Vue du Maghreb, l’Europe de Macron

M. Macron, dans sa vision du futur de l’Europe, néglige ce qui ne saurait demeurer son arrière-cour stratégique : les si proches pays africains de la rive sud de la Méditerranée, surtout le Maghreb.

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Emmanuel Macron at European Council 22-23 june 2017(CC BY-NC-ND 2.0)

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Vue du Maghreb, l’Europe de Macron

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 octobre 2017
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Par Farhat Othman.

Dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre, le président français a eu raison de parler de l’esprit pionnier européen, déplorant sa perte. Ce ne sont pas toutefois les solutions qu’il propose qui aideront à renouer avec un tel esprit qui était même un mental de conquête avec ce que cela implique de prise de risque. Si L’Europe doit bien être refondée, ce n’est pas ce que prévoit M. Macron qui y suffira, car manquant d’ambition véritable, à la mesure des défis de notre postmodernité.

Être ambitieux, aujourd’hui, c’est sortir des obsolescentes catégories de la souveraineté à l’ancienne et d’une mondialisation à sens unique pour évoluer vers un partenariat réel avec le Sud, devant commencer par la rive méridionale de la Méditerranée qu’est le Maghreb, du moins le Maroc et la Tunisie en priorité.

C’est parce que c’est la « seule voie qui s’offre » à l’Europe, ainsi que le dit avec raison M. Macron, qu’il urge d’oser réaliser une telle « refondation », allant au-delà des six clés proposées qui n’aideront pas à redonner vie, force et vigueur à une Europe « trop faible, trop lente, trop inefficace » selon les propres mots du président français.

Aspects sécuritaires

Avoir une « capacité d’action dans le monde face aux grands défis contemporains » suppose une approche inédite de ces challenges tenant compte de leur coeur de cible qu’est la solidarité et l’éthique, notamment en matière sécuritaire, en faisant l’axe même des futurs rapports de l’Europe avec le monde, à commencer par les pays limitrophes d’une rive sud ô combien vitale.

Si la défense est nécessaire pour l’Europe ainsi que primordiales les questions internes, telles l’harmonisation financière et sociale ou la synergie en matière d’innovation, cela ne suffira pas sans véritable révolution des rapports de l’Europe avec ce sud toujours perçu et réduit à n’être que celui des damnés de la terre.

Car la sécurité européenne ne saurait la concerner seule ; elle commence, et de plus en plus, hors de ses frontières, sur les terres du Maghreb, par exemple. Si « une culture stratégique commune » doit être envisagée, elle ne saurait ne pas impliquer les pays maghrébins dont la sécurité des territoires, trop proches au point d’être imbriqués dans celui de l’Europe avec les présides du Maroc, ne saurait indifférer l’Union.

Outre cette « initiative européenne d’intervention », cela en suppose une autre qui serait euromaghrébine ; ce qui impose d’envisager enfin sérieusement l’adhésion des deux pays maghrébins précités à une Union dont ils relèvent déjà informellement.

Ce qui permettra le brassage des militaires que le président français préconise en Europe et la coopération judiciaire à travers un parquet non plus seulement européen mais euromaghrébin ; ce qui sera d’autant plus efficace en matière de terrorisme et de banditisme qu’il coopérera avec les pays en première ligne de la confrontation avec ce fléau multidimensionnel et universel.

Aspects humains

Sur la question des mouvements humains, les propositions de M. Macron pêchent trop de par leur vision antique dépassée. Comment continuer à parler de frontières et de migrations, des catégories ne faisant plus sens en un monde, non seulement mondialisé, mais devant être « mondianisé », tenant compte du facteur humain et d’une plus concrète solidarité, un monde d’humanité, ce que je nomme « mondianité ».

Il ne servira pas à grand-chose de créer un nouveau machin comme cet « office européen de l’asile » ou une police européenne des frontières pour harmoniser les procédures et les politiques du moment que le fondement même de telles structures, désormais obsolète, est à revoir.

Dans un monde devenu immeuble planétaire, il n’est plus permis de continuer à gérer comme avant le phénomène des mouvements humains relevant, qui plus est, bien plus de l’expatriation que de l’émigration. Peut-on et doit-on barricader les accès aux étages de notre immeuble planétaire ?

Avec le Maghreb, il est parfaitement possible de commencer sans plus tarder par initier ce qui serait la règle des relations extérieures de l’Europe : le libre mouvement humain sous visa biométrique de circulation, un outil fiable, respectueux à la fois des réquisits sécuritaires et de ce droit humain qu’est la libre circulation.

L’éthique le commande outre le droit, puisqu’on s’achemine vers une totale liberté de circulation des produits et des services en un monde libéral globalisé. Alors que le sens de l’histoire impose la suppression de toutes les frontières, il ne sert donc à rien de songer à une police des frontières, bureaucratie supplémentaire.

Avec des frontières ouvertes, il n’y aura ni immigrés ni réfugiés, juste une circulation ininterrompue dans tous les sens, canalisée en un premier temps, mais nullement réduite, par l’outil incontournable du visa biométrique de circulation.

