Les députés vont-ils devoir se serrer la ceinture ?

On ne peut s’empêcher de penser que les propositions récentes du premier questeur à propos du train de vie des députés se contentent de petites améliorations à la marge, sans jamais toucher aux structures profondes.

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Les députés vont-ils devoir se serrer la ceinture ?

Publié le 15 novembre 2017
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Par Nathalie MP.

Moins belle, la vie, pour nos parlementaires ? Il leur a déjà fallu en passer cet été par une loi de moralisation de la vie publique qui, entre autres dispositions vexatoires pour leur dévouement naturel à la chose publique, transforme la réserve parlementaire, supprime les emplois familiaux directs et instaure un système de contrôle des frais de mandat à partir de 2018.

Mais voilà que le premier questeur de l’Assemblée nationale, l’un des trois députés chargés de gérer les finances de l’institution, a divulgué récemment dans la presse quelques petites idées amusantes d’économies supplémentaires : dorénavant, mesdames et messieurs les députés sont priés d’oublier les voitures avec chauffeur, les hôtels parisiens et les doubles bureaux avec chambre de l’Assemblée pour penser colocation, Airbnb, VTC, carte Navigo…  Ça passe très mal !

Plus de moyens ?

• Florian Bachelier, député LREM ex-PS, a tiré le premier, rapidement suivi par Thierry Solère, Constructif LREM-compatible et ex-LR. Le raisonnement est alambiqué. À les entendre, nos députés disposent de moyens bien inférieurs à ceux des pays voisins. Il va donc falloir les renforcer.

Mais avant cela, il faut élaguer tous les éléments inutiles qui apparaissent « injustifiables aux yeux des Français » comme par exemple la majoration de la retraite par rapport au droit commun, la gratuité de transport à vie pour les anciens députés ou la jouissance d’un bureau, d’un chauffeur et d’un collaborateur pendant dix ans pour les anciens titulaires du perchoir.

Il s’agirait ainsi d’économiser 1 million d’euros en 2017, 10 millions en 2018 et 15 millions en 2019 sur un budget d’exploitation de l’Assemblée qui a atteint 567 millions d’euros en 2016, chaîne LCP comprise. Pour Florian Bachelier, la philosophie est celle du dépenser moins pour dépenser mieux :

Dépenser moins, car l’argent public est précieux. Dépenser mieux, parce que les députés doivent vivre avec leur temps. 

D’où ses nouvelles propositions de transport et de logement qui combinent l’avantage de permettre des économies tout en collant mieux à la nouvelle assemblée – plus jeune de 6 ans en moyenne par rapport à la précédente – et aux évolutions des modes de vie en général.

Dans son collimateur spécial, l’Hôtel de Broglie et ses 7 000 m2 sis dans le 7ème arrondissement de Paris que l’Assemblée a racheté à l’État pour 63 millions d’euros dans le but d’y créer des doubles bureaux avec chambre pour loger les députés de passage à Paris. Avec les travaux d’aménagement, le coût monterait à 100 millions d’euros.

De l’anti-parlementarisme ?

• Les députés actuels sont à coup sûr plus jeunes que les précédents (48 ans en moyenne contre 54), mais il n’empêche que les propositions du premier questeur ont été fraîchement accueillies par ses collègues, sur le mode « Restons sérieux », « Ne tombons pas dans la démagogie » et « N’alimentons pas l’anti-parlementarisme ».

Toujours premier à monter au créneau dans ce genre d’affaires, le député du Vaucluse Julien Aubert (LR) y voit purement et simplement « la fin du Parlement » après l’avoir douloureusement pressentie de toutes ses fibres éminemment républicaines à l’occasion du vote de la loi de moralisation de la vie publique.

Mais il n’est pas le seul à pousser des cris. Beaucoup de députés considèrent tout d’abord que les chiffres annoncés ressemblent tellement à des économies de bout de chandelle que c’est toute la vie démocratique qui est en danger.

