Depuis toujours la liberté nous fait progresser et la servitude nous pétrifie. Cette vision optimiste de l’histoire pourra sans doute être nuancée par les spécialistes. Il n’empêche. Si nous observons à grands traits notre passé, nous avons beaucoup plus inventé et évolué avec la démocratie qu’avec la dictature. L’autoritarisme bloque nos élans créatifs quand la liberté les encourage.
Construire dans la liberté ou décliner sous l’autorité ?
L’histoire de la Rome antique illustre bien cette idée. La République romaine dure environ cinq siècles, du 6e au 1er siècle avant J.-C. Elle crée des institutions politiques démocratiques (Sénat), invente les bases de notre droit civil, conquiert tout le pourtour méditerranéen, réalise des merveilles architecturales et picturales.
L’Empire, du 1er au 5e siècle après J.-C., conduit tout d’abord à l’apogée de la puissance politique romaine, mais va ensuite de crise en crise : prises violentes du pouvoir, administration pléthorique, guerres coûteuses.
Le pouvoir autoritaire amène la décadence et la chute à la fin du 5e siècle. Cette période d’un millénaire recèle une grande loi : les hommes bâtissent les puissances politiques dans la liberté, mais c’est la dictature de quelques-uns qui conduit au déclin.
La sonnette d’alarme au 20e siècle
Le 20e siècle a vraiment sonné l’alarme avec les désastres résultant du totalitarisme. Corrélativement, il a mis en évidence l’importance et l’efficience de la liberté. Tous les régimes autoritaires ont échoué et même provoqué des catastrophes. Le communisme, qui prétendait créer un monde idéal et parfaitement juste, conduit politiquement au goulag et économiquement au déclin.
Le fascisme conduit à la seconde guerre mondiale, puis lorsqu’il subsiste (Espagne de Franco et Portugal de Salazar) étouffe toute évolution économique et amène la pauvreté. Quant au nazisme, pathologie individuelle et collective, il se termine par l’apocalypse dans l’Allemagne de 1945. Même apocalypse pour les Khmers rouges au Cambodge à la fin du 20e siècle, et l’État islamique au début du 21e.
Les pays libres, au contraire, évoluent plus ou moins souplement selon leur degré de liberté. Si les États-Unis deviennent la première puissance économique et militaire du monde, ils le doivent d’abord à leur choix de laisser les individus créer et entreprendre en toute liberté.
Le rêve des dictateurs : contrôler notre imaginaire
Pourquoi la liberté produit-elle des fruits magnifiques alors que la servitude provoque la stérilité ? Parce que deux couples s’affrontent : le vertueux et le diabolique. Liberté et créativité vont de pair pour nous amener vers le progrès, mais a contrario, peur de l’innovation et volonté de puissance forment le couple infernal des autocraties.
Pour innover, il faut pouvoir penser librement. Voilà le danger majeur pour tous les pouvoirs autocratiques ! Leur ambition est de cantonner la masse des individus dans des activités routinières et de contrôler ceux qui les encadrent. Toute recherche libre est proscrite car elle constitue un risque pour le pouvoir.
La société doit être toute entière sous la férule du pouvoir politique. L’autoritarisme politique, a fortiori le totalitarisme, veut contrôler et réduire notre imaginaire, élément fondamental de notre humanité.
Le grand risque du futur : le dieu État
Si globalement, les occidentaux d’aujourd’hui connaissent une liberté politique et économique jamais atteinte auparavant, un risque colossal vient de naître. Il s’agit de la déification de l’État. Celui-ci est aujourd’hui omniprésent. Il est en passe de devenir omniscient. S’il y parvient, il deviendra omnipotent, possédant alors les trois caractéristiques que les philosophes attribuent à une divinité.
L’omniprésence de l’État résulte de la densification sans précédent du droit. Rien ne semble pouvoir échapper à la folie normative. Nous vivons dans un filet réglementaire dont les mailles se rétrécissent.
Assistés par une fonction publique pléthorique, les gouvernants encadrent les citoyens, puis contrôlent et punissent les récalcitrants. Une majorité de femmes et d’hommes semble adhérer à cette lente extinction de la liberté. Ils pensent naïvement que l’on doit combler les « vides juridiques », ignorant qu’ils sont en réalité des espaces de liberté.
L’omniscience de l’État a commencé à s’installer avec d’immenses bases de données publiques à caractère nominatif qui ne sont pas à l’heure actuelle interconnectées : fichiers sociaux concernant le travail (qui ne doit pas être « occulte » : travailler sans le dire publiquement est une faute grave aujourd’hui), fichiers fiscaux pour le calcul et le contrôle des impôts, fichiers des entreprises (registre du commerce), fichiers de la police et de la justice, etc.
Il suffirait de créer un programme informatique capable de puiser dans tous les fichiers publics et privés concernant les personnes pour disposer d’un véritable Big Brother n’ignorant rien de nos faits et gestes.