Cela aidera à en finir avec cette vision hautaine qu’on a du reste du monde, consistant à vouloir intégrer les ressortissants des pays dévastés, réfugiés ou expatriés; ce qui ne doit relever que des choix personnels, dans un monde guère plus cloisonné. Car tout un chacun, au Nord comme au Sud, doit être libre de bouger, aller et venir ou se maintenir le temps qui lui convient là où il trouve son compte.

Faut-il, pour cela, arrêter de faire la guerre, dont souvent l’Occident est à l’origine ! Il y a recours, certes, par souci du service de ses intérêts de puissance dominante, mais sans la moindre considération de ses devoirs de solidarité à l’égard du reste du monde.

Or, son statut de puissance tutélaire les implique aussi tout autant que la veille de ses intérêts. Et un tel devoir solidaire ne doit pas se réduire à l’accueil de réfugiés qui n’ont quitté leur pays que du fait des menées belliqueuses de ces pays mêmes prétendant les secourir !

Au lieu de simuler la solidarité, qu’on la pratique donc honnêtement en agissant sur les causes des malheurs des réfugiés ! Aussi, le « socle commun » dont parle M. Macron doit-il être celui d’une approche humaine, non seulement humanitaire, des malheurs de notre monde déboussolé. Ce qui impose de revoir les fondements nationalistes actuels des politiques occidentales, notamment celle de l’UE qui est, de par sa devise, l’union dans la diversité.

C’est bien d’une nouvelle diplomatie à inventer qu’il s’agit. Elle ne doit plus être ce faux partenariat avec les pays du sud, l’Afrique notamment, qui ne va que dans le sens des intérêts occidentaux.

Un tel partenariat ne peut plus se limiter à l’aide au développement qui ne représente rien par rapport au pillage dont le continent a fait l’objet. Cela impose des mesures autrement plus sérieuses, relevant du sort comment des deux rives de la Méditerranée, commençant par l’intégration précitée du Maghreb à l’Union.

Cela suppose également de songer à créer un espace de démocratie, devant s’étendre plus tard à une aire de civilisation, avec des instruments novateurs d’un partenariat voulu en sort commun, et non ces instruments ayant échoué et nullement dépourvus de connotation colonialiste ou impérialiste.

Il doit donc y avoir recours moins à l’aide, surtout comme celle pratiquée aujourd’hui, qu’à un codéveloppement sérieux, bien différent de ce qu’on en a fait et qui manifeste un souci moins pour les peuples concernés que pour le service des privilèges de leurs dirigeants dont on fait des obligés.

Il doit y avoir également moins de taxes à prévoir sur les transactions financières, ainsi que le propose M. Macron, qu’une option pour l’imbrication des économies de part et d’autre, comme si elles relevaient d’une seule communauté, un seul espace économique; ce qui est pratiquement le cas, quoique de manière voulue strictement informelle, au strict service des intérêts européens et de leurs serviteurs du côté des responsables africains.

Aspects éthiques et écologiques

Cela relève bien évidemment de l’éthique devenue obligatoire en politique se déclinant en poléthique; elle est même fatale en matière de coopération écologique, notamment dans le domaine sensible de l’agroalimentaire et de l’énergie.

Ainsi, la solution préconisée par le président français en matière d’énergie, portant sur une « interconnexion entre les pays », ne doit pas être restreinte aux pays occidentaux, mais impliquer aussi ceux de l’Afrique, Maghreb en premier.

Car nul « modèle de société », nulle « transition écologique » ne sauraient être envisagés aujourd’hui à la seule échelle d’une région du Nord, comme l’Europe, sans son aire vitale dans le Sud, qui est l’Afrique pour l’UE, voulue juste en arrière-cour, sinon en buanderie.

Raisonnablement, en matière énergétique, on ne peut viser un « juste prix » sans oser en élargir le marché en dehors du strict cadre européen. Il en va de même pour la « sécurité de la souveraineté alimentaire » qui ne saurait continuer à se désintéresser de celle des pays pauvres, les pandémies ne connaissant pas nos frontières artificielles.

Est-il éthique de penser à la sécurité alimentaire de l’Europe sans prendre en considération celle des pays qui sont à ses portes où les aléas ne doivent pas être seulement évoqués pour s’en protéger, mais aussi et surtout pour y être éliminés ? Il en va de même pour ce que le président français suggère en matière de contrôle de standards alimentaires.

En un mot, le monde ne peut plus être vu de façon manichéenne selon la dichotomie antédiluvienne d’eux et nous. C’est d’autant plus impératif que notre époque relève à tout va de la norme du virtuel et du numérique, ce qui impose que l’agence que M. Macron envisage pour l’innovation ne soit pas affaire purement européenne; car l’innovation n’a pas de pays.

Ce qui veut dire que la transition numérique et son « marché unique » se doivent d’être pensés globalement même si les actions et les innovations concrètes commencent par se concrétiser localement avant de s’universaliser. C’est d’autant plus impératif que le domaine est une anarchie totale, le cadre à définir devant l’être en tenant compte de toutes les réalités de ce monde globalisé, jamais plus uni qu’aujourd’hui numériquement.