Ensuite, nombreux sont ceux qui y voient un coup de com’ personnel dans la mesure où personne n’était prévenu, ni le bureau de l’Assemblée ni même le Président Francois de Rugy. Florian Bachelier aurait produit pour l’occasion un dossier de presse de 18 pages dont 7 photos de lui en pleine page, ce qui lui a valu pas mal de remarques moqueuses. Depuis, le dossier en ligne n’est plus accessible.

Une manœuvre politique ?

Et encore plus nombreux sont ceux qui ne manquent pas de rappeler la situation enviable des questeurs, entre indemnité parlementaire brute mensuelle majorée de 5 000 € environ et logement de fonction de 400 m2 dans l’hôtel de la Questure (photo ci-contre). Naturellement, rien de tout ceci n’est évoqué dans les pistes d’économie.

D’autres encore subodorent une manoeuvre politique du Président du groupe LREM à l’Assemblée Richard Ferrand contre François de Rugy dont il convoiterait le poste. Ce dernier a lancé plusieurs groupes de travail pour réformer l’Assemblée. Les interventions de Bachelier, député originaire de Bretagne et proche de Ferrand, auraient pour objectif de pousser le ras-le-bol des députés à son comble pour faire capoter toute la réforme.

Notons que depuis le 13 octobre dernier Richard Ferrand respire mieux. Le parquet de Brest a classé sans suite l’enquête qui le visait dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Il peut donc se remettre En Marche politique avec vigueur. Selon certains parlementaires très observateurs et bien informés :

Richard Ferrand prépare minutieusement le dézingage du président de l’Assemblée nationale.  

Ces petits ruisseaux qui font des grandes rivières

Si l’on fait abstraction de la mousse politique habituelle, qui s’éparpille entre ambitions personnelles, coups tordus et souci de préserver au maximum certains privilèges au nom de la démocratie « qui a besoin de moyens pour vivre », que penser des propositions des questeurs ? Le petit tableau ci-dessous (en fin d’article) sur la situation matérielle des députés montre que ces derniers ne sont pas totalement à plaindre malgré ce qu’ils en disent.

Il est certain que des économies de 15 millions par an pour un total de dépenses publiques annuelles de 1 257,2 milliards d’euros (2016), ça ne va pas chercher très loin. Mais après tout, dans notre situation budgétaire tendue, il ne serait sans doute pas avisé de trop se moquer des petits ruisseaux qui feront peut-être les grandes rivières.

Toute organisation doit s’efforcer de fournir ses services au meilleur coût. C’est vrai dans la situation concurrentielle des entreprises ; il n’y a pas de raison que les institutions hors concurrence s’exonèrent d’une recherche d’efficacité pour le portefeuille des contribuables, bien que ce ne soit hélas pas une tendance forte de la gestion des fonds publics.

Une réforme ou une réformette ?

Cependant, on ne peut s’empêcher de penser que cette manifestation de bonne volonté gestionnaire est prise une fois de plus par le petit bout de la lorgnette. J’y discerne plus matière à impressionner l’opinion publique sur le mode « Voyez comme on est moderne, voyez comme on se réforme » qu’une véritable volonté de restructuration de la vie publique.

Dans un souci de bonne gestion, les propositions émises (ou d’autres) auraient dû faire depuis longtemps et en permanence l’objet d’arbitrages internes. C’est en quelque sorte le minimum qu’on attend de nos représentants et de nos administrations. Dans ce cas, inutile de faire les manchettes de la presse ou de passer en prime-time à la télévision chaque fois qu’il est question de restructurer tel ou tel service.

De plus, venant d’une entité étatique, la mention d’Airbnb et des VTC fait sourire. Si c’est le signe que les acteurs de la nouvelle économie commencent à être acceptés au même titre que n’importe quelle autre entreprise, c’est une bonne nouvelle.

Mais on était plutôt sous l’impression que ces deux secteurs d’activité, en faisant concurrence aux acteurs traditionnels que sont les taxis et l’hôtellerie classique, n’étaient pas en odeur de sainteté auprès des pouvoirs publics.

