Ce front républicain qui n’a cessé de faire monter le Front national

La succession d’élections qui se déroulent en France depuis six mois illustre à merveille les contre-effets de la stratégie du front républicain.

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Marine Le Pen by Global Panorama(CC BY-SA 2.0)

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Ce front républicain qui n’a cessé de faire monter le Front national

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 30 avril 2017
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Par Eric Verhaeghe.

Le ralliement pourtant tout à fait prévisible de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen suscite assez curieusement un tonnerre médiatique au nom du soi-disant front Républicain. Le moment est venu de traiter sur le fond ce qu’est la vraie nature de ce front : l’une des illustrations du bannissement oligarchique, une technique de remise au pas de l’opinion qui explique largement la montée des extrêmes en France.

La rente du front républicain

Il faudrait donc pratiquer le front républicain, c’est-à-dire creuser et maintenir un cordon sanitaire permanent autour du Front National. Oh ! la belle rente électorale qui permet aux partis en place de faire tout et n’importe quoi en étant sûrs de ne jamais perdre les élections. Dans tous les cas, les partis de gouvernement s’allieront toujours pour empêcher un parti nouveau d’arriver aux responsabilités. Bien entendu, c’est au nom de la démocratie que ce viol caractérisé de la démocratie, consistant à interdire à une partie de l’opinion de faire valoir ses idées, est commis.

Le danger que le front républicain fait peser sur la démocratie

La succession d’élections qui se déroulent en France depuis six mois illustre à merveille les contre-effets de la stratégie du front républicain. Au lieu d’endiguer la montée du Front National et de consolider les partis auto-proclamés démocratiques (on se souviendra ici des déchirements après l’élection de Martine Aubry au poste de Premier Secrétaire du PS en 2008, et ceux qui ont suivi la confrontation Fillon-Copé à la tête de l’UMP pour mesurer la distance qui sépare ces partis de la démocratie, m’enfin bon !), le front républicain favorise la montée du Front National, mais aussi, à gauche, des Insoumis. Dans le même temps, il a permis d’éliminer consciencieusement tous ses apôtres : Sarkozy, Juppé, Fillon, Montebourg, Valls, Hamon, etc.

François Fillon à part, les candidats qui ont recueilli le plus de voix à la présidentielle sont ceux qui ne sont pas directement issus du front républicain. Cherchez l’erreur ! Et le Front National n’a jamais bénéficié d’autant de suffrages qu’auparavant. Le front républicain est le père de tous les dégagismes à venir.

Le Front National est-il oui ou non anti-démocratique?

Si le Front National est vraiment anti-démocratique, s’il fait peser une menace sur les libertés publiques et les droits de l’homme, il faut l’interdire. La dissolution des groupes politiques dangereux pour la démocratie est prévue par la loi depuis 1936 ! L’article L232-1 du Code de la Sécurité intérieure dispose notamment :

Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : (…)

6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.

Si les partis en place considèrent que le Front National entre dans cette catégorie, que le ministre de l’Intérieur applique la loi et qu’il ordonne la dissolution de ce parti. Sinon, qu’on le laisse, une bonne fois pour toutes, concourir normalement à la vie démocratique.

Comment le bannissement du Front National a affaibli nos institutions

Cette façon de bannir un parti sans l’interdire clairement comme la loi le permet a un effet général d’affaiblissement de nos institutions. D’un côté, les Français ont le sentiment que la démocratie réelle leur est refusée parce que le vote est orienté en faveur de quelques partis, sous peine de stigmatisation et de mise à l’index. De l’autre, ils sanctionnent durement les institutions que le front républicain est supposé protéger.

Pour s’en rendre compte, il suffit de lire ce graphique sur le nombre de voix recueillies au premier tour par les candidats du second tour :

Source : www.entreprise.news

En 2007 comme en 2012, les deux premiers candidats avaient recueilli plus de suffrages que l’abstention. En 2002 comme en 2017, l’abstention est le premier parti de France. Depuis 10 ans, le premier candidat à l’issue du premier tour recueille de moins en moins de suffrages.

