Taxe d’habitation : l’exonération est-elle constitutionnelle ?

Le projet de loi de finances pour 2018 met en œuvre la proposition phare d’Emmanuel Macron de dispenser du paiement de la taxe d’habitation sur la résidence principale 80% des ménages d’ici 2020. Mais est-ce bien conforme à la constitution ?

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Conseil constitutionnel, Paris - Crédit photo : Jeanne Menj via Flickr (CC BY-ND 2.0

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Taxe d’habitation : l’exonération est-elle constitutionnelle ?

Publié le 18 octobre 2017
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Par Jean-Philippe Delsol et Virginie Pradel.
Un article de l’Iref-Europe

Cette mesure fiscale vise à dispenser 80 % des ménages du paiement de la taxe d’habitation sur la résidence principale ; sachant que cet objectif sera atteint de manière progressive sur trois ans ; ainsi, en 2018 et 2019, la cotisation de taxe d’habitation restant à charge de ces foyers, après application éventuelle du plafonnement existant, sera abattue de 30 % puis de 65 % l’année suivante.

Ce nouveau dégrèvement concernera les foyers dont les ressources n’excèdent pas 27 000 euros de revenu fiscal de référence (RFR) pour une part, majorées de 8000  euros pour les deux demi-parts suivantes, soit 43 000 euros pour un couple, puis 6000 euros  par demi-part supplémentaire.

Pour les foyers dont les ressources se situent entre ces limites et celles de 28 000 euros  pour une part, majorées de 8500 euros pour les deux demi-parts suivantes, soit 45 000 euros pour un couple, puis 6000 euros par demi-part supplémentaire, le droit à dégrèvement sera dégressif afin de limiter les effets de seuil.

Cette mesure fiscale est-elle susceptible de contrevenir aux principes constitutionnels relatifs à l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales, mais aussi à celui d’égalité devant la loi et les charges publiques ?

Une analyse exhaustive en amont s’avère nécessaire tant les conséquences en aval d’une mesure inconstitutionnelle pourraient se révéler fâcheuses pour les finances publiques françaises. Est-il en effet besoin de rappeler le désastre financier de la contribution de 3 % sur les revenus distribués qui risque d’obliger l’État à rembourser près de 10 milliards d’euros aux entreprises ?

S’agissant du principe d’autonomie financière et fiscale des collectivités locales

Sur ce point, le projet de loi de finances pour 2018 assure que

de façon à préserver l’autonomie financière des collectivités, l’État prendra en charge les dégrèvements, dans la limite des taux et des abattements en vigueur pour les impositions de 2017, les éventuelles augmentations de taux ou d’abattements étant supportées par les contribuables. Un mécanisme de limitation des hausses de taux décidées ultérieurement par les collectivités et de prise en charge de leurs conséquences, de manière à garantir un dégrèvement complet, en 2020, pour les foyers concernés, sera discuté dans le cadre de la conférence nationale des territoires.

Autrement dit, il est prévu que l’État compensera les pertes de ressources fiscales engendrées par cette mesure, mais à taux inchangés. Toute hausse de taux engendrera donc une taxe distincte à payer par les contribuables. Une telle mesure incitera ainsi les collectivités territoriales à renoncer à toute augmentation de taux, sauf à les faire supporter à ceux qui s’en croyaient exonérés. Cette mesure fiscale est-elle susceptible de porter atteinte à l’autonomie financière et fiscale de ces dernières ?

Distinction entre autonomie financière et autonomie fiscale

Composante essentielle du principe de libre administration des collectivités territoriales posée par l’article 72 de la Constitution, l’autonomie financière des collectivités territoriales fait l’objet d’une garantie constitutionnelle depuis la réforme du 28 mars 2003, laquelle prévoit à l’article 72-2 de la Constitution que :

Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources.

La loi organique du 29 juillet 2004 a précisé la portée de ces principes en définissant des ratios de ressources propres par catégorie de collectivités, en référence à la situation de 2003 soit 60,80 % pour les communes, 58,60 % pour les départements et 41,70 % pour les régions (article 1114-3 du Code général des collectivités territoriales).

Au demeurant, l’autonomie financière des collectivités territoriales est protégée par la Charte européenne de l’autonomie locale.

A contrario, l’autonomie fiscale des collectivités territoriales est faiblement protégée par cette Charte et n’est aucunement garantie par la Constitution. Le Conseil constitutionnel a en effet affirmé en 2009 :

Il ne résulte ni de l’article 72-2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale.

L’absence de protection constitutionnelle du principe d’autonomie fiscale des collectivités territoriales implique que, sous réserve de respecter l’article 1114-3 du Code général des collectivités territoriales (qui impose que la part des ressources propres sur la quasi-totalité de leurs ressources ne soit pas inférieure à celle constatée en 2003), l’habilitation juridique qui leur est accordée afin d’exercer le pouvoir fiscal de l’État peut être supprimée.

