Par Pierre Farge.
Les quelque cent quarante pages du Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire remis au ministre de la Justice rendent difficile une compréhension rapide et claire.  En voici donc une analyse.
La prison
Parce qu’il faut que le public français sache, il convient d’abord de comprendre ce qui se cache derrière le mot « prison ».
Le parc immobilier pénitentiaire compte, outre 6 établissements pénitentiaires pour mineurs et l’établissement public de santé national de Fresnes, 191 établissements dont 99 maisons d’arrêt et 85 établissements pour peine.
Une maison d’arrêt reçoit, en théorie, les prévenus en attente de leur procès, ainsi que les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans ou dont le reliquat de peine est inférieur à un an.
Un établissement pour peine reçoit les condamnés à des peines d’au moins deux années. Ces établissements sont soumis, en théorie nous le verrons, au principe à l’encellulement individuel. Ils se décomposent en 25 centres de détention accueillant des détenus présentant des perspectives de réinsertion sociale ; 6 maisons centrales recevant les détenus les plus dangereux ; 43 centres pénitentiaires abritant au moins deux quartiers caractérisés par des régimes de détention différents comme la maison d’arrêt et le centre de détention ; 11 centres de semi-liberté destinés à accueillir des détenus aux heures fixées par un juge.
Surpopulation carcérale
- Des chiffres accablants
Au 1er janvier 2017, la capacité d’hébergement française en « prison » était de 58 681 places pour 69 432 personnes détenus, soit une densité moyenne de 120 %, atteignant 140 % en maisons d’arrêt, voire 200 % à celle de Villepinte en Seine-Saint-Denis.
Les conséquences de cette promiscuité descendant jusqu’à 3 m2 sont doubles puisqu’elle conduit d’abord, directement, au sein même des prisons, à 9000 agressions entre personnes détenues, voire 4500 contre le personnel en 2016 ; puis, indirectement, entretient dans un milieu totalement inadapté la récidive aux dépens de la réinsertion.
- Violation du droit fondamental
Ces chiffres accablants sont d’autant plus honteux qu’ils méprisent le principe de l’encellulement individuel introduit en droit français par une loi de 1875. Aménagé par une dérogation devenue provisoirement durable, l’article 106 de la Loi de finances rectificative pour 2014 dispose ainsi que : « jusqu’au 31 décembre 2019, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution des locaux ou le nombre de personnes détenues ne permet pas son application (…) ».
C’est donc un contournement du principe d’encellulement individuel qui s’est institutionnalisé, soit ni plus ni moins le mépris de la loi par l’État lui-même.
Des structures légères adaptées à la réinsertion
Plutôt que ces bons mots, courageusement relancés à la veille de chaque campagne présidentielle, l’action commande de se concentrer sur le développement de structures légères, adaptées aux courtes peines.
Cette ambition est la plus sérieuse puisqu’il n’existe que deux structures de ce type aujourd’hui en France, et qu’avec 40 % des peines prononcées inférieures à un an, en développer davantage garantirait la résorption de la surpopulation carcérale en même temps que la réinsertion. Cela permettrait d’intervenir plus systématiquement dès les premiers faux pas et ainsi éviter les récidives plutôt qu’un enferment tardif après de multiples condamnations laissées sans effet (car la surpopulation carcérale empêche l’exécution de la grande majorité des peines, donnant ainsi au justiciable un sentiment d’impunité).
Les pays scandinaves comme la Suède ont éprouvé ce système, comme ils avaient en leur temps éprouvé le bracelet électronique. Une dizaine de détenus de peines comparables vivent ensemble dans des petites unités composées d’un séjour, d’une cuisine et d’autant de cellules individuelles de 7 m2. Le matin les détenus effectuent une thérapie ou des études, l’après-midi ils travaillent. À cet effet, il faut tripler le nombre de conseillers d’insertion pour parvenir à un ratio de 1 conseiller pour 35 détenus. Des bénévoles pourraient même compléter cet objectif dès lors que l’administration pénitentiaire estime un soutien supplémentaire nécessaire.
Voilà donc une initiative claire, simple et abordable qu’il faudrait attendre des programmes présidentiels, aussi bien de gauche que de droite, et même de partout. À gauche puisqu’elle obéit à ses valeurs de prévention de la délinquance, d’accompagnement socio-éducatif et d’aménagement des peines. À droite puisqu’elle obéit à la tradition peut-être plus sécuritaire en plaçant les condamnés dans des structures adaptées, sans pour autant diminuer le nombre de détenus. Partout, car d’un point de vue purement budgétaire, ces structures plus légères sont, par définition, moins coûteuses : les coûts de réalisation sont estimés 40 % inférieurs à un établissement pénitentiaire classique, de même le ratio détenus/fonctionnaires nécessaire à la surveillance en serait amoindri.
À l’aulne de cette ambition, les programmes présidentiels prennent une toute autre couleur. « Une société se juge à l’état de ses prisons » disait Camus. La présente mesure permet de juger la vision du candidat pour son pays, d’un véritable projet de société éclairant ceux qui doutent en l’avenir, qui cherchent à échapper au désespoir et à la rage, qui n’ont pas de débouchés, pas de projets, et pas d’ambition. Aussi anodine et technique puisse-t-elle paraître, cette mesure témoigne bien d’altruisme, d’initiative, d’empathie à ceux qui sont perdus, qui sont mal orientés dans leurs études, qui n’ont pas confiance, qui ne savent pas comment réussir leur vie, et qui finalement constituent la majorité des électeurs.
Voilà ce qui est attendu d’un Président de la République.
Merci pour votre analyse et vos conseils concernant les prisons. Je dois dire que je partage votre point de vue et que je soutiens vos suggestions.