Autrement dit, la stratégie du front républicain menée notamment sous le mandat de François Hollande, produit des résultats contraires à ceux attendus. Plus on fait « barrage au Front National », plus le Front National progresse, et moins les électeurs adhèrent à l’ensemble des institutions, notamment en manifestant une véritable désaffection pour les candidats qui s’opposent au second tour.

Sans la liberté de blâmer…

Le bannissement, ce réflexe témoin de la réaction nobiliaire…

Les infortunes suicidaires du front républicain tiennent à son esprit, qui déplaît à la majorité. Personne, sur le fond, n’est dupe ! Lorsque les élites de ce pays bannissent le Front National de la vie démocratique, elles envoient un message simple : bonnes gens, la République existe, mais nous en sommes les usufruitiers. Nous prendrons de sévères mesures de rétorsion contre tous ceux qui ne suivraient pas nos choix ou contrediraient nos intérêts. Nous les clouerons au pilori et les humilieront en place de grève. C’est ce qu’on appelle la réaction nobiliaire.

On retrouve ici la tradition du « Ridicule » de l’Ancien Régime très bien mise en scène par Patrice Leconte. Tout ce qui, non seulement ne se conforme pas, mais met en danger, la machine bien huilée destinée à servir les intérêts de l’élite est condamné à être broyé. Facialement, la démocratie existe. En profondeur, elle est foulée aux pieds par l’esprit de parti et de cour qui pétrifient tous ceux qui n’entrent pas dans la « combine ».

… qui insupporte une majorité grandissante de Français

Le bannissement comme réponse sociale à toute contestation politique visant les règles du jeu (ou l’élite qui en tire profit en toute impunité) est devenu une sanction de plus en plus dangereuse à pratiquer. Dans la troupe, la peine suscite des murmures de plus en plus houleux. La campagne pour le second tour montre la difficulté de plus en plus forte à ramener l’ordre et le calme dans les rangs par cette technique humiliante.

Il faut dire qu’à force de bannir, le groupe des « dissidents » devient de plus en plus important. Avec Internet, ce groupe peut s’exprimer malgré le boycott des médias, et il peut disséminer ses idées à l’abri des regards et répandre son parfum avec une grande liberté. De plus en plus de dissidents signifie de plus en plus de « grandes gueules » qui ont un intérêt objectif à nouer des alliances tactiques contre une réaction nobiliaire de plus en plus grotesque.

Prenez Mélenchon. Depuis vingt ans, les socialistes l’humilient, lui font sentir que son côté populo est insupportable, le méprisent pour ses origines et pour son éloquence qui leur fait de l’ombre et les renvoient à leur propre médiocrité. Quel Tartuffe peut s’étonner de le voir jouer avec le feu aujourd’hui ?

Le drame de la réaction nobiliaire est que, année après année, elle ne cesse de grossir les rangs des Mélenchon et de faire maigrir les rangs des fidèles au régime.

Et si l’on revenait à la démocratie ?

La stratégie du front républicain, qui consiste en bout de course à marier les carpes et les lapins pour rester seul à table contre tous les nouveaux arrivants, menace dangereusement nos libertés publiques.

D’abord, elle fonctionne par la multiplication des interdits liberticides. Ensuite, elle relativise les divergences d’opinion au profit d’une coalition d’intérêts mortifères. Pour défendre les mandats d’Estrosi, de Bertrand, de Cambadélis, de tous ceux qui ont pris le pouvoir sans majorité, nous serions supposés sacrifier nos vies et nos envies dans les tranchées d’un ridicule Chemin des Dames politique.

Nous savons tous que l’hécatombe de 1914 a préparé les reniements des années 30, nourris de toutes les désillusions face à ces sacrifices inutiles – inutiles pour l’intérêt général, mais très fructueux pour tous ceux qui ont instrumentalisé la cause collective à leur seul profit.

Et tel est le cancer qui se métastase aujourd’hui dans l’opinion : entre un chaos nommé Marine Le Pen et une désespérance appelée l’immobilisme macronien, fait de phrases creuses, de déclarations péremptoires bâties sur le sable des opinions à la mode, des éléments de langage rédigés par une boîte de com payée à prix d’or, de dénis insupportables et de leçons de morale à trois balles, le choix ne coule plus de source.