La réforme de la représentation

À Paris, Anne Hidalgo s’est même prononcée récemment en faveur d’une diminution des nuitées autorisées pour les hébergements de type Airbnb. Reste la possibilité que les députés puissent bénéficier de prestations qui seront par ailleurs drastiquement contrôlées pour le citoyen lambda. On ne serait plus à un petit privilège près.

Enfin, et surtout, la vraie question de fond concerne la réforme profonde de l’ensemble des représentations des citoyens. Championne des dépenses, de la dette et des prélèvements obligatoires, la France est aussi championne pour le nombre d’élus (plus de 600 000 grâce aux conseils municipaux contre 25 000 au Royaume-Uni) et le nombre de couches de son millefeuille territorial. Seule une refonte complète de toutes ces strates pourraient apporter l’allègement budgétaire souhaitable.

Emmanuel Macron a promis de baisser le nombre de parlementaires d’un tiers. Il est à espérer que cette réforme verra le jour, car elle pourrait générer des économies proches de 100 millions d’euros par an (voir tableau ci-dessous), bien qu’on puisse s’attendre à toutes les réticences possibles.

Mais au-delà, c’est aussi la suppression administrative des départements et des communes qu’il faut envisager pour laisser à terme la place à des régions rationalisées, des grandes métropoles et des communautés de communes.

Pas de réforme sur le fond

Diminuer le périmètre de l’État, simplifier les structures territoriales et réduire drastiquement les dépenses afférentes, en bref procéder à une remise à plat complète des représentations nationales et locales, voilà une ambition aussi saine qu’impérieusement nécessaire.

Dans cette optique, même si l’on ne boudera pas quelques économies réalisées ici ou là, on ne peut s’empêcher de penser que les propositions récentes du premier questeur à propos du train de vie des députés procèdent d’une forme de foutage de gueule tant elles se contentent de petites améliorations à la marge, sans jamais toucher aux structures profondes.

Par contre, si le gouvernement parvient à diminuer le nombre de parlementaires d’un tiers avant la fin du quinquennat, ce sera une jolie prouesse politique, une vraie source d’économies et de bon augure pour la suite des réformes nécessaires. C’est plutôt sur ce terrain qu’on attend M. Bachelier.

Petit résumé de la situation matérielle du député


Dispositions mises à jour au 30 octobre 2017
(soit avant l’application de la Loi de moralisation de la vie publique)

Indemnité parlementaire mensuelle brute                                      7 209,74 €
Indemnité parlementaire mensuelle nette                                     5 782,66 €
Si le député a un mandat local, il ne peut toucher qu’un maximum de 2 799,90 € bruts par mois en plus.
Président de l’Assemblée, brut mensuel en plus :                     +    7 267,43 €
Questeurs, brut mensuel en plus :                                                +    5 003,57 €
Et ainsi de suite pour d’autres fonctions particulières.
Fiscalité classique des traitements et salaires.

Indemnité représentative des frais de mandat nette (IRFM)     5 372,80 €
(mensuel)
Pour l’instant, laissée à la totale discrétion du député.
→ La loi de moralisation change la formule à partir de 2018 : remboursement sur présentation de justificatifs.

Crédit affecté à la rémunération de collaborateurs (CARC)      9 618,00 €
(mensuel, pour 1 à 5 collaborateurs)
Les charges sociales et fiscales sont prises en charge par l’Assemblée.

Transports :
– SNCF 1ère classe
– Une douzaine de voitures avec chauffeurs pour les déplacements en région parisienne.
– Taxis : justificatifs demandés et plafond de 2750 € par an.
– carte RATP nominative.
– Prise en charge d’un certain nombre de déplacements aériens suivant les cas.

Dotation informatique :                          de 10 000 à 15 500 € suivant les cas
Forfait téléphone :                           de 4 200 à 7 600 € par an suivant les cas
Forfait courrier :                                                                                12 000 € par an

+ Restauration et hébergement spécifiques
+ Dispositif spécifique de retour à l’emploi, sécurité sociale et retraite.

Pour tout le détail, voir ici.