L’omnipotence de l’État ne résultera sans doute pas comme auparavant de l’arbitraire des gouvernants. Elle viendra de sa capacité technique à exploiter les informations dont il dispose.
Big data, intelligence artificielle, ordinateurs quantiques, toutes les innovations seront à sa disposition du fait des capacités financières dont il s’est déjà doté. Les États contemporains les plus riches disposent du pouvoir de décision sur 40 à 60% du PIB. Il n’existe aucune autre puissance financière équivalente.
Une douce tyrannie
Nous savions qu’il était dans la nature du pouvoir d’accroître sa puissance. Mais nous pensions aussi qu’il était dans la nature de l’homme de lutter pour sa liberté. Le temps est venu d’avoir moins d’assurance.
Depuis un siècle, l’État a accru sa puissance au rythme des évolutions technologiques. Les citoyens sont devenus des ayants-droit des services publics. La liberté n’intéresse plus grand monde. Une douce tyrannie s’installe. Le dieu État vient de naître.
Monsieur Aulnas, vous avez raison de souligner le danger qui menace les démocraties. Il n’est peut-être pas trop tard pour sortir les citoyens de leur torpeur mais tout semble malheureusement pointer vers une acceptation béate de la servitude.
6 critères pour définir le totalitarisme :
– 1) Une idéologie officielle à laquelle chacun est supposé adhérer au moins passivement ;
– 2) Un parti unique avec à sa tête un homme susceptible d’être considéré comme un dictateur ;
– 3) Un système de terreur ou de pression soit physique, soit psychique ou morale, dirigé non seulement contre les adversaires déclarés du régime mais aussi certaines fractions désignées de la population ;
– 4) La mainmise sur les médias ;
– 5) Le monopôle de l’utilisation des armes à feu ;
– 6) Une direction centralisée de l’ensemble de l’économie.
C. Friedrich, Z. Brzezinski
Et hop ! un petit coup de “liberté d’expression” pour réclamer un impôt, pour avoir droit à une subvention publique pour protéger cette liberté d’expression parce que “La liberté d’expression est la mère de la République. La République doit donc la financer comme elle finance le fonctionnement de notre vie démocratique.” (extrait de l’article https://www.challenges.fr/politique/lancer-un-impot-sur-les-benefices-des-gafa-pour-aider-les-journaux-comme-charlie-hebdo-victime-du-terrorisme_558974“)
Moi aussi, cet impôt Charlie m’a choqué. Comme si on ne payait déjà pas suffisamment aujourd’hui pour avoir droit aux avantages de la démocratie. C’est Charlie qui a besoin de nos sous, pas la liberté d’expression. Et franchement, que ferait-on de cet argent, qu’on ne fait déjà pas pour la liberté d’expression ?
Je crois plutôt que nos Etats ne sont aussi dangereux que quand ils sont inutiles. Quand ils accompagnent la prospérité comme pendant les Trente glorieuses, chez nous, ils sont puissants, et appréciés. Hélas, on le voit souvent, en période vaches maigres, ils se révélent souvent incapables de régler les problèmes du citoyen (chomage, pouvoir d’achat, sécurité…). A partir de là, ils commencent à se retourner contre le peuple, sans doute par crainte de la révolte. Dans ces occasions, ils ont tendance aussi à cultiver la peur, l’insécurité, qui sont des outils très utiles de gouvernance.
Et donc aujourd’hui, l’Etat n’est ni déifié, ni omniscient. C’est un tigre de papier, un colosse aux pieds d’argile, un Léviathan de pacotille… Si vous avez d’autres vocables, je suis preneur…
Et encore moins omnipotent.
Bonjour M. AULNAS,
Votre théorie est à nuancer…
Tout d’abord la Respublica romaine étaient surtout un oligarchie où le sénat ne comprenait que des représentants issus de familles nobles de Rome (Patriciens) qui prétendaient parler au nom de l’état entier….ils n’avaient en pratique que peu de préoccupation du bonheur de la plèbe.
Ensuite la fin de la république est précipitée par Caius Julius Caesar qui, sois-disant se comportait comme un roi mais mis sur le “trône” précisément par l’armée et la plèbe…..le dictateur gênait surement les intérêts des riches sénateurs plus que la réelle liberté du peuple.
3èmement : Les prouesses architecturales et administratives majeures se sont élevées surtout à partir d’Auguste (fils adoptif de César et 1er empereur) entre le 1er siecle av JCet le 2eme siècle….soit la période IMPERIALE.
Enfin, comme disait le grand Leonardo da Vinci :
“La Force née de la contrainte et meurt dans la liberté”…..conformément aux lois de la physique.
Jules César était le chef du parti des Populares, ce qui veut dire du peuple, considéré en tant que tel comme un traître à sa caste par la noblesse, d’où son assassinat. Il voulait stopper la corruption scandaleuse du sénat.