Octobre 1917, le mythe tenace de la révolution

Que s’est-il passé le 25 octobre 1917 ? Peu de choses, si on considère les événements en eux-mêmes, d’une squelettique indigence. Mais ces péripéties, médiocres en soi, devaient se révéler néanmoins d’une portée immense et désastreuse.

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Octobre 1917, le mythe tenace de la révolution

Publié le 7 novembre 2023
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Le lourd bilan humain du « socialisme réel » n’a visiblement servi à rien. Les vieux débris d’extrême gauche mêlant leurs voix aux tendres générations « insoumises » et « antifa » n’en démordent pas. Octobre 1917 fut un moment radieux. Le mythe révolutionnaire continue d’exercer sa fascination même s’il rayonne sur un cercle plus restreint qu’autrefois.

Mais au fond que s’est-il passé le 25 octobre 1917 ? Peu de choses, si on considère les événements en eux-mêmes, d’une squelettique indigence. Mais ces péripéties, médiocres en soi, devaient se révéler néanmoins d’une portée immense et désastreuse.

 

Une révolution, quelle révolution ?

Comme le faisait remarquer Martin Malia, il est pourtant difficile de définir chronologiquement la révolution russe.

Faut-il considérer l’année 1917 comme formant un seul processus révolutionnaire qui débute en février par le renversement du tsarisme et s’achève en octobre par la prise du pouvoir des bolcheviks ?

Faut-il se limiter aux « dix jours qui ébranlèrent le monde » pour reprendre l’expression du célèbre ouvrage de John Reed ?

Faut-il au contraire élargir jusqu’en 1921 avec la victoire finale des bolcheviks sur leurs adversaires et la fin de la guerre civile russe ?

Faut-il remonter à la première révolution, celle de 1905 ?

Faut-il aller jusqu’aux purges des années 1930 qui assoient définitivement le système ?

Octobre a été un moment. Un moment qui ne s’est d’ailleurs pas passé en octobre mais en novembre. En effet, les Russes utilisaient toujours le calendrier julien : le 25 octobre 1917 correspond donc à notre 7 novembre 1917.

Ce moment aurait pu déboucher sur un échec rapide. En effet, rien n’assurait les bolcheviks de la conservation du pouvoir dans un pays plongé dans le chaos. 1917 a été cependant un point de départ crucial. Pour la première fois un régime marxiste était mis en place, pour la première fois le « socialisme » devenait réel. Pour le malheur des Russes et d’une bonne partie de la planète.

 

La révolution permanente au moins pendant quelques décennies

Surtout le mot « révolution » change désormais de sens. 1905 a un air de familiarité : la monarchie menacée accorde, du bout des lèvres, de timides réformes qui lui donnent un vague air constitutionnaliste qui n’est guère qu’une façade. Février 1917 semble achever le processus resté inachevé en dotant le pays d’un véritable régime constitutionnel débarrassé d’une autocratie anachronique. Mais quelques mois plus tard, l’extrême gauche s’empare du pouvoir, et ne le lâchera plus.

Le mot « révolution » désigne donc désormais un régime qui va perdurer sept décennies. La fin de l’histoire, cette éternelle illusion, n’est-elle pas enfin arrivée ? La révolution française avait fait naître l’idée que le bonheur de l’humanité ne pouvait se faire que par une nouvelle révolution, plus radicale que celle de 1789-1793.

La révolution qui mettrait fin à toutes les révolutions n’allait-elle pas naître en Russie comme l’espérait Marx dans ses dernières années ?

La révélation rapide, quoi qu’on ait dit, de la nature réelle du nouveau régime, ne tuera pas l’espérance révolutionnaire qui se reportera ensuite sur la Chine, Cuba, le VietNam ou le Cambodge.

 

Il ne s’est rien passé en octobre

Par une de ses ironies dont l’histoire est friande, le marxisme triomphait parmi l’intelligentsia d’un pays dépourvu ou à peu près de prolétariat. Si la tardive industrialisation du pays avait pourtant permis une concentration d’ouvriers dans les grandes villes, la population restait massivement paysanne.

