Sommes-nous entrés dans l’âge de l’instabilité économique ?

La politique de taux d’intérêts ultra bas menée par les banques centrales est inédite depuis 3 000 ans et met gravement en péril nos économies.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Libor taux interets devises monnaies dollar pound sterling

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Sommes-nous entrés dans l’âge de l’instabilité économique ?

Publié le 2 septembre 2017
- A +

Par Sébastien Laye.

Auteur d’une monumentale histoire des taux d’intérêts1, l’économiste Richard Sylla a récemment invité son audience lors d’une émission radio américaine à méditer le caractère exceptionnel de la période économique que nous traversons :

les taux que nous avons connus au cours des dernières années, et en particulier en ce moment, sont tout simplement les plus faibles de toute l’histoire. Le livre que j’avais co-signé retraçait pourtant l’histoire de ces taux d’intérêts depuis le Code d’Hammourabi, les civilisations babyloniennes, grecques et romaines, à travers le Moyen Âge, la Renaissance, et l’histoire moderne jusqu’en 2005. Et je puis vous assurer que jamais au cours de ces périodes les taux d’intérêts n’ont été aussi bas qu’en ce moment.

Pour un historien économique comme Sylla, nous serions tout simplement à un point d’inflexion extrêmement dangereux de notre histoire humaine, car loin d’être uniquement le produit d’un accident économique (une Dépression) ou géopolitique (guerre, famine) comme par le passé, cet abaissement des taux d’emprunts et de rendements (qui ne sont que l’avers et le revers d’une même réalité) est amplifié par l’action des banques centrales et par une volonté politique (peu de gouvernants réclament à l’heure actuelle une hausse des taux…). Sylla ne s’intéresse guère à l’économie sur deux-trois ans et constate bien une période de taux faibles depuis les années 1990 au regard de son approche historique sur plusieurs millénaires.

Or, rien ne serait plus erroné que de dire que seule la crise de 2008 expliquerait cet état de fait exceptionnel. En réalité, ce sont des déséquilibres structurels de l’économie mondiale et l’échec des zones monétaires qui en ont précipité la survenance : à des pays tournés vers la consommation domestique, le crédit, l’emprunt, cumulant des déficits de leur commerce extérieur et tentant désespérément de maintenir leur niveau de vie en l’absence de gains de productivité (les USA, le Royaume Uni, la France, l’Europe du Sud) se sont opposés d’autres, au contraire (y compris au sein de la zone d’euro), privilégiant des excédents commerciaux, l’épargne, l’investissement (Allemagne, Chine et dans une moindre mesure les autres pays asiatiques). L’excès d’épargne et de monnaie des derniers est venu dès les années 1990 inonder les premiers ; de ce déséquilibre entre l’offre et la demande de monnaie et de capital est apparue une première baisse tendancielle des taux d’intérêts. La seconde est venue de dirigeants politiques devenus incapables, par recherche de prébendes électoraux, d’accepter les récessions conjoncturelles tous les quatre ou cinq ans. L’arme monétaire leur est apparue comme le meilleur moyen d’éviter les douloureux ajustements structurels (fiscalité, budget, systèmes de retraites et de sécurité sociale) alors même que Keynes avait bien mis en exergue les limites de la politique monétaire, lors de la survenue de la fameuse trappe à liquidité ; le mythe de l’indépendance des banquiers centraux s’est vite écroulé aussi bien que celui du dogme monétariste… la voie était déjà tracée bien avant la crise (avec le magistère d’un banquier central comme Greenspan par exemple aux États- Unis) pour permettre aux banquiers centraux de se réinventer en deus ex machina de nos économies. Taux d’intérêts bas en permanence et politiques non conventionnelles d’achats d’actifs ont définitivement consacré notre ère comme une aberration économique du point de vue de l’histoire des taux d’intérêts.

Une allocation du capital de pire en pire

Ce niveau bas des taux d’intérêts n’entraîne pas uniquement, tant s’en faut, une survalorisation des actifs financiers et immobiliers. Il suscite surtout une mauvaise allocation du capital, dans la mesure où la recherche du moindre rendement décent justifie certains projets d’investissement sans aucune chance de devenir rentables ou même utiles pour la collectivité. Contrairement à ce que croient nombre de politiciens trop heureux de voir potentiellement tout projet financé (traduction pour eux : des gens seront occupés à le développer et donc ne seront pas au chômage), cette mauvaise allocation est dévastatrice à de nombreux égards :

a) elle génère chez les investisseurs avertis une suspicion généralisée et donc une attitude très sélective paradoxalement

b) elle crée des retards de nombreux projets car certains investisseurs attendent une remontée des perspectives de rendement pour achever leurs projets

c) l’épargne n’a plus aucun intérêt à s’investir dans ces projets si elle n’est pas rémunérée (ce que Keynes a décrit en son temps comme une trappe à liquidité)

d) les entreprises zombies, qui auraient dû disparaître dès 2008 et permettre ainsi à de nouveaux entrepreneurs d’investir certaines industries et de se développer, sont maintenues artificiellement en vie par les taux bas.

Le meilleur exemple de ce dernier phénomène est le défi posé à la monumentale transition à l’œuvre dans le domaine énergétique. Peu de citoyens soupçonnent à quel point la politique de taux bas entrave la transition énergétique aux États-Unis par exemple. Les taux bas, tout autant que la recherche du moindre rendement décent par les institutionnels, les amènent à maintenir en vie de nombreuses sociétés dans le pétrole de schiste, qui pourtant, du fait de leurs coûts élevés, du niveau bas des prix du pétrole et souvent d’erreurs de gestion, auraient dû disparaître. Cette mauvaise allocation du capital les expose à une crise potentielle des obligations du secteur et maintient en vie une compétition artificielle aux énergies renouvelables.

