La quasi-décomposabilité, un concept clé pour innover

Voir et concevoir une organisation comme quasi-décomposable, et non comme monolithique ou modulaire, c’est lui permettre d’évoluer de manière robuste dans un monde incertain tout en préservant son identité.

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La quasi-décomposabilité, un concept clé pour innover

Publié le 28 novembre 2017
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Par Philippe Silberzahn.

Comment certains systèmes, comme des marchés ou des organisations, réussissent à perdurer malgré des changements profonds de leur environnement tandis que d’autres disparaissent ? Comment naissent et prospèrent de tels systèmes ?

Ces questions sont au cœur de la problématique de l’entrepreneuriat et de l’innovation, mais plus généralement du management. Sans qu’il y ait de réponse facile, on peut néanmoins évoquer un concept important, et pourtant peu connu, celui de la quasi-décomposabilité. Regardons en quoi il consiste et pourquoi il est important.

La quasi-décomposabilité (QD) est une propriété particulière de systèmes complexes. Un système complexe est caractérisé par le fait qu’il n’est pas possible de connaître tous ses composants, ni même leurs interactions, en totalité. La QD a été proposée et développée par Herbert Simon, Prix Nobel d’économie, au cours de ses travaux sur les sciences de l’artificiel.

Que signifie « quasi-décomposable » ?

Le terme « quasi-décomposable » signifie qu’il est possible de décomposer le système en sous-ensembles ou composants, dans une structure arborescente, mais pas complètement, parce que les composants interagissent plus ou moins fortement entre eux.

Les systèmes quasi-décomposables diffèrent des systèmes modulaires qui sont eux complètement décomposables. Dans les systèmes modulaires, le comportement d’un composant n’a aucune incidence sur les autres. Une montre est un bon exemple d’un système modulaire. Si la batterie doit être remplacée, les autres parties ne sont pas affectées. Un tel système peut être compliqué, mais en l’absence d’interactions entre les composants, il n’est pas complexe.

Ce qui caractérise un système quasi-décomposable est que si, finalement, tout interagit avec tout au sein du système, il est possible d’isoler certaines parties du système qui interagissent faiblement avec le reste.

Le système possède donc une réalité globale, il n’est pas juste la somme de ses parties, mais des sous-systèmes peuvent évoluer de manière largement indépendante sans que la stabilité, voire l’existence, de l’ensemble, soit remis en question.

Un exemple de système quasi-décomposable : McDonald’s

Ces distinctions interactions faibles et fortes peuvent se comprendre au moyen d’une illustration, celle de la chaîne de restaurants fast food McDonald’s. McDonald’s est constituée comme un réseau de restaurants pour la plupart indépendants (franchises).

Comme elles sont indépendantes, ces franchises sont peu connectées à l’entreprise. Elles déterminent, par exemple, qui embaucher. En revanche, il existe quelques interactions fortes : elles relaient les campagnes de publicité nationales.

Si le McDonald’s d’Ecully, à côté de Lyon, refait son parking et que les clients sont mécontents car ils ne peuvent pas trouver de place pour se garer, le problème restera probablement localisé, faisant, tout au plus, l’objet d’une brève dans le journal local (interaction faible avec l’ensemble).

Mais si ce restaurant est à l’origine d’une infection alimentaire qui tue deux clients, l’affaire prendra tout de suite une dimension nationale, voire internationale (interaction forte). McDonald’s possède donc une identité propre au « groupe », c’est-à-dire à l’entreprise elle-même et à l’ensemble de ses franchisés : elle est bien plus que simplement un réseau de restaurants indépendants. Elle est donc un système dual : fortement identitaire pour plusieurs de ses aspects, et très décentralisé pour de nombreux autres.

L’importance du local pour l’innovation

La QD représente donc la capacité d’un système complexe à être décrit par un certain nombre de sous-ensembles. C’est en identifiant ces sous-ensembles que l’entrepreneur/innovateur est en mesure de se concentrer sur chacun d’entre eux tout à tour pour mener le processus de création.

