Cannabis : le piège tendu pour éviter sa légalisation

La contraventionalisation du cannabis proposée par Gérard Collomb ne résoudra aucun des problèmes cruciaux causés par la prohibition. Voici pourquoi.

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Cannabis : le piège tendu pour éviter sa légalisation

Publié le 30 mai 2017
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Par Edouard H.

Le 24 mai dernier une annonce a fait du bruit dans le monde de la prohibition des drogues en France : le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a annoncé que, conformément au programme du candidat Macron, l’usage de cannabis sortirait du cadre pénal pour n’être sanctionné que par des amendes. Ce changement devrait advenir « dans les trois-quatre mois », a-t-il expliqué sur RMC – BFM-TV.

On pourrait accueillir cette nouvelle avec joie puisqu’elle tendrait à aller dans la bonne direction, celle de plus de liberté. En effet, depuis 1970 l’usage de stupéfiant est passible d’1 an de prison et 3750 euros d’amende. Le passage à un régime de contraventions peut ainsi être vu comme un assouplissement mince mais appréciable de la répression illégitime envers les usagers pacifiques de drogues.

L’échec de la répression

Plusieurs projets de loi en ce sens ont été déposés sans succès depuis une quinzaine d’années. En 2011 par exemple, une loi votée par le Sénat proposait de remplacer les condamnations pour premier usage par une amende de 3ème classe, similaire à celle des excès de vitesse. En cas d’usage répété, la personne retombait sous le coup de la loi actuelle.

Cette proposition avait été combattue par le garde des Sceaux de l’époque Michel Mercier car elle lui semblait « en contradiction avec un message de fermeté ».

Quand on connaît les résultats de ce « message de fermeté » après plus de 40 ans de prohibition ferme, à savoir 17 millions de Français qui ont déjà pris du cannabis dans leur vie et 700.000 usagers quotidiens selon l’OFDT, cela prêterait à sourire si les conséquences de la prohibition n’étaient pas désastreuses.

Des peines pénales peu appliquées

L’idée de la contraventionalisation de l’usage du cannabis est revenue sur la table en 2015 à l’occasion d’un rapport commandé par Manuel Valls. Ce rapport, produit par un groupe de travail de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), recommandait une nouvelle fois de passer à des amendes pour sanctionner l’usage de cannabis.

La lecture de ce rapport est intéressante car pour appuyer son propos il dressait un état des lieux de la répression de l’usage de cannabis en France. En 2014, 101 019 affaires d’usage de stupéfiants ont fait l’objet d’une réponse pénale.

Sur ces 101 019 affaires, 33 645 connurent une condamnation pour usage de stupéfiant, parmi lesquelles 3 426 consistèrent en une peine d’emprisonnement (principalement pour des personnes récidivistes). Sur ce total, 1 345 subirent de la prison ferme, ce qui représente 4% des condamnations prononcées.

Fin d’une pratique scandaleuse

Il est heureux que cesse cette pratique scandaleuse qui consiste à enfermer des personnes pacifiques dans des cages parce qu’elles ont consommé une plante non approuvée par l’État.

De manière plus large, la contraventionalisation permettra de mettre fin à ces milliers d’heures gâchées chaque année à placer en garde à vue des usagers (environ 33 000 personnes en 2014). Enfin, un certain désengorgement des tribunaux ainsi que la fin des inscriptions sur le casier judiciaire seront là aussi d’excellentes choses.

Il s’agit toutefois de nuancer ce tableau en réalisant bien que les peines prévues par la loi de 1970 étaient extrêmement rarement appliquées. Sur les 170 126 usagers interpellés en 2014 en France, 0,8% ont subi une peine d’enfermement ferme, ce qui a conduit certaines personnes à évoquer une « dépénalisation de fait du cannabis ».

C’est bien cela qui motive les partisans de la contravention : une moindre efficacité du régime de prohibition actuel pour punir les consommateurs de drogues. Les membres du MILDECA qui ont produit le rapport expliquaient ainsi que le régime légal actuel avait le défaut d’être « globalement peu dissuasif pour les consommateurs (faible risque pénal) ».