Autrement dit, l’État peut revenir à sa guise sur l’autonomie fiscale conférée aux collectivités territoriales, sous réserve de respecter le principe d’autonomie financière de ces dernières.

Cette analyse est corroborée par une décision du Conseil constitutionnel qui considère qu’une ressource fiscale n’est pas nécessairement un prélèvement dont l’assiette ou le taux ont été définis par l’organe délibérant local et qu’il suffit que ce prélèvement soit localisé.

Cette décision s’appuie sur l’article 1114-2 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que

au sens de l’article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette.

Par suite, le Parlement peut retirer aux collectivités territoriales la gestion de la taxe d’habitation, sous réserve toutefois que l’assiette de cet impôt leur reste attribuée.

Les dégrèvements de taxe d’habitation correspondent à des subventions qui sont exclues des ressources propres

Les dégrèvements, comme les compensations d’exonérations, correspondent à des subventions de l’État aux collectivités territoriales.

Les dégrèvements de taxe d’habitation sont des subventions « implicites » dès lors qu’elles ne sont pas connues des collectivités locales bénéficiaires. Elles se distinguent en cela des compensations d’exonérations de taxe d’habitation qui sont des subventions « explicites » inscrites en recettes budgétaires.

Les subventions ne devraient pas entrer dans la catégorie des ressources propres des collectivités territoriales au sens de l’article 1114-2 du Code général des collectivités territoriales. Il s’ensuit que celles-ci devraient être comptabilisées dans la catégorie des « autres ressources » pour le calcul du ratio d’autonomie des collectivités territoriales.

Pour apprécier le respect du principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités territoriales, il conviendrait donc de calculer ce ratio en déduisant le montant correspondant au nouveau dégrèvement de taxe d’habitation de la catégorie des ressources propres. Ce faisant, il est probable que le ratio d’autonomie financière ne sera pas respecté et que l’exonération de taxe d’habitation apparaîtra inconstitutionnelle.

S’agissant du principe d’égalité

Le principe d’égalité est multiple puisqu’il recouvre en réalité deux principes distincts, à savoir le principe d’égalité devant la loi et celui d’égalité devant les charges publiques.

Ces principes trouvent leurs sources dans le corpus constitutionnel : à l’article premier de la Constitution qui dispose qu’est assurée « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que la loi « doit être la même pour tous » et à l’article 13 de cette Déclaration aux termes duquel

pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Ces principes sont dûment garantis par la Constitution.

La violation du principe d’égalité est un motif d’inconstitutionnalité très souvent invoqué devant le Conseil constitutionnel, même si en pratique il ne prospère pas souvent dans la mesure où le Parlement dispose de marges de manœuvre relativement importantes.

En effet, selon une formule désormais classique, le principe d’égalité

ne s’oppose, ni à ce que le législateur (le Parlement) règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit.

Ainsi, lorsqu’il est saisi du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel opère les contrôles successifs suivants :

> il circonscrit tout d’abord les spécificités de la situation examinée pour déterminer si la différence de traitement peut être justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi ;

> il recherche ensuite la raison d’intérêt général en rapport direct avec la loi qui pourrait justifier une différence de traitement ;

enfin, il examine, de manière spécifique au principe d’égalité devant les charges publiques, le caractère objectif et rationnel des critères qui fondent la différence de traitement en fonction des buts que le législateur se propose ainsi que l’éventuelle rupture manifeste d’égalité devant ces charges

Analyse

Existence d’une différence de traitement

La première question est donc de savoir si la mesure envisagée par Emmanuel Macron serait susceptible d’instaurer une différence de traitement entre les contribuables. Force est de constater que la réponse à cette question est positive dans la mesure où seulement 20 % des foyers seront en définitive tenus de payer la taxe d’habitation. Les autres, soit 80 % des foyers, seront exonérés sur le fondement de leurs revenus.

Les contribuables les plus modestes sont d’ores et déjà exonérés de taxe d’habitation selon des critères de revenus. Cette prise en compte des revenus des contribuables pour l’exonération de taxe d’habitation a toutefois de quoi surprendre dès lors que celle-ci repose en principe sur la valeur locative des biens dont ils ont la disposition ou la jouissance. En effet, selon l’article 1408 du code général des impôts,

la taxe d’habitation est établie au nom des personnes qui ont, à quelque titre que ce soit, la disposition ou la jouissance des locaux imposables.

Au reste, selon l’article 1409 du Code général des impôts

la taxe d’habitation est calculée d’après la valeur locative des habitations et de leurs dépendances, telles que garages, jardins d’agrément, parcs et terrains de jeux. Cette valeur locative est déterminée selon les règles définies aux articles 1494 à 1508 et 1516 à 1518 A ter du Code général des impôts.

Cette prise en compte élargie des revenus des contribuables reviendrait à faire de la taxe d’habitation une sorte d’impôt local et progressif sur le revenu dont seulement 20 % des Français, percevant les revenus plus élevés, devraient s’acquitter ; ce qui aboutirait donc à amplifier le phénomène déjà existant d’hyper concentration de l’impôt sur le revenu payé à hauteur de 40 % de son produit par les 2 % de foyers ayant les revenus les plus élevés.

