67 en 2015 : il y avait de quoi susciter la réflexion.

Cependant, face à un succès qui ne dément pas, l’État, loin de méditer sur les raisons profondes qui poussent des acteurs de la société civile à se lancer dans une entreprise pourtant longue, coûteuse et difficile, préfère couper court à ce phénomène agaçant : l’appareil étatique s’est ainsi mis « en marche » pour faire obstacle, par principe, à la création d’établissements scolaires.

Une limitation contraire aux principes fondamentaux

La ministre de l’Éducation nationale précédente, Najat Vallaud Belkacem, s’y est d’abord cassé les dents l’année dernière : le texte a été retoqué devant le Conseil Constitutionnel considérant qu’il constituait un risque d’atteinte à la liberté de l’enseignement. Sorti par la porte, le projet revient par la fenêtre sous l’égide d’un membre du Parlement.

Pourtant, le législateur, tout auteur de la Loi qu’il est, reste soumis à des principes qui lui sont supérieurs : la loi est inscrite dans une hiérarchie des normes avec au-dessus d’elle les Conventions Internationales et au sommet la Constitution.

Le principe à valeur constitutionnelle de la liberté de l’enseignement se trouve largement écorné par une telle proposition de restriction de ladite liberté. D’ores et déjà, le texte se heurtera à cette difficulté.

Mais en outre, les dispositions internationales, notamment celles relatives aux droits de l’enfant, entrent en contradiction directe avec cette proposition.

La place première des parents conventionnellement reconnue

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), texte ratifié par le plus grand nombre d’États, dont la France, prévoit plusieurs dispositions relatives à l’éducation et au développement de l’enfant.

Dans un premier temps, ses articles 18 et 27 énoncent que

c’est aux parents ou aux autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef  la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant,

rejoignant ainsi d’autres dispositions internationales, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (« Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » art. 26-3) et le protocole additionnel de la Convention Européenne des droits de l’homme (art. 2).

La place des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, est donc expressément reconnue. De là découle la responsabilité de poser les choix pour faire grandir leurs enfants vers ce qui leur semble le meilleur. Chaque parent a forcément des attentes et des choix différents et de multiples façons de considérer quel chemin sera le mieux adapté à son enfant pour « développer sa personnalité », « sa formation » (art. 1 du code de l’éducation).

Une obligation pour les États de garantir un accès à l’instruction

C’est ainsi à côté de la place première reconnue aux parents, et seulement en second lieu, qu’intervient l’État qui doit alors aider les parents dans leur charge d’éducateur (CIDE, art. 27-3) en rendant « l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous » (CIDE, art. 28-1 a) et l’enseignement secondaire accessible à tout enfant, gratuit ou avec une aide financière en cas de besoin (CIDE, art. 28-1 b).

Droit à l’éducation : pas une exclusivité de l’État

Est-ce à dire qu’au regard de la CIDE, cette aide apportée par l’État est exclusive et qu’en dehors des établissements créés et promus par lui, l’enfant ne pourrait voir son droit à l’éducation garanti ? Nullement, et le texte prend soin de le spécifier expressément en son article 29-2 :

Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’État aura prescrites.

Un droit garanti par la diversité des offres éducatives

Si la Convention prend soin d’affirmer expressément la liberté de création des écoles, c’est précisément parce qu’elle est une garantie de l’effectivité du droit à l’éducation dont bénéficie l’enfant. Elle rappelle en effet que le contenu de ce droit consiste notamment dans le fait de « favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ».

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Peut-on sérieusement penser qu’un schéma unique d’école permettra à chaque enfant d’épanouir sa personnalité et ses talents ? On sait pertinemment que certains enfants sont mieux adaptés à une pédagogie qu’à une autre, que des petits effectifs favoriseront l’éclosion de la personnalité de certains quand d’autres auront besoin d’être particulièrement stimulés…

Le foisonnement et la multiplicité des propositions, qui par des chemins différents amènent à un même but, est donc la garantie d’un droit à l’éducation effectif, quand l’uniformisation et la standardisation, sans même parler des échecs actuels du système à bien des égards, le videront de toute substance.