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  • La solution, désormais, est simple :
    Le Front National est antidémocratique, fasciste, raciste, islamophobe, etc… Le prochain gouvernement ou, mieux, la représentation nationale prend la décision de déclarer le Front National anti-démocratique, le dissout et l’interdit.
    Si cette décision n’est pas prise : inutile de se répandre en jérémiades à chaque consultation et d’appeler le Front Républicain, comble du « fauxculisme », de ses voeux.
    Le spectacle auquel nous assistons en mai 2017, le comportement de la classe politico-médiatique, non nauséabonde (!), nous amène sur un plateau MLP élue avec 55% des voix dès le premier tour en 2022 !

    • « La solution, désormais, est simple… »
      Vos propos sont dans la lignée du Bonapartisme dont la France est imprégnée depuis le règne de Napoléon d’Ajaccio.
      D’autres lecteurs pensent que toutes les opinions ont le droit de s’exprimer dans le respect des droits de chacun et dans un cadre démocratique et libéral.

      • C’est ce que dit, en fait, ce commentaire.
        Si le FN est réellement dangereux pour la démocratie (ce qui est douteux, il n’a jamais tenté de contourner les institutions démocratiques et n’a jamais dit vouloir confisquer le pouvoir) alors qu’on l’interdise. Mais si ce parti se contente de jouer le jeu avec des idée qui (parfois) sont non conformes à la doxa « republico-médiatique » alors qu’on arrête ces histoires de barrage, d’ostracisme sans débat, et qu’on combatte dans le cadre d’un débat apaisé les idées qui vraiment sont mauvaises.
        En l’occurrence j’ai l’impression que tout ce qui est dit par le FN l’est ou l’a été par des partis « de gouvernent » / « respectables » (je ne suis pas sûr, d’une façon générale le discours fn est collectiviste et donc je n’y prête qu’un quart d’oreille distraite) et si cette impression est commune et que le pays ne se redresse pas rapidement, c’est clair que ça risque de conduire le Pen à l’Élysée.

  • interdire le FN , c’est dire à des millions de citoyens qui ont voté pour ce parti , de bien vouloir la mettre en veilleuse et de voter correctement ; pas sur que cela passerait comme une lettre à la poste ; quitte à l’interdire il fallait le faire il y a 30 ans .

  • Nous ne sommes pas les joueurs de ce jeu de dupes, nous sommes les pions. Quand un nouveau joueur s’invite à la table, les précédents lui font barrage, afin de ne pas partager les gains.
    Mais le jeu ayant une durée illimitée, il y a toujours un nouvel entrant.
    Et il y a toujours les mêmes pions, ils ont juste changé de main.

  • Oui, Monsieur Verhaege, il est grand temps de revenir à la démocratie mais j’ai l’impression que nombreux sont ceux qui n’y trouvent pas leur intérêt!

    • @ Mariah

      Un peuple véritablement souverain?
      Vous rêvez?

      C’est la fin des carrières politiques, ces gens qu’on croit importants et indispensables et font tout pour rester en place!

      Oui, vous rêvez!

  • Quel article intelligent! Mes compliments Monsieur Verhaeghe! (Vos origines sont plus nordiques que françaises avec un nom pareil!). Et vous retrouver ce franc-parler, bien différent des cache-misères français à but non démocratique! Toutes les vraies démocraties intelligentes ont quitté le système hostile pour le « centre » plus convivial où on peut négocier, avec des exigences et des concessions, obtenir un « accord », un « consensus » où on ne gagne pas tout et on ne perd pas tout!

    C’est la vie: on n’a jamais rien comme « tout et tout de suite » comme l’exige l’Antigone de J.Anouïlh!

    J’ai connu la France où il était malséant de parler d’argent, à table « en ville » (ou même en discutant d’un éventuel engagement – vécu – avec un « obsédé », et je retrouve la France, individuellement obsédée du pognon et du pouvoir! Ça n’a plus rien à voir! Tout ça à cause de « favorisés du régime » qui dépensent bien plus que nécessaire et se servent sans pudeur!

    Une nouvelle révolution française?

    Vous trouverez encore assez de boucs émissaires à l’extérieur, comme d’habitude, expliquant toutes les bêtises de la mauvaise gestion de la France par les Français!

    Origines d’un déclin auquel votre président finissant aura bien collaboré!

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