Quoi qu’il en soit, il est douteux que cet argument puisse prospérer devant le Conseil constitutionnel dans la mesure où celui-ci a admis dans une décision de 1989 qu’un prélèvement assis sur les valeurs locatives servant de base à la taxe d’habitation, progressif et s’appliquant aux contribuables autres que ceux bénéficiaires des mesures de dégrèvement ou de plafonnement, ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité.

Absence de raison d’intérêt général

Reste donc à savoir si cette différence de traitement pourrait être justifiée par une raison d’intérêt général. Ont notamment été considérées comme telle, la protection de l’environnement, la sauvegarde d’un secteur économique ou encore la lutte contre la fraude fiscale.

S’agissant de la taxe d’habitation, on peine néanmoins à voir quelle pourrait être la raison d’intérêt général invoquée pour justifier une telle discrimination entre contribuables en fonction de leurs revenus.

D’une manière générale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait être favorable à l’annulation de cette mesure d’exonération de 80 % des assujettis de la taxe d’habitation eu égard à l’ampleur de cette mesure autant qu’au caractère aléatoire et discriminatoire de la limite fixée au regard du seul revenu imposable et sans prendre en compte les autres critères d’appréciation de la capacité contributive des contribuables concernés.

Dans sa décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986, la juridiction suprême a jugé qu’un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d’une majoration de ce plafond par personne à charge, constituait une rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques. Ses considérants 16 et 17 sont ainsi rédigés :

16. Mais considérant que l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » ;
17. Considérant que, si le principe ainsi énoncé n’interdit pas au législateur de mettre à la charge d’une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s’oppose à une rupture caractérisée du principe de l’égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens.

Ainsi que le mentionnent Les Cahiers du Conseil Constitutionnel n°6 dans leur commentaire de la décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, si l’article 13 de la Déclaration n’interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières, en vue notamment d’améliorer les conditions de vie de certaines autres, il s’oppose à une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens (cf. 85-200 DC du 16 janvier 1986). Dès lors, quand il détermine l’assiette d’une imposition, le législateur, pour assurer le respect du principe d’égalité, doit fonder son application sur des critères objectifs et rationnels.

Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a censuré, comme introduisant une rupture d’égalité caractérisée entre les contribuables, des différences de taux d’imposition de grande ampleur.

Ainsi a été déclarée anticonstitutionnelle la baisse de la CSG sur les bas salaires, parce qu’elle ne tenait pas compte des revenus autres que ceux tirés d’une activité, faisant peser, au même niveau de vie, un taux d’imposition de 7,33 % sur certains contribuables et de 8% sur d’autres.

De même, parce que, ne prenant pas en compte les revenus des autres membres du foyer, elle introduisait un écart de 1 % dans les taux de taxation supportés par des contribuables ayant les mêmes capacités contributives.

L’exonération de taxe d’habitation de 80 % des foyers créerait une rupture manifeste d’égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens sans être fondée sur des critères objectifs et rationnels.

En effet, si les exonérations qui prévalaient jusqu’à présent, également fondées sur les revenus, visaient les personnes considérées comme manifestement défavorisées et disposant de revenus insuffisants pour leur permettre de faire face par elles-mêmes à leurs besoins élémentaires, la généralisation de cette exonération à 80% de la population fixerait désormais une limite arbitraire de taxation, sauf à considérer que seuls 20% de la population dispose d’un revenu suffisamment décent pour vivre, ce qui serait extrêmement inquiétant pour notre pays, et manifestement erroné.

Au surplus, si le critère d’exonération restait le seul revenu fiscal, la situation de chaque contribuable serait ainsi évaluée de manière partielle, sans prendre en compte par exemple sa situation de patrimoine.

Plus généralement, il ne serait pas compréhensible qu’une telle exonération soit admise par le Conseil constitutionnel pour un impôt lié à l’habitation et non au revenu alors que dans sa décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010, il a considéré que l’impôt de solidarité sur la fortune ne figurant pas au nombre des impositions sur le revenu, et cet impôt ayant vocation à frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits, la prise en compte de cette capacité contributive n’implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune.

En effet, de la même manière, en matière de taxe d’habitation il faut considérer que celle-ci a vocation à frapper la capacité contributive en fonction du logement occupé et des services locaux mis à la disposition de ses occupants, indépendamment de leurs revenus. Donc, sauf à prendre en compte les situations de réelle pauvreté, une exonération trop large de cette taxe ne saurait être admise.

Conclusion

Un risque constitutionnel paraît significatif au regard non seulement du principe d’autonomie financière des collectivités locales (à cet égard, il conviendra de recalculer le ratio d’autonomie financière de ces dernières) mais aussi du principe d’égalité.

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