Pourquoi tombons-nous malades ? Darwin médecin

Les sciences de l’évolution ont envahi la biologie mais n’ont fait qu’une entrée discrète dans certaines facultés de médecine. Voici pourquoi cela pourrait changer.

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Pourquoi tombons-nous malades ? Darwin médecin

Publié le 23 août 2017
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Par Richard Guédon.

La médecine moderne travaille depuis deux siècles et demi avec la méthode anatomo-clinique selon laquelle un symptôme révèle une lésion sur un organe qui guérira si la lésion est traitée. De son côté le raisonnement darwinien et les sciences de l’évolution ont envahi la biologie au point que cette discipline n’est plus compréhensible sans eux. Pourtant ces deux sciences du vivant ont été jusqu’ici séparées. Voici pourquoi cela pourrait changer.

Les principes du darwinisme

Depuis la parution de L’origine des espèces de Charles Darwin, en 1859, les sciences de l’évolution ont fait faire à la biologie des progrès tels que Dobzhansky, grand biologiste et philosophe du XXème siècle a pu dire « Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Pourtant, jusqu’à ces dernières années, la médecine, qui, stricto sensu, fait partie de la biologie, est restée en dehors de cette effervescence.

Le darwinisme, confirmé par la génétique moderne, postule que les vivants évoluent par sélection naturelle et que seuls les animaux les plus adaptés à leur milieu survivent. Ce sont donc eux qui auront le plus de chance de se reproduire et de transmettre leurs gènes.

Un animal qui aurait, par le hasard d’une mutation génétique, plus de poils que ses congénères, serait désavantagé dans un milieu chaud. Mais si l’environnement devient plus froid, ce spécimen aura plus de chance de survivre, d’avoir beaucoup de rejetons bien couverts susceptibles de remplacer peu à peu leurs congénères à poils courts.

La méthode anatomo-clinique

Annexe de la pensée religieuse depuis qu’elle existe, la médecine s’était engagée dans sa propre voie rationnelle un siècle plus tôt, avec la fondation de la méthode anatomo-clinique par Morgagni.

Laënnec définissait celle-ci comme « la  méthode d’étude des états pathologiques basée sur l’analyse de l’observation des symptômes ou des altérations de fonctions qui coïncident avec chaque sorte d’altération d’organes ».

Cette méthode a ensuite été enrichie par la physiologie expérimentale, pratiquée et théorisée par Claude Bernard, les vaccinations, les médicaments actifs, la chirurgie, l’imagerie médicale et tous les autres progrès technologiques.

Les succès de la méthode anatomo-clinique ont été tels que la question des rapports de l’espèce humaine avec sa propre évolution ne se posait pas. Occupés à traquer et à soigner les maladies douloureuses et/ou mortelles selon cette équation simple : lésion + organe + symptôme (s) = traitement, les médecins, encore aujourd’hui, ne voient pas souvent l’intérêt d’introduire la question du « pourquoi ? » des maladies.

Pourquoi tombons-nous malades ?

Pourquoi tombons-nous malade ? C’est précisément le titre de l’ouvrage (Pourquoi tombons-nous malades ? Randolph Nesse et Georges Williams. Éditions De Boeck) paru en 1994 sous la plume de deux scientifiques américains Nesse et Williams.

Pour la première fois, ils y montraient que les maladies humaines avaient deux types de causes de profondeurs différentes : en premier lieu celles qui répondent au « quoi ? » et au « comment ? » qu’ils ont appelées proximales et, en second lieu, celles qui répondent au « pourquoi ? » qu’ils ont appelées évolutives.

Voici comment ils expliquaient la différence entre ces deux sortes de causes :

Les explications proximales s’adressent au fonctionnement du corps, à savoir pourquoi certaines personnes attrapent une maladie et d’autres pas. Les explications évolutives permettent de comprendre pourquoi la plupart des êtres humains sont sensibles à certaines maladies et pas à d’autres. Nous voulons savoir pourquoi certaines parties du corps sont enclines à présenter des défauts, ou pourquoi nous attrapons certaines maladies et pas d’autres.

Causes proximales et évolutives des crises cardiaques

Ils prenaient comme exemple les causes des crises cardiaques : manger trop et trop gras d’une part, avoir une prédisposition génétique et parfois familiale à l’athérosclérose d’autre part, en sont les causes proximales.

Pour en comprendre les causes évolutives, il faut chercher des explications comme : « pourquoi la sélection naturelle n’a-t-elle pas éliminé les gènes qui poussent à manger du gras et ceux qui favorisent le dépôt du cholestérol dans les artères ? ».