Le but n’est ici donc pas d’alléger la répression contre les usagers, mais bien au contraire de la massifier.

Alors qu’aujourd’hui un contrôle se terminait très souvent par un simple avertissement et une confiscation du stupéfiant pour éviter d’entrer dans le lourd processus de pénalisation, le passage à des contraventions systématisera la répression contre des fumeurs qui ne nuisent à personne sauf à eux-mêmes. Du point de vue des usagers, ce pas qui semble à première vue aller dans la bonne direction pourrait donc bien se révéler très nocif.

Le désastre de la prohibition qui reste entier

La contraventionalisation du cannabis ne résoudra aucun des problèmes cruciaux causés par la prohibition. Dans son interview pour RMC – BFM TV, Gérard Collomb a souligné à juste titre que « on voit de plus en plus qu’il y a une articulation très forte entre trafic de stupéfiants, trafics divers d’ailleurs et terrorisme », alors que le passage à des amendes pour sanctionner l’usage ne résoudra strictement rien par rapport à tous les financements que permettent les trafics.

En effet, en préservant toute la forte criminalisation du côté de l’offre de cannabis, le marché noir continuera de prospérer. Toute la violence associée à ces marchés noirs perdurera, et les forces de police et justice continueront d’être monopolisées pour cette guerre sans fin qui a amplement montré son échec total.

La persécution continuera

La persécution des personnes faisant usage du cannabis pour des visées médicales continuera. Les produits continueront à être peu sûrs, mettant en danger la santé des consommateurs. Les associations qui font des efforts de prévention et de réduction des risques continueront d’être harcelées par la police et la justice alors que leur rôle est essentiel pour la santé publique.

Face à ce sombre constat, une seule solution s’offre à Gérard Collomb s’il souhaite mettre un terme à toutes les conséquences délétères des trafics du marché noir tout en promouvant courageusement les libertés individuelles : la légalisation complète des drogues. À travers le monde on se dirige progressivement vers cette solution indispensable… À quand la France ?

 

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  • Ce combat de légalisation des drogues dans le contexte actuel est hors de propos : société ultra administrée , ne laissant aucune liberté aux citoyens sans passer par une avalanche de cerfas et de taxes. Le combat à mener est de libérer le travail , l’entreprise , l’éducation . Votre proposition dans le contexte d’aujourd’hui consiste à avoir une société qui contrôle et régule absolument tout sauf la possibilité de s’auto détruire … bon , on a les combats qu’on peut

    • @Val: Vous essayez de mettre en place une hierarchisation des libertés pour reléguer un combat qui vous semble très subjectivement de seconde importance à la fin des listes de priorités. Je pense très sincèrement que votre raisonnement est biaisé par votre mépris de « ces petits cons qui fument des joints ». Si on interdisait l’alcool pour des motifs similaires je suis certain que votre réaction serait différente. Si on incarcérait les vignerons comme on incarcère les cultivateurs de cannabis je ne suis pas persuadé que que vous tiendriez le même discours. J’en suis même persuadé. Votre commentaire empèste le mépris et la mauvaise foi.

    • @Val : Encore et toujours l’argumentation typique des libéraux-conservateurs : « Ouais c’est vrai, cette interdiction légale pose problème… mais bon, soyons sérieux, dans le contexte actuel, il y a d’autres problèmes plus URGENTS à régler ! »

      Exemple :

      « Ouais c’est vrai, faudrait légaliser les drogues, ça affaiblirait les mafieux, ça diminurait la violence liée aux règlements de comptes, ça diminurait les controles au faciès, ça rendrait les produits moins nocifs grâce à une amélioration de la qualité, de nombreuses personnes deviendraient employables et verraient leur situation s’améliorer plutôt que de remplir les prisons… Mais bon, soyons sérieux, dans le contexte actuel, il y a d’autres problèmes plus URGENTS à régler ! »

      Autre exemple :