Mais c’est avant tout l’impact de la Grande Guerre, en détruisant l’édifice fragile de l’autocratie, qui provoque l’explosion révolutionnaire et non la « lutte des classes ». Février a jeté à bas la monarchie. Mais le gouvernement provisoire n’a aucune autorité, le pouvoir réel appartient à des « soviets », assemblées permanentes bien en peine de gouverner quoi que ce soit. Les bolcheviks vont rapidement les noyauter.

Les paysans se sont emparés des terres, les ouvriers contrôlent les usines. L’anarchie règne partout.

Le pouvoir est à prendre, et le gouvernement trop faible pour résister à quoi que ce soit. Les bolcheviks vont donc facilement s’emparer du pouvoir.

En réalité, il ne s’est rien passé en octobre.

Deux jours confus vont tenir lieu d’insurrection prolétarienne. Une bande de gardes rouges, de soldats et de marins s’emparent le 8 novembre d’un palais d’Hiver guère défendu sinon par de jeunes élèves des écoles militaires et un bataillon féminin. La prétendue « révolution » avait fait six morts parmi les défenseurs et aucun parmi les assaillants.

Même sans octobre, la Russie ne pouvait échapper ni à une expérience socialiste, quelle qu’elle soit, ni à la guerre civile. Mais l’expérience aurait pu déboucher finalement sur un échec rapide et la mise en place d’un régime autoritaire classique.

 

Un « prolétariat métaphysique »

Ce ne sont pas les mythiques « prolétaires » qui prennent le pouvoir mais une minorité résolue. Un « prolétariat métaphysique », pour reprendre l’heureuse expression de Martin Malia, gouverne désormais.

Les socialistes dominant le Congrès des Soviets, le coup de force était parfaitement inutile mais Lénine ne voulait partager le pouvoir avec personne. Trotsky devait vouer les autres courants socialistes russes aux « poubelles de l’histoire ».

La guerre civile va favoriser la naissance de l’État-Parti et même sanctifier a posteriori la création de la sinistre Tchéka. Les vieux arguments déjà utilisés pour « justifier » la Terreur jacobine vont être exhumés de nouveau pour « expliquer » le « communisme de guerre ».

Que voulez-vous, il fallait bien défendre la « bonne révolution » contre les « méchants contre-révolutionnaires ». La Tchéka vit pourtant le jour avant l’éclatement de la guerre civile. Et le « communisme de guerre », loin d’être imposé par les circonstances, n’était jamais que l’application du programme marxiste : suppression de la propriété privée, du marché et de la monnaie.

Pourtant, en 1921, avec la fin de la guerre civile, on pouvait penser que le pire était désormais passé.

On se trompait lourdement.

Article publié initialement le 25 octobre 2017.

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Créer un compte Tous les commentaires (11)
  • À la fin de toute guerre civile étendue, le vainqueur est nécessairement un gouvernement despotique, qu’il soit un ordre militaire ou un pouvoir politique absolutiste.
    Les critiques ultérieures viendront toujours des opposants, ou de ceux qui s’identifient comme tels, alors qu’extérieurs à l’espace-temps des troubles.
    Ceux que l’Histoire a balayés et qui ne rêvent que de revanche !
    Rien de nouveau sous le soleil.

    • @ Gosseyn
      Vous avez raison! Le temps a passé et il est à présent facile de critiquer le communisme russe et soviétique, mais si on veut éviter les anachronismes, il faut se replonger dans les réalités de l’époque, du temps des « moujiks » dans les campagnes, des prolétaires en ville.

      La Russie et l’URSS ont quand même connu leurs heures de gloire, à une époque, symbolisées par la conquête de l’espace avec le premier satellite (« spoutnik ») et Y.Gagarine, premier homme dans l’espace (ou le premier qui en est revenu vivant?).