L’économiste Hyman Minsky nous a légué une formule assez appropriée à la période actuelle : « la stabilité amène l’instabilité ». Avec des dirigeants endormis à la barre, un faux sentiment de sécurité chez les investisseurs qui les amènent à multiplier les erreurs, et des banquiers centraux victimes de leur propre hubris, cette période anormalement basse de taux d’intérêts porte en germe les prémisses d’un évènement financier violent.

Reprise d’une analyse dans le Nouvel Économiste « Taux d’intérêts : zone dangereuse pour l’économie »

  1. A History of Interest Rates, Wiley Editions, Richard Sylla et Sidney Homer, 2005
Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Un peu de bon sens et laissez les dogmes de coté.
    Donnez l’argent à ceux qui en ont un réel besoin, les consommateurs, plutôt qu’il se concentre là où il ne sert en rien l’économie: la sphère « financière ».

  • Quelles sont les sommes d’argent dans les paradis fiscaux ? Des trillions de dollars.

    Ces sommes gagnées par le travail des travailleurs dorment là par la volonté des ÉLUS de tous nos pays dits démocratiques qui ont adopté des lois permettant ces paradis fiscaux.

    Dans les années 50 grâce à la mécanisation, l’industrialisation on nous parlait d’un autre paradis celui qui aurait permis à l’ensemble de la population de bénéficier d’un avenir prometteur, — l’ère des loisirs — au lieu de l’ère de l’esclavage que nous vivons actuellement.

    Les vrais responsables de la situation présente, sont ceux qui ont accepté (nos chefs d’États) que les États donnent aux banques le pouvoir de créer des sommes d’argent et d’obliger les États, industries, individus à payer des intérêts pour de l’argent créé.

    Le paradis — l’ère des loisirs — sont les banquiers, les profiteurs des paradis fiscaux qui sont les seuls à en bénéficier contrairement à tout ce qui avait été prévu.

    Les coupables sont les ÉLUS de nos Gouvernements qui perpétuent cette volonté de permettre aux riches de ne pas payer leurs justes parts des impôts que tous les contribuables ordinaires, dans nos sociétés, paient obligatoirement.

    Remettre l’ordre: c’est rapatrier graduellement toutes les sommes d’argent des paradis vers les États et les populations du monde.

    Sous les boisseaux, les trillions de dollars vont se perdre.

    Les fléaux, les guerres sauront faire disparaître tous ces trillions à tout jamais.

    Quelqu’un a su créer ce que nous vivons. Il faut juste corriger alors qu’il est encore possible de le faire.

    • Cessez vos délires grotesques. Ce site est celui des gens éduqués et responsables, donc vous vous ridiculisez à écrire de telles inepties!

      • « Ce site est celui des gens éduqués et responsables » qui visiblement ne s’autorisent pas à remettre pas en cause un système inique et pervers qui va à son effondrement, puisque vous critiquez ceux qui le critique.
        Ce système n’est ni sain, ni durable, il sera de fait remis en cause.
        je vous invite à écouter ce documentaire:
        https://www.youtube.com/watch?v=LUdmSPjM_5k

  • Les banques centrales notamment la FED est coincée, car si elles lèvent les taux, cela va provoquer des défauts massifs. Pour l’instant on a acheté du temps et cela nous entraine dans une vague mondiale de déflation. On se retrouve avec des banques zombies qui ne devraient plus exister mais pourtant bel et bien là….. c’est vraiment une situation inédite

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
6
Sauvegarder cet article
Inflation et plus-value dans l’immobilier

En règle générale, les calculs du prix de l’immobilier publiés dans les journaux et revues, ou cités sur les sites internet ou les chaînes de radio-télévision sont effectués sans tenir compte de l’inflation. Les interprétations des résultats qu’ils présentent n’ont guère de sens.

La hausse des prix de l’immobilier est de toute évidence incontestable, mais il est nécessaire de rétablir une mesure rationnelle et réaliste de cette augmentation.

Cette mesure est déduite de deux indices défin... Poursuivre la lecture

La DREES a publié le 14 décembre dernier une étude qui révèle, que pour la septième année consécutive, la France est championne européenne des dépenses sociales. Celles-ci représentent 32,2 % du PIB, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 21 %.

Mais, dans le même temps, le taux de pauvreté augmente dans notre pays : entre 2004 et 2021 le nombre de pauvres (seuil à 50 % du niveau médian) est passé de 4,2 à 5,2 millions de personnes. Pourquoi nos dépenses sociales sont-elles aussi élevées ? Comment continuer à les financer ?<... Poursuivre la lecture

3
Sauvegarder cet article

Un article de Ryan McMaken

Selon l'indice Case-Shiller, les prix des logements ont augmenté de 44 % depuis février 2020. Il ne s'agit bien sûr que d'une moyenne, et certains marchés ont connu des augmentations de prix bien plus importantes. Toutefois, même sur les marchés immobiliers de l'Amérique moyenne, où les prix sont censés être plus raisonnables que sur les côtes, les prix ont grimpé en flèche.

À Cleveland, par exemple, l'indice a augmenté de 40 % depuis le début de 2020. Au cours de la même période, l'indice a augmenté ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles