Repenser l’avortement à partir de la fragilité des femmes

Il nous faut refonder le rapport à l’avortement en partant de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve les femmes aujourd’hui.

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Repenser l’avortement à partir de la fragilité des femmes

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 5 avril 2017
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Par Sophie Heine.

Dans nombre de pays, l’avortement agite à nouveau les esprits. La récente controverse en Belgique autour des propos anti-avortement tenus par un professeur de l’UCL n’est, à cet égard, qu’un symptôme de la réactivation plus large d’une polémique que beaucoup pensaient close.

Si le ton et les arguments adoptés dans ces controverses peuvent faire frissonner, remettre cette question en débat n’est pas forcément un mal. Cependant, face aux positions caricaturales en présence, il serait souhaitable d’explorer des formes d’argumentation alternatives, qui feraient avancer la liberté tout en s’ancrant dans une perspective réaliste.

Le retour de l’argumentaire moral et religieux

Certes, le retour d’un argumentaire moral et religieux contre cette pratique choque, à l’heure où semble acquise la liberté individuelle de choisir sa conception de la vie bonne. Et la présentation de l’avortement comme un “crime” a de quoi effrayer par son conservatisme et son  rapport souvent dogmatique à la religion comme guide éthique suprême.

Néanmoins, les réponses apportées par les mouvements dits “progressistes” – la sacralisation du “droit à l’IVG” comme victoire féministe supposée garantir aux femmes la “libre disposition de leur corps” – sont loin d’être convaincantes.

De fait, nombre de femmes “ordinaires” et peu politisées observent ces débats avec une distance teintée de scepticisme. Si beaucoup s’opposent à la qualification des femmes qui avortent comme “criminelles” ou renégates, elles rechignent malgré tout à rejoindre les rangs des défenseurs du droit à l’avortement et des mouvements féministes en général. Et, en effet, le discours porté par ces courants est tout à la fois simplificateur et éloigné de la réalité concrète des femmes concernées.

 Ce que négligent les discours dominants

Plusieurs dimensions négligées par ces discours dominants méritent d’être mises en avant.

Tout d’abord, les femmes sont vulnérables : elles occupent des positions socio-économiques moins valorisées et moins rémunératrices, sont plus nombreuses à élever leurs enfants seules et subissent davantage de violences dans la sphère privée. Cette condition accroit leur vulnérabilité aux autres formes de domination et réduit leur potentiel de révolte et d’engagement.

Quant aux préjugés sur le “féminin” – l’instinct maternel, un niveau d’empathie supérieur, une attention naturelle portée à leur apparence, un faible niveau d’agressivité et un esprit coopératif et peu compétitif –, ils servent avant tout à légitimer leur infériorité sociale, notamment en véhiculant une image des femmes comme étant avant tout des objets et des instruments au service des fins d’autrui.

Vulnérabilité des femmes

En moyenne plus petites, plus légères et dotées d’une moins grande masse musculaire, les femmes sont aussi vulnérables physiquement. Elles sont davantage susceptibles de subir des violences ou de faire évoluer leurs comportements sous l’impact de menaces, d’intimidation ou de contraintes physiques.

Le risque de tomber enceinte accroît évidemment cette vulnérabilité car l’état de grossesse constitue une source de fragilité. Et dans l’éventualité où une femme enceinte choisit de mettre fin à une grossesse, les séquelles – y compris psychologiques – sont rarement nulles.

À cause de cette vulnérabilité et des discours qui la légitiment, les femmes sortent souvent  perdantes des rapports de force imprégnant la sphère professionnelle et publique autant que le domaine privé.

Dans les interactions entre hommes et femmes, les femmes sont systématiquement désavantagées, car elles font face, dans ce cas, à des individus généralement en position de force : les hommes sont non seulement en moyenne plus puissants physiquement et socialement mais ils voient en outre leur position de pouvoir justifiée, et par les normes sociales en général et par l’appréhension dominante de ce que constitue le “masculin”.

Liberté et domination

Dans un tel contexte, que peut bien signifier la liberté individuelle si souvent postulée dans la décision d’avorter – et confirmée par le terme officiel d’”interruption volontaire de grossesse” ? Comment les femmes peuvent-elles être effectivement libres dans de telles circonstances si elles sont structurellement soumises à des dominations ? N’est-il pas absurde de considérer que, face à la question cornélienne de prolonger ou non une grossesse, les contraintes s’imposant habituellement à elles soudain s’évaporent ?

Répétons-le : en plus des injustices subies par la majorité des individus, les femmes font face à des dominations spécifiques ; leur vulnérabilité sociale et physique, ainsi que les discours dominants sur  le “féminin” et le “masculin” limitent leur potentiel de révolte et de mobilisation.

Cette condition ne peut qu’avoir un impact sur le choix ou non d’avorter, d’autant plus que les contraintes subies par les femmes en matière de sexualité et de reproduction sont particulièrement fortes.

Responsabiliser les hommes

Qu’il s’agisse des pressions exercées par les hommes concernés, de la réalité sociale recouverte par le statut de mère et des attentes sociales afférentes, les femmes prenant une telle décision sont rarement libres.

Il nous faut, par conséquent, refonder le rapport à l’avortement en partant de ces éléments de fragilité.  Bien entendu, il s’agit d’améliorer le degré d’information et d’éducation sur la contraception en insistant sur les risques potentiels liés à un avortement.

Mais le véritable progrès consisterait en une responsabilisation radicale des hommes. Moins que par un travail sur les mentalités, cela suppose, d’une part, le développement de la contraception masculine et, d’autre part, la création d’une obligation d’implication paternelle beaucoup plus substantielle.

La majorité des hommes se comporteraient en effet différemment sur le plan sexuel s’ils étaient obligés de s’impliquer une fois un enfant né ; et nombre de femmes hésiteraient alors davantage à avorter, même dans des situations de couple problématiques ou après des ruptures. Car elles ne seraient plus seules à faire face à la tâche, à la fois immense et fabuleuse, de mettre au monde un enfant.

 

 

 

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  • Article très intéressant. L’avortement est un sujet très délicat. Personnellement, c’est fondamentalement un droit que je défends (je précise que je suis un homme) parce que moralement il n’y aurait pas une bonne ou une mauvaise décision à prendre. Avortement ou grossesse menée à son terme ? Cela importera l’une des deux vies…
    J’en viens à votre conclusion qui m’a beaucoup convaincu. Oui il faut impliquer pour le pire et le meilleur les pères (j’entends dans le cas d’une relation consentie). Un enfant ça se conçoit encore à deux, et ça devrait à s’élever à deux. La mono-parentalité, statistiquement, va faire que la mère isolé comme l’enfant vont faire face plus souvent à des difficultés (économique, éducation..).
    Je ne peux pas souhaiter l’avortement comme la solution par défaut. Elle est seulement la moins mauvaise des solutions quand il n’y a pas de meilleures alternatives.
    La Responsabilité du Père, elle a aussi été écarté malgré eux. Dans certaines sociétés qui se veulent très avancés en matière de féminisme (parfois pour le pire), on a aussi encouragé ce choix de ne pas tenir compte du père. On ne tient pas toujours compte que l’inégalité du sexe, elle ne fait pas qu’une victime, la femme mais conditionne malheureusement les hommes à eux aussi tenir un certain rôle.
    Oui l’avortement ne cessera pas de poser des questions éthiques bien qu’on tende à vouloir protéger ce droit. Et que la question de la natalité, de la conception, concerne naturellement les pères.

  • Excellent article. A l’heure où l’on sait prouver la paternité par analyse ADN, ce sujet est parfaitement justifié. Un homme ou une femme qui souhaite avoir des relations sexuelles et ne pas avoir d’enfant dispose d’une importante panoplie de moyens contraceptifs. Mais permettez moi de pousser le sujet jusqu’à l’étape suivante de la réflexion : Au 18e siècle encore, dans les sociétés occidentales, l’homme blanc était estimé supérieur à l’homme noir, que ce soit en intelligence ou en droits. Mais l’homme noir était reconnu supérieur à la femme quelque soit sa couleur, puis la femme supérieure à l’animal. Les enfants étaient des sous-etres (car non fini selon les critères de l’époque) et les homosexuels n’étaient que des marginaux systématiquement qualifiés de pervers. Le fœtus ou l’embryon quant à eux ne bénéficiaient d’aucune considération et les intelligences artificielles n’existaient bien évidemment pas (vous comprendrez plus bas pourquoi j’inclue les IA dans cette réflexion)…

  • Aujourd’hui, nous avons progressé et reconnaissons la femme et n’importe quel homme de n’importe quelle couleur comme notre égaux. Mais Cela s’est produit parce qu’ils se sont battus pour l’obtenir, pour qu’on leur donne droit au chapitre. Puis les enfants ont obtenus leurs droits par ouverture des consciences et avec le soutien des parents. Puis les homosexuels ont eux aussi eu leurs batailles et même s’il reste encore du travail sur ce point, ils bénéficient enfin d’une place réelle dans nos sociétés occidentales modernes. Il y a ensuite le cas des animaux qui défendus par leurs maîtres bénéficient maintenant d’une certaine « existence légale ». On discute même déjà de la reconnaissance potentielle de droits pour les intelligences artificielles.

  • En revanche, nous n’avons toujours pas légiféré sérieusement sur le droit des enfants intra-utérins. Pourquoi ? Peut être puisque ces petits êtres incapables de se défendre ont été mêlés malgré eux a un âpre débat pour le droit des femmes. Les femmes étant considérées jusqu’alors comme seules responsables des enfants qu’elles mettaient au monde lorsque le géniteur ne reconnaissait pas l’enfant. Par extension, l’embryon est même devenu un empêcheur d’émancipation de la femme et de nombreux pays occidentaux ont voté des lois permettant de supprimer cet êtres humains, dont les parents qui auraient dû être leur principaux défenseurs avaient d’autres questions plus urgentes à traiter, notamment le droit des femmes, qui affirmait le droit à l’avortement comme un droit essentiel pour l’émancipation des femmes.

  • L’égalité homme-femme étant encore sujet à d’âpres discussions et mises au point, on constatera objectivement que la reconnaissance des droits des femmes se situe définitivement ailleurs que dans le droit à l’avortement, mais plutôt sur le plan social et culturel. Au delà de l’éternel recours au progrès, là où certains campés sur de vieux a priori, probablement aussi sur d’inconscients aveux de culpabilité, le sujet des droits de l’embryon, va naturellement revenir sur la table, et ne cessera d’y revenir tant qu’il n’aura pas obtenu un statut clair et équitable. Il ne s’agit plus d’une question religieuse comme il l’a longtemps été, mais d’un positionnement objectif de notre société sur un sujet qui n’a objectivement pas encore été traité. Une mise au point sur les obligations et responsabilités liées à la paternité serait donc un très bon premier pas.

  • Il y a conflit entre deux droits. Un droit naturel qui