      « Ouais c’est vrai, les interdictions légales pour les femmes de se balader seins nus (alors que globalement les hommes peuvent se balader torse nu sans problème) sont problématiques, les condamnations arbitraires pour « exhibition », « atteinte à la pudeur », « trouble à l’ordre public » posent problème … Mais bon, soyons sérieux, dans le contexte actuel, il y a d’autres problèmes plus URGENTS à régler ! »

      Autre exemple :

      « Ouais c’est vrai, l’immigration n’est pas un problème en soi, car lorsque le terme est défini par des libéraux plutôt que par des socialistes il désigne uniquement la liberté d’un étranger de se rendre chez un propriétaire qui consent à l’inviter… Mais bon, soyons sérieux, peu importe que les nationalistes parviennent petit à petit à supprimer cette liberté, il y a d’autres problèmes plus URGENTS à régler ! »

      Bref, vous l’aurez compris, la véritable URGENCE pour les libéraux-conservateurs c’est de ne jamais s’opposer aux interdictions légales dont ils estiment (à tort ou à raison) qu’elles les privilégient.

  • D’un côté on interdit le tabac de l’autre on veut légaliser le cannabis……tout ça est absurde….d’un côté on limite la vitesse et la pollution des voitures de l’autre on autorise la vente de véhicules puissant et rapide et surconsommant une énergie que l’on veut réduire…….encore encore absurde.. donc c’est le signe que tous les politiques sont sous influence d’une drogue dure, l’argent.

  • Et si on commencerait par légaliser la consommation (pas la revente ni la détention à partir d’une certaine quantité) ? Le temps gagné pas nos forces de police ne serait-il pas énorme ? Temps pour réaliser des taches bien plus intéressantes pour la population ?

    • Vous savez ce qui est PARTICULIÈREMENT addictif ? Coûte énormément à la société ? Et qui est totalement libre, voir même, la publicité pour en consommer est légale et passe à la télévision?

      Le sucre !

      Cela va en faire sourire nombre d’entre vous j’en conviens. Mais prenez juste le temps d’y penser. Essayez de ne plus manger sucré pendant 15 jours et je vous promets que vous allez voir si ce n’est pas addictif. Concernant le « poids » sur la société, toutes les études montrent désormais que le sucre (sous toutes ses formes) dans notre alimentation (et donc l’impact sur votre insuline) est la cause majeure et principale de nos problèmes d’obésité.

    • L’idée de créer de légaliser la demande mais pas l’offre est une demi décision est comme toutes les demi décisions, c’est une mauvaise décision. Soit c’est interdit, et tout est interdit, soit c’est légal et tout est légal: production vente en gros vente au détail détention et consommation.

    • C’est justement la revente et la détention qu’il faut légaliser si l’on veut casser les trafics et les trafiquants.

  • surtout , ne pas se mettre les trafiquants et dealers à dos n’est ce pas …. acheter la paix sociale en continuant comme avant , éviter colère et vengeance de ceux à qui rapporte ce  » travail au noir  » …. ce gouvernement , comme les autres avant lui , va baisser son froc et laisser faire ce juteux business qui entraine délinquance et guerre des gangs au mépris de la tranquillité et la sécurité des citoyens ; légaliser le canabis ? que nénni ! pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué …..

  • Le résultat de cette politique sera effectivement une augmentation de répréssion et de la destruction des drogues saisies. Les consommateurs encore libres iront donc se réapprovisionner et feront donc ainsi monter les prix. Les vrais gagnants ce sont les dealers qui pourront vendre plus aux consommateurs quotidiens sans avoir prendre le risque d’élargir leur base client (toujours un risque quand on vend quelque chose d’illégal). Ce sera même moins risqué puisque les policiers ne pourront plus faire pression sur les consommateurs pour leur demander de dénoncer leur dealer: Ils leur feront payer l’amende, point. On dénonce son dealer pour éviter la prison. On ne dénonce pas son dealer pour éviter une amende. Au final les dealers sont les grand gagnants de cette nouvelle formule. Je ne sais pas s’ils ont un lobby auprès de macron et consort, mais s’ils n’en ont pas, il semble bien qu’ils n’en aient pas besoin.

  • Pourquoi légaliser seulement le cannabis?