      De plus, sans l’expérience de la Russie et de l’URSS, connaitrait-on aussi bien, aujourd’hui, les failles du système communiste mais aussi ses succès à reconnaitre: tout le monde a eu à manger, un logement, une instruction, un job, des soins de qualité, une culture élevée et accessible, le développement du sport de haut niveau (et du dopage): était-ce toujours le cas, avant, et l’est-ce maintenant encore?

      Il y a donc beaucoup à apprendre aussi de ce système à l’opposé du libéralisme capitaliste, même pour un libéral curieux!

      -2
      • C’est pour cela qu’il convient d’écarter toute critique dogmatique voulant faire plier les faits pour les faire entrer dans un carcan idéologique, quel qu’il soit.
        Partir des faits est le moyen. Ce qui ne dispense pas d’une culture politique. Les faits peuvent être terribles, ou terriblement banaux, mais ils sont.

      • « Tout le monde a eu à manger » sauf les millions qui sont morts de faim

      • apprendre de ce système , c’est à dire?
        qu’une dictature puisse se construire ses propres succès?
        On admire encore les pyramides d’Égypte ou la grande muraille de chine ou le palais du versailles..

        • @ jacques lemiere

          Oui, on admire les bâtiments, pas la vie de ceux qui les ont fait construire! Ce sont 2 choses bien différentes!

      • Des soins de qualité? les médecins pour l’essentiel était des officiers de santé, sans qualification susceptible encore aujourd’hui d’avoir une équivalence en France même comme infirmier.Avoir discuté avec certains comme médecin était effectivement une erreur d’appréciation. Il existait bien quelques grands services à Moscou ou à Saint Petersbourg qui pouvait donner de bon résultat. Les chirurgies coronaires de Boris Elsine ont été faites par des chirurgiens américains.
        Le logement pour plusieurs familles n’était pas une vue de l’esprit. J’ai eu le témoignage de nombreux russes quand je jouais aux Echecs par correspondance (et sans parler de la Poste russe – 1 moi a ller et 1 mois retour n général….).

        • @ Thibs
          Je ne suis pas du tout un « fan » du système soviétique! Mais je crois qu’il est toujours bon d’apprendre de ses « ennemis ». J’ai suffisamment vécu la guerre froide avec l’érection du mur de Berlin jusqu’à sa chute!
          Ne me parlez pas des médecins: j’ai connu les arcanes françaises (ineptes) comme citoyen et médecin U.E. pour la reconnaissance de diplômes étrangers!!! Par contre, l’URSS a formé bien plus de médecins africains compétents en Afrique que bien d’autres pays!

          La réalité n’est jamais blanche ou noire!

  • bonjour Monsieur Thermeau,

    belle et claire analyse comme toujours.

    expliquez vous l’histoire et en particulier les drames socialo-communistes à vos élèves comme vous le faites ici ?

  • « Les socialistes dominant le Congrès des Soviets, le coup de force était parfaitement inutile mais Lénine ne voulait partager le pouvoir avec personne. »
    C’est inexact : aux élections du 25 novembre 1917 (déjà prévues avant le coup de force du 7 novembre), les bolchéviks (ie « les majoritaires », c’st ainsi qu’ils s’étaient auto-proclamés) sont largement battus par les socialistes révolutionnaires.
    Et c’est seulement, grâce au coup de force du 7 novembre, que les bochléviks peuvent dissoudre l’assemblée constituante de 1918 élue ce 25 novembre 1917 et d’arroger le pouvoir…

  • La guerre 14-18 est d’ après moi l’ élément fondateur des victoires du bolchévisme en Russie et du nazisme en Allemagne. La Russie comme l’ Allemagne sont sortie meutrie de ce conflit ce qui a entrainé une guerre civile et une situation anarchisque dans ces deux pays. Au final ce sont les plus organisés et les plus violents ( nazis et bolchéviks) qui ont touché le jackpot.

  • Les commentaires sont fermés.

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