Les chiffres témoignent de la diversité des offres, la tendance générale étant en faveur des écoles Montessori (28%), talonnées de près par les écoles démocratiques (23%), les pédagogies classiques regroupant 18%, et 30% de toutes ces écoles offrant un parcours bilingue.

On est bien loin du prétendu risque agité par la sénatrice qui ne cite d’ailleurs en tout et pour tout que deux écoles coraniques, et auquel l’État a déjà les moyens de remédier si les problèmes sont avérés.

Un droit déjà encadré

La limite à cette liberté de créer des établissements scolaires est en effet posée par le respect de normes minimales édictées par l’État (CIDE, art 29-2). C’est exactement ce que prévoit le régime légal actuel puisque les écoles indépendantes sont dans l’obligation de respecter le socle commun des connaissances (art. L 111 du code de l’éducation), étant soumises comme les autres aux inspections de l’Académie, et au respect de l’ordre public, des bonnes mœurs, sous peine d’opposition du maire ou du Procureur de la République à leur ouverture.

Les pouvoirs publics ont donc d’ores et déjà les moyens légaux nécessaires de contrôler ce qui se crée dans le respect de la liberté et des droits garantis aux parents et aux enfants. Si « faillite éducative » il y avait, l’État a actuellement les moyens d’y remédier. Ce n’est donc pas l’éventuelle non-application des conditions par les établissements indépendants qui est en question : globalement, ces écoles ont au contraire un bon niveau, permettant aux enfants, à l’aide de pédagogies très diverses d’acquérir des bases solides.

Le préambule de la présente proposition de loi laisse entendre en revanche la raison réelle qui justifie les obstacles à la création qu’elle souhaite imposer : rappelant le nombre exponentiel d’ouvertures, elle indique que

le régime d’ouverture, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est pas satisfaisant tant par la complexité de la procédure, le sentiment de faits accomplis dans lequel il place élus locaux et services de l’État, que par les leviers d’actions trop limités qu’il offre.

Ainsi se pose la question de savoir si le ressort véritable d’une telle proposition n’est pas la contrariété de voir s’exercer la liberté des parents qui se dirigent vers des propositions éducatives autres que celles de l’État.

Ce dernier ne s’attacherait alors plus à la prise en compte première de l’enfant et de la qualité des propositions éducatives mais imposerait une restriction des libertés contraire aux droits conventionnellement reconnus à l’enfant. « La raison du plus fort serait-elle toujours la meilleure? L’État va-t-il nous le montrer tout à l’heure ? »

Gageons que le respect des principes permettra aux institutions de reprendre leurs esprits. Si en effet le Sénat ne montre pas le « bon exemple » en respectant la hiérarchie des normes, comment pourra-t-il prétendre ensuite au respect des lois qu’il édicte alors qu’il passe outre les normes auxquelles il était lui-même soumis ?

Sur le web

  1.   Adeline Le Gouvello est avocate, spécialisée dans les droits de la propriété intellectuelle et le secteur de l’enfance.
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  • On attend pas, ni n’espère la liberté.
    Le Français est devenu mou, apathique. Habitué qu’il est d’obéir à des ordres et des affirmations (de plus en plus débiles) de l’Etat. Cet état léthargique est entretenu par une école où la propagande communiste n’est même plus cachée.
    Sans libre arbitre ni base de comparaison, assisté, biberonné, sur-protégé (même de l’intelligence et du bon sens), le Français se laisse guider sans broncher vers sa propre fin.
    C’est magnifique ! Un vrai roman type 1984 en grandeur nature. Sauf que c’est en vrai….

    • Heureusement qu’il y a encore quelques français, comme sur ce site, qui ne se résignent pas à de faire voler et lobotomiser par une bande de crapules qui se font élire, faute de choix altenatif. Certes, nombre de nos concitoyens sont devenus des veaux, sur lesquels comptent nos politocards.

  • Excellent article. L’Etat est l’ennemi de la liberté. Cela vaut pour la liberté scolaire.

  • Les commentaires sont fermés.

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