Identifier ces sous-ensembles lui permet d’éviter notamment de disperser son attention avec des informations non pertinentes, c’est-à-dire qui n’interagissent que faiblement avec le sous-ensemble considéré. C’est une façon de gérer que Simon nommait « la rationalité limitée » c’est-à-dire le fait qu’un acteur économique n’a toujours que très peu d’information à sa disposition pour décider.

Au lieu de penser « grand », ce qui est impossible pour des problèmes complexes comme celui de la pollution ou de la mobilité, l’innovateur peut penser petit et local, à la mesure des capacités rationnelles humaines.

Travail local, impact global

Le fait que le système soi quasi-décomposable, pas seulement décomposable, fait que ce qui est fait localement est toujours relié à l’ensemble ; agir localement ne condamne donc pas le travail à rester local. Au contraire, le travail local est une condition pour avoir un impact ultérieur au niveau global, c’est-à-dire du système, car cela permet de ne pas rester bloqué devant l’immensité de la tâche.

C’est ce qui explique que beaucoup de révolutions, industrielles, sociales ou politiques, ont commencé petites avant de devenir grandes. Il faut noter que la façon dont le système est « découpé » par l’innovateur est totalement arbitraire et subjective. Certains découpages seront plus pertinents et fertiles que d’autres, permettant de mettre en relation des composants de manière originale et inattendue.

Robustesse et évolutivité

Le fait que des sous-systèmes puissent évoluer de manière largement indépendante sans que la stabilité, voire l’existence, de l’ensemble, soit remise en question est une des raisons pour lesquelles les systèmes quasi-décomposables sont plus robustes car plus évolutifs. Imaginons ainsi une entreprise monolithique – c’est-à-dire dont l’activité est non décomposable- dédiée à la revente du carton recyclé.

Cette dernière a fait l’acquisition d’une machine pour compacter le carton en vue de l’acheminer plus facilement vers des grossistes. La spécialisation de l’activité la rend peu susceptible de changement.

Par exemple, si le coût de la machine baisse, les grandes surfaces pourraient s’en équiper et remettre en cause la raison d’être de l’entreprise dans la chaîne de valeur du carton. De même, l’entreprise est extrêmement sensible à l’évolution du prix du carton menaçant sa marge d’intermédiaire.

Un système fragile

Ce système est donc intrinsèquement fragile. À l’opposé, un système complètement décomposable n’évolue pas en tant que système : on peut optimiser certaines parties sans que des problèmes soient réglés au niveau global ; c’est notamment le cas des systèmes de santé occidentaux qui n’évoluent pas alors que, par exemple, tous les médecins sont désormais informatisés.

Un système quasi-décomposable est un bon équilibre entre les deux. Un échec au niveau d’un des composants n’affecte en général pas la survie de l’ensemble (on peut fermer le McDonald’s d’Ecully sans remettre McDonald’s en question) tandis qu’au contraire le succès peut remonter et modifier le système.

Voir et concevoir une organisation comme quasi-décomposable, et non comme monolithique ou modulaire, c’est donc lui permettre d’évoluer de manière robuste dans un monde incertain tout en préservant son identité.

Le changement opéré au niveau local (par une initiative, une création de produit, une création entrepreneuriale) a plus de chance de réussir, car elle reste relativement autonome et isolée de l’ensemble, mais la connexion fait que l’apprentissage a plus de chances de remonter à l’ensemble.

Au final, la quasi-décomposabilité est un concept important mais qui n’a pas été très approfondi par la recherche, et encore moins mobilisé par le management. C’est très dommage car derrière un aspect un peu aride, ce concept a le potentiel d’expliquer beaucoup de phénomènes de l’entrepreneuriat et de l’innovation, mais aussi plus généralement du fonctionnement, ou du dysfonctionnement, de l’organisation.

Cet article a été rédigé avec Dominique Vian (Skema Business School).

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