Par Jérôme Barthélemy.
Un article de The Conversation
L’ouvrage de Jérôme Barthélémy, « Libérer la compétitivité et la stratégie » a reçu le Prix du Meilleur Ouvrage en Management de la FNEGE (dont The Conversation France est partenaire) dans la catégorie essais.
Depuis des années, les universités et les business schools du monde entier investissent dans la recherche en management. Cet investissement s’est matérialisé par la publication d’un nombre considérable d’articles. Malgré tous ces efforts, le constat est sans appel : les entreprises connaissent mal la recherche en management. Comment expliquer cette situation ?
Sur le fond, les articles publiés dans les revues de recherche sont avant tout écrits par des chercheurs pour d’autres chercheurs. S’ils sont d’une grande rigueur, ils sont parfois éloignés des centres d’intérêt des entreprises. C’est un véritable problème. La recherche en management n’a aucune chance de susciter l’intérêt des entreprises si elle n’est pas pertinente pour elles.
Sur la forme, les articles publiés dans les revues de recherche sont difficiles (voire impossibles…) à lire par les managers. Ce n’est pas gênant. Les revues de recherche n’ont pas vocation à être lues par les managers. Les articles qu’elles contiennent doivent toujours faire l’objet d’un travail de vulgarisation avant d’être diffusés dans le monde de l’entreprise.
Bénéfices pour les entreprises
Alors qu’elle reste confidentielle, la recherche en management regorge de travaux dont le monde de l’entreprise pourrait bénéficier. Contrairement aux travaux des nombreux « gourous » du management, ces « pépites » sont passées par un processus d’évaluation strict. Elles sont donc beaucoup plus rigoureuses. Contrairement à la plupart des autres travaux de recherche, elles sont réellement pertinentes pour les entreprises. On distingue généralement trois types de pertinence… et donc trois bonnes raisons de s’intéresser à la recherche en management :
- La pertinence conceptuelle. Une recherche est pertinente lorsqu’elle aide les entreprises à mieux comprendre un phénomène ;
- La pertinence symbolique. Une recherche peut aussi être pertinente lorsqu’elle permet de légitimer (ou de remettre en cause) une pratique utilisée par les entreprises ;
- La pertinence instrumentale. Enfin, une recherche est pertinente lorsqu’elle fournit des outils ou des techniques directement utilisables par les entreprises.
Pour illustrer les bénéfices que les entreprises peuvent tirer de la recherche en management, nous prendrons l’exemple du conseil en management. Que nous apprend la recherche en management sur les consultants en management ?
La pertinence conceptuelle ou la question de l’utilité des consultants
Les consultants sont omniprésents dans le monde des affaires. La recherche en management permet de comprendre les raisons de ce phénomène. En effet, l’analyse de tous les articles de recherche publiés sur le conseil en management a montré que les consultants jouent quatre rôles pour leurs clients.
Le premier rôle des consultants est de procurer des informations « brutes » à leurs clients (grandes tendances, évolution des technologies, positionnement par rapport à la concurrence…). L’objectif est simplement de les aider à mieux comprendre leur environnement.
Le deuxième rôle des consultants est de diffuser des « meilleures pratiques ». Concrètement, ils proposent les mêmes techniques de management à tous leurs clients. En les légitimant, ils facilitent leur diffusion.
Le troisième rôle des consultants est de développer des solutions « sur mesure » pour leurs clients. Ils s’appuient essentiellement sur l’expérience qu’ils ont accumulée en travaillant pour d’autres clients.
Trouver les bonnes pratiques
Enfin, le quatrième rôle des consultants est d’aider leurs clients à mettre en œuvre les solutions qu’ils leur proposent. Il peut s’agir de « meilleures pratiques » ou de solutions « sur mesure ». Comme dans le cas précédent, ils utilisent surtout ce qu’ils ont appris en travaillant pour d’autres clients.
Les informations et les connaissances des consultants proviennent donc essentiellement des missions qu’ils ont réalisées pour d’autres clients… mais ce sujet reste tabou. Une autre recherche, fondée sur cinquante entretiens menés auprès de consultants et de leurs clients, a montré que les informations récoltées ou produites lors d’une mission ne sont pas censées être communiquées à d’autres clients.
Mais, cette règle est souvent transgressée. Pour divulguer des informations qui devraient rester confidentielles, les consultants utilisent des allusions transparentes (comme « un groupe bancaire très important de la place de Paris (procède de telle manière) ») et privilégient la transmission orale. Une grande partie de la valeur ajoutée des consultants provient donc de leur capacité à faire circuler des informations « liminales » (de liminis, en latin : le seuil).
Transmettre les informations
Ces informations sont plus sensibles que celles que leurs clients communiquent librement (et que les concurrents connaissent déjà)… mais moins sensibles que celles qu’ils ne veulent absolument pas communiquer (et que leurs concurrents voudraient connaître). Les entreprises sont conscientes de ce phénomène. Elles évitent donc de confier des informations trop sensibles à leurs consultants.