L’Europe, appelée des vœux du président français à devenir une puissance industrielle et monétaire, se doit l’envisager en songeant à un continent auquel elle doit beaucoup pour son actuelle prospérité du fait du vol de son histoire et de ses richesses qu’elle y a perpétré et continue de le faire en termes virtuels.

L’enjeu fondamental y devant être de réduire le chômage, comme le claironne M. Macron, cela ne saurait ne concerner qu’elle, et ce aussi bien eu égard à ces responsabilités passées mais également présentes, l’Afrique ne devant être maintenue, comme elle l’est, sous éteignoir du fait justement de la résilience des lourds intérêts du passé.

La vraie souveraineté de l’Union, celle dont on ne parle pas, souveraineté informelle, a eu et a besoin de l’Afrique ; en Hexagone, c’est ce qu’on appelait Françafrique ; aujourd’hui cela se dit néo-impérialisme, mental surtout.

Aussi, la « poursuite d’une politique spatiale ambitieuse » et la consolidation de la zone euro auraient volontiers une cadence bien plus assurée et rapide en étant articulées à l’ambition de définir la politique évoquée d’un espace de libre-échange humain incluant — pourquoi pas ? — d’y étendre l’actuelle zone du franc CFA une fois rénovée, ce qui relève de l’indispensable.

Comme le volet le plus audacieux du projet de refondation de M. Macron porte sur la création « d’un budget plus fort au coeur de la zone euro », une « coordination (des) politiques économiques… davantage d’investissement », il est fort douteux que cela convienne en l’état à l’Allemagne. Or, il pourrait en aller autrement s’il impliquait l’Afrique francophone et germanophone, en commençant par le Maghreb.

  1. Macron parle, par ailleurs, de la nécessité entre Européens de se doter « d’instruments de solidarité concrète par la convergence sociale et fiscale, notamment sur l’impôt sur les sociétés ». Ces propositions auraient plus de poids s’il en élargissait la vision par trop localisée pour être globalisée, tenant compte des nouvelles réalités d’un monde qui a changé. Cela commencerait par l’ouverture des fonds structurels aux partenaires africains les plus sérieux dans le respect des objectifs communs. Arrêtés globalement pour une mise en oeuvre locale, ils seront adaptés aux situations des uns et des autres, mais dans le cadre d’une mise en commun des défis à relever et des difficultés à surmonter selon le nouvel esprit de solidarité véritable en ce monde d’humanité qu’est la « mondianité ».

Aspects culturels

Si les idées de M. Macron, quant à l’approfondissement des liens entre les cultures européennes, sont remarquables et à remarquer, comme de faire en sorte que « chaque étudiant parle au moins deux langues européennes » et que « la moitié de chaque classe d’âge devra avoir passé au moins six mois dans un pays européen », elles ont le tort de tourner le dos au futur et ce qu’il impose, l’horizon d’une telle ouverture ne devant point être le bocal européen, mais l’espace africain.

Au moment où il tient absolument à garder dans l’Union européenne sa place au Royaume-Uni, même « simplifiée et repensée », malgré sa volonté d’en sortir, pourquoi ne pas offrir la même chose aux pays du sud de la Méditerranée qui ne demanderaient pas mieux que de faire partie de l’Union, afin de donner sens à leurs efforts de mise à niveau démocratique et économique qu’obère moins de mythiques insuffisances nationales que le désordre mondial et ses injustices subies nolens volens.

Articuler autrement l’Afrique à l’Europe, débutant en cela par le Maghreb, et la Tunisie qui a fait un grand pas dans le bon sens, c’est ne pas insulter le futur. Pour prendre une parabole sportive, cela reviendra à faire bénéficier le coureur cycliste limité en performance, car esseulé, de l’effort d’un peloton qui ne roulera pas moins vite du fait de sa présence, mais le fera bien mieux, roulant dans l’intérêt collectif en bénéficiant de l’apport de tous les coureurs.

C’est bien d’un « partenariat nouveau » qu’il s’agira donc, non seulement proposé à l’Allemagne, ni seulement à l’Europe géographique, mais à l’Europe de demain, aux frontières virtuelles, aux valeurs vraiment universelles, dépassant les diversités en les unifiant.

Comme le dit bien le président français, un tel « esprit pionnier », sera non seulement celui du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 de réconciliation franco-allemande entre de Gaulle et Adenauer. Il serait le pari réussi sur l’avenir, celui des champs élyséens du futur.

Or, demain est déjà aujourd’hui, cette réconciliation des deux rives de la Méditerranée et cette Europe quittant enfin la posture du colonisateur, aujourd’hui mental et virtuel, pour être l’incubateur du développement que le sein propre à empêché et empêche toujours à cause des rapports injustes des échanges du système économique mondialisé. Il serait bien temps de sortir enfin de la nouvelle colonisation virtuelle désormais, héritage à dépasser d’un monde qui a changé.

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