En 2016, les charges parlementaires, c’est-à-dire le coût total des 577 députés, se sont montées à 306 millions d’euros, soit une moyenne de 530 k€ par député.

La diminution des députés d’un tiers aux mêmes conditions ne représenterait pas exactement une économie de 102 millions d’euros par an car les restructurations répondent rarement à une pure règle de trois, mais ce serait incontestablement beaucoup plus près de 100 millions que les 15 millions par an en 2019 envisagés par Florian Bachelier.

Sur le web

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  • Bah , le député …il ne devrait rien toucher de plus qu’un jure de cour d’assises.il n’a pas à créer des lois ou inaugurer il y a des fonctionnaires pour ça , sa fonction , voter .

  • des députés qui représenteraient 200 000 habitants chacun, on aurait 330 députés environ.
    des sénateurs qui représenteraient 4 000 km2 du territoire de france chacun, on aurait 160 sénateurs environ. (représenter le territoire, éternel, est important : les habitants actuels ne sont que de passage)
    66 millions de français répartis dans 36 000 communes, c’est 1 800 habitants en moyenne par commune et c’est 600 000 élus municipaux. inciter à la fusion des communes par la baisse progressive des dotations permettrait en 12 ou 18 ans (2 ou 3 mandats) de diviser par 2 ou 3 ce nombre sans changer les règles de représentation.
    par exemple, dans le canton de neuchâtel, en suisse, le nombre de communes est passé de 60 en 2008 à 35 aujourd’hui par un processus de fusion, approuvé par votation par la population. et le processus n’est pas terminé : en 2018, 6 communes fusionneront en une seule…
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Communes_du_canton_de_Neuchâtel

  • Je me demande bien comment aujourd’hui on peut avoir pour  » de 4 200 à 7 600 € » de forfait Téléphone.

    • Dans le lien donné, on peut lire que :

      « Le montant du forfait est variable selon l’éloignement de la circonscription. Il s’élève par exemple à 4 200 € pour les députés de métropole et à 7 670 € pour les députés élus des départements d’outre-mer. »

  • Il y a collusion entre élus et fonctionnaires pour toujours augmenter leur nombre (cf. Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, tomme 2). Compter sur des élus pour en réduire le nombre, c’est le fait de doux rêveurs, car jamais on ne se coupe un bras volontairement.
    Seule un choc brutal, de type révolutionnaire, peut faire maigrir le mamouth d’un gros facteur 2, voire 3.

    • @ Mullerache
      « Seul un choc brutal, de type révolutionnaire … »
      Si l’objectif chiffré est convainquant, un referendum savamment bien expliqué pourrait créer l’enthousiasme, en toute « démocratie », dans ce cas où la confusion entre juge et partie est transparente!

  • Ces députés sont en nombre , c’est le moins que l’on puisse dire, car la moitié suffirait largement …

    Par ailleurs ces gens touchent malgré un absentéisme incroyable, leurs très très grasses indemnités.

    Sont-il efficaces, utiles ? NON : il suffit de voir l’état de délabrement et de surendettement du pays !

    Anticor a demandé la réouverture du dossier de l’escroc ferrand : j’espère qu’elle aboutira mais avec une justice pour le moins folklorique, orientée à gauche doute, je reste dubitative ….

  • Le commentaire de Rectitude me laisse sans voix !! Alors là ! Mykilux doit abandonner son idée de référendum. Nous sommes au fond, du fond du tréfonds .

  • « la suppression administrative des départements et des communes qu’il faut envisager pour laisser à terme la place à des régions rationalisées, des grandes métropoles et des communautés de communes. »
    Absolument pas d’accord concernant la suppression des communes. C’est bien le seul niveau où (vu la taille) nous pouvons avoir un contrôle sur les potentielles conneries de nos élus ; la dilution de la responsabilité reste encore assez faible.

  • Il me semble que les députés devraient toucher une part fixe ultra-réduite, et une part variable indexée sur les résultats économiques de l’Etat et sur la satisfaction des citoyens.

  • Les commentaires sont fermés.

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