D’après un manager : « On sait très bien qu’il y a un risque de fuite quand on traite avec un cabinet de conseil. Donc on ne va pas forcément divulguer des informations extrêmement sensibles. Il faut faire attention. » Pour un autre : « Je vais vous dire quelque chose d’assez clair : si on ne veut vraiment pas que l’information transpire, on ne prend pas de consultant. C’est très net. »
De manière plus subtile, la rareté des clauses d’exclusivité suggère qu’il existe un consensus tacite entre les clients et les consultants. D’accord pour être « pillé »… mais à condition que les informations divulguées ne soient pas trop sensibles et qu’on bénéficie en retour d’informations intéressantes sur ses concurrents. Le « benchmarking » est à ce prix !
La pertinence symbolique ou la question de la création de valeur par les consultants
Il est très difficile de mesurer l’impact réel des consultants. Pour les entreprises cotées, leur légitimité dépend en grande partie de leur capacité à créer de la valeur. Comment les marchés réagissent-ils lorsqu’une entreprise fait appel à des consultants en management ? Une recherche menée sur 118 entreprises américaines a tenté de répondre à cette question cruciale (pour les consultants et leurs clients).
Les résultats montrent que le cours de bourse d’une entreprise qui fait appel à des consultants augmente de 1,34 % entre le jour précédant l’annonce et le jour de l’annonce et de 1,39 % entre le jour de l’annonce et le jour qui suit l’annonce. En d’autres termes, les consultants créent de la valeur pour leurs clients… avant même de se mettre au travail !
Les résultats indiquent aussi que la réaction des marchés dépend de la situation financière de l’entreprise. Mieux une entreprise se porte, plus son cours de bourse augmente lorsqu’elle annonce faire appel à un cabinet de conseil. Comment expliquer ce résultat ?
Un signal positif
Lorsqu’une entreprise est en bonne santé, les marchés interprètent le recours à un cabinet de conseil comme un signal positif. L’entreprise veut devenir encore plus performante. Sa bonne santé financière suggère qu’elle a les ressources et compétences nécessaires pour bénéficier de l’apport des consultants.
La réaction des marchés est différente lorsqu’une entreprise est en mauvaise santé. Les marchés interprètent alors le recours à un cabinet de conseil comme un signal négatif. L’entreprise a besoin d’aide. Comme elle manque cruellement de ressources et de compétences, il n’est pas sûr que les consultants lui soient d’une grande utilité…
Enfin, on peut remarquer que les marchés ne valorisent pas particulièrement le recours à un cabinet de conseil prestigieux (comme McKinsey, le Boston Consulting Group, Bain ou Booz-Allen).
Leur réaction ne dépend pas non plus du caractère stratégique ou opérationnel de la mission qui lui est confiée. Les marchés prennent uniquement en compte le « signal » que constitue l’annonce à un cabinet de conseil en management.
La pertinence instrumentale et le choix du consultant
Lorsqu’on a décidé de faire appel à un consultant, comment être sûr de choisir le « bon » consultant ? Une recherche fondée sur les évaluations de cinquante consultants « seniors » impliqués dans une centaine de missions a apporté des éléments de réponse très concrets à cette question.
Les données ont été obtenues auprès d’une société suisse qui joue le rôle d’intermédiaire entre des consultants indépendants et leurs clients.
À la fin de chaque mission, les clients ont évalué les consultants sur six critères : compétence, « orientation client », atteinte des objectifs, rapport durée/prix du projet, rapport qualité/prix du projet et apport de connaissances. Comme les résultats varient peu d’un critère à l’autre, ils ont été agrégés pour former un indicateur global.
Qui sont les meilleurs consultants ?
Les résultats montrent que la performance des consultants augmente avec leur niveau d’études. Les consultants titulaires de doctorats obtiennent les meilleures évaluations.
Le type de formation joue aussi un rôle. Les consultants les mieux évalués ont suivi une formation en sciences sociales. Ils arrivent devant les diplômés en économie/management et très loin devant les ingénieurs. Les résultats indiquent aussi que l’expérience dans le conseil a un impact positif sur la performance.
L’impact de l’expérience en dehors du conseil (dans l’industrie ou dans les services) est plus subtil. Jusqu’à un certain seuil (quinze ans), il est positif et augmente progressivement. Au-delà de ce seuil, il devient négatif.
Rôle du travail en entreprise
Pour un consultant en management, il vaut donc mieux avoir travaillé en entreprise… mais pas trop. Enfin, les relations entre le niveau d’études, la formation, l’expérience et la performance des consultants ne dépendent pas du type de mission (RH, stratégie, organisation, logistique, finance ou marketing).
Un « bon » consultant en management est à l’aise dans toutes les missions. Notons également que les femmes obtiennent systématiquement de meilleures évaluations que les hommes…
Avant de choisir un consultant en management, il faut donc l’interroger sur son niveau d’études, sa formation et son expérience (dans le conseil et en dehors). Même s’il y a des exceptions, le profil « femme diplômée de haut niveau en sciences sociales avec une grande expérience dans le conseil et une expérience plus limitée en entreprise » donne les meilleurs résultats. Le profil « homme diplômé d’une École d’ingénieur avec une grande expérience en entreprise et une expérience limitée dans le conseil » donne les moins bons résultats…
En conclusion, il est vraiment dommage que la recherche en management ne soit pas plus connue dans les entreprises. Des recherches ont été menées sur tous les thèmes (et pas uniquement le conseil en management…). Les entreprises qui feront l’effort de les utiliser en tireront les plus grands bénéfices !
Jérôme Barthélemy, Professeur de stratégie et management, ESSEC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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