Les médecins et les causes proximales

On comprend bien pourquoi les médecins se sont précipités sur les causes proximales, y compris alors que le darwinisme s’installait partout en biologie. C’est parce que la réponse au quoi et au comment permettait de soigner et parfois de sauver à court terme des individus qui souffraient et mouraient.

Et cette façon de faire répond exactement à ce qu’on attend des médecins. La réponse au pourquoi, c’est-à-dire la recherche des causes évolutives se situe dans le temps long et concerne l’espèce, ou de vastes groupes humains, mais pas les individus, priorité des médecins.

Néanmoins, la médecine ne va pas rester à l’écart du darwinisme car les choses sont en train de changer progressivement sous l’influence de plusieurs facteurs.

Les maladies sont devenues chroniques

En premier lieu, depuis la 2ème guerre mondiale, et en raison des succès de la modernité hygiénique et médicale, les maladies qui touchent les populations ont changé et sont devenues chroniques, cancers, maladies cardio-vasculaires, démences, qui se comprennent dans un temps long compatible avec la temporalité de l’évolution.

Le développement de la santé publique

En second lieu, la même période, sans abandonner la médecine individuelle, a vu le développement de la santé publique, par exemple les campagnes de vaccinations, et les médecins ont appris à raisonner à l’échelle des populations, ce qui rapproche des raisonnements darwiniens.

La génomique

Ensuite les progrès fulgurants de la génomique, et de l’épigénétique, qui étudient l’expression des gènes, nous font constater la nature profondément darwinienne de la sélection de nos gènes et de leur influence sur notre organisme.

L’être humain partage sa niche

Enfin on découvre peu à peu que l’être humain n’est pas isolé dans sa tour d’ivoire mais partage sa niche écologique avec d’autres espèces qui évoluent pour leur compte et en interaction avec lui, par exemple les animaux domestiques ou les micro-organismes, virus et bactéries.

En pratique dans quels domaines cette « médecine évolutive » nous permet-elle de mieux comprendre notre santé et, peut-être, de mieux agir ? Il semble que le raisonnement évolutionniste puisse être utile dans un grand nombre de secteurs de la santé mais nous nous contenterons d’en citer quelques-uns.

Virus et bactéries

Nous avons mentionné plus haut les micro-organismes avec lesquels nous sommes depuis toujours en interaction évolutive, pour le meilleur ou pour le pire.

Pour le meilleur, on sait aujourd’hui  que notre tube digestif contient des myriades de micro-organismes qui jouent un rôle majeur dans nos fonctions digestives, métaboliques, immunitaires et neurologiques. Ce macrobiote est aussi spécifique de chacun(e) d’entre nous que notre propre génome, et se conduit comme une sorte de partenaire individuel ou d’ange gardien microbiologique.

Pour le pire, les bactéries prédatrices se défendent des armes utilisées contre elles, les antibiotiques, en évoluant, par mutations successives, vers des populations résistantes à ces antibiotiques, d’autant plus dangereuses pour nous.

Le vieillissement

Certains mécanismes du vieillissement, au cœur des problématiques médico-sociales en raison de la prolongation inédite de la durée de la vie humaine, semblent pouvoir être compris sous un angle darwinien.

L’évolution favorise toujours les facteurs qui permettent de mieux se reproduire, par exemple une sécrétion abondante de testostérone chez l’homme jeune. Mais il semble bien que cette abondance de testostérone soit responsable des cancers de la prostate, qui touchent plus de la moitié des hommes de plus de 75 ans.

Dans ce cas, l’évolution, occupée à avantager les hommes en période reproductive semble avoir oublié les conséquences pour l’organisme plus âgé. Un autre exemple est celui du calcium : l’évolution a favorisé les mécanismes qui permettent d’absorber et de fixer le calcium pour, notamment, construire des os solides chez les personnes jeunes en période de reproduction.

Mais ce sont sans doute les mêmes mécanismes qui conduisent aux dépôts de calcium à l’intérieur des artères quand on prend de l’âge. Là encore l’évolution n’a considéré que l’intérêt reproductif.

Respect de la fièvre et de l’inflammation

Une vision évolutive doit nous conduire à ranger certains symptômes banaux comme la fièvre ou l’inflammation, dans la catégorie des solutions plutôt que dans celle des problèmes.

La fièvre met en effet les microbes qui nous envahissent dans une posture inconfortable car l’évolution l’a sélectionnée comme moyen de défense. À moins qu’elle ne dépasse 41° la respecter aide à guérir.

Même raisonnement pour l’inflammation : cette rougeur et ce gonflement sont nos alliés qui témoignent de la mobilisation de nos défenses naturelles contre un agresseur étranger.