    • Parce que que le cannabis est une drogue ni plus ni moins dangereuse que l’alcool. Personne n’envisage de légaliser une drogue réputée plus dangereuse.

      • Comme on est con, dès que ce sera légalisé on va tous se shooter à mort. Heureusement que l’état veille sur nous.

        • Effectivement il vaudrait mieux tout légaliser. Le problème est que tant que la sécu existe on ne met pas vraiment les drogués face à leurs responsabilités (comme c’est la cas avec les alcooliques irresponsables dont on paye le traitement de leur cirrhose). Mais clairement il n’y a aucune bonne raison d’interdure une drogue plutôt qu’ne autre surtout quand on sait que les gens prennent du crack parce qu’ils ne peuvent pas trouver de cocaïne. Si on légalisait la coke, on n’aurait plus de crack et ce serait quand même mieux. Et puis ca ferait de la sélection naturelle: Que les irresponsables prennent de la coke et meurrent jeune. Ca fera de la place pour ceux qui sont moins irresponsables.

      • L’alcool est une drogue beaucoup plus dangereuse que le Cannabis (https://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_des_psychotropes).
        Personne n’envisage… sauf le Portugal depuis 15 ans (article de contrepoints :https://www.contrepoints.org/2017/03/31/284109-portugal-a-gagne-lutte-contre-drogue-ne-menant).
        Donc vous avez tout faut.

  • Nous sommes à un momentum de la vie politique.

    Macron doit oser sur ce sujet à la fois mineur et symbolique montrer la pragmatisme : APPLIQUER ce qui fonctionne au Portugal par exemple…

    Dépénaliser toutes les drogues pour que la dépendance soit avant tout un probleme de santé publique.
    Dépénaliser l’auto-production et les cannabis-social-club pour sécuriser l’approvisionnement.

    • Dépénaliser les drogues , ok c’est un pas dans la bonne direction je ne le nierais pas, mais c’est gravement hypocrite et ca ne regle pas tous les problèmes.
      Avoir le droit de consommer une drogue, qui à de grande chance d’avoir été vendue , donc par un dealer, donc dans l’illégalité c’est stupide au dernier degrée.
      Les drogues doivent êtres libéralisées, pas dépénalisées

  • Comment l’Etat pourrait libéraliser les drogues alors qu’il a cessé de fabriquer le poison tabagique et qu’il le tabasse à grands coups de prix établis suivant la marque ? (Bien que l’Etat se remette à produire des clopes hors de France, afin les vendre pour pas cher en France, aux alentours de 6€ le paquet, pour « concurrencer » le marché.) http://www.lefigaro.fr/societes/2017/03/28/20005-20170328ARTFIG00359-les-buralistes-lancent-leurs-propres-cigarettes.php
    Nos « élites » ont de quoi se faire des entorses cérébrales !

  • Une sanction modérée est plus facilement applicable qu’une sanction hors de proportion par sa lourdeur avec l’infraction sanctionnée. Cette mesure est peut-être la solution pour que les sanctions prévues par loi soient effectivement appliquées. Quand les consommateurs en auront marre de payer, ils arrêteront de fumer. Ils ne s’en porteront que mieux. La sécurité routière aussi.

    • Les tests existent. Pris la main dans le sac, retrait de permis. On faute, on assume. Point.

      • Il serait en revanche intéressant de lier les test d’intoxication à des tests cliniques d’effets. A l’heure actuelle celui qui a fumé un joint la veille au soir et conduit 10 heures après est considéré comme positif. C’est pas sérieux…

    • Il ne serait pas plus simple de ne pas sanctionner ? Vous vous sentez mieux en limitant ma liberté au nom de votre morale ? Que vient faire la sécurité routière la-dedans? une amende évitera des accidents, expliquez-moi?

  • @val, vous avez dans doute raison, il y a un temps pour tout. Cela étant, je ne me battrait point sur le terrain de la liberté… car il y a beaucoup d’autres avantages à légaliser : sécurité, du citoyen, sécurité du consommateur, lutte contre les trafiquants, gains financiers (taxes). Achat et vente à encadrer plus ou moins en fonction de la dureté de la drogue.

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