Là encore elle est à respecter, à moins que la réaction ne soit exagérée, comme on le voit dans certaines maladies dites auto-immunes. Dans celles-ci notre défenseur, le système immunitaire, ne reconnait plus certains éléments de notre organisme et agresse les tissus qu’il est censé défendre.

Les maladies de civilisation

Les maladies dites de civilisation comme l’obésité et le diabète de type 2 ne peuvent  être comprises qu’en utilisant des concepts darwiniens. Elles témoignent en effet de notre inadaptation provisoire à nos conditions de vies modernes.

Rappelons que la révolution néolithique, c’est-à-dire la généralisation de l’élevage et de l’agriculture, n’a commencé qu’il y a 10 000 ans au Moyen Orient pour atteindre nos régions vers 5500 ans avant JC.

Nous portons encore les gènes de nos ancêtres chasseurs cueilleurs, si proches, dont l’alimentation de base était faite de racines, tubercules, fruits et légumes de saison, avec un copieux repas de viande tous les quinze jours.

Ce régime était pauvre en graisses et en sucres et l’évolution a favorisé les gènes de l’appétence pour ces produits sucrés et gras, ressources rares dans ces conditions. Ce sont ces mêmes gènes qui nous font grossir et nous rendent malades dans notre période d’abondance, d’autant  plus que, depuis deux générations, la mécanisation a entraîné une sédentarité inconnue de nos prédécesseurs.

Nous pourrions encore citer des raisonnements évolutionnistes utiles dans des domaines aussi divers que les maladies du sang, le paludisme, les maladies parasitaires, les maladies psychiques, les troubles de sommeil, les allergies, et, bien sûr, les comportements sexuels et affectifs.

Le futur de la médecine évolutionniste

Il est vraisemblable que la recherche des « pourquoi » évolutifs, combinée à la traditionnelle méthode anatomo-clinique, envahira dans les prochaines décades tous les secteurs de la médecine curative, préventive et de la santé publique.

La médecine évolutive fait actuellement une entrée discrète dans certaines facultés de médecine. Gageons qu’en quelques années toutes s’y mettront, et que la médecine trouvera là un relais pour de nouveaux succès.

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  • L’exposé de la participation évolutionniste à notre santé, à ses avatars, est intéressant, mais le temps de l’évolution n’est pas celui de notre vie individuelle. On ne peut mesurer, non plus, l’effet sur l’avenir de notre espèce, des progrès de la médecine curative, qui protège, en leur offrant un traitement, les maladies à transmission génétique, même simplement fragilisante, comme le diabète insuline-dépendant, par exemple. Le traitement substitutif permet l’atteinte de l’âge de la reproduction, et la transmission du ou des gênes fragilisants.
    Il en est probablement de même pour des fragilités d’apparition tardive dans le cours de la vie, mais qui l’écourtent, comme les pathologies vasculaires, également bien traitées, maintenant.
    On peut dire, aujourd’hui, que l’homme est, théoriquement, « débranché » de la fatalité évolutionniste, grâce à ses « artefacts ».

    • Les artefacts créés par l’homme répondent à une nécessité d’adaptation. Leur utilisation nous transforme. Ceux qui savent les créer et les utiliser sont les bénéficiaires d’une sélection naturelle réitérée. On n’en sort pas. Nous croyons nous affranchir des fatalités qui nous accablent mais l’évolution apparente de notre liberté participe toujours d’un processus d’évolution sélective. Condamnés à l’évolution permanente, nous n’en serons « débranchés » que si nous sommes dans une impasse d’évolution. Tous nos artefacts servent à repousser les limites de cette impasse. Indéfiniment? Pourquoi pas?

    • @ Pyrrhon

      Une fois de plus, vous avez raison mais vous donnez vous même votre limite en parlant de votre vie individuelle à un ex-directeur de mutuelle et ex-directeur d’assurance maladie qui n’a évidemment que faire de votre bien-être « singulier », que votre médecin traitant a, lui, évidemment pris en compte!

      Mine de rien, il y a de l’eugénisme dans cet article!

      Mais l’orgueil de la médecine est aussi d’allonger la vie en bonne santé de ceux qu’on considérait avant comme condamnés d’avance à une fin précoce: oui! la médecine est contre la loi naturelle et contre ses conséquences fâcheuses, pas du tout décidée à en subir les lois darwiniennes, sans lutter!
      UN médecin s’occupe d’UN patient et le « colloque singulier » entre eux, en est le meilleur signe: que peut en connaitre un médecin de mutuelle ou d’assurance-maladie qui ne s’occupe que de « groupes »? Comme si la fièvre n’était pas gênante à dangereuse ou l’inflammation pénible et handicapante? Mon « confrère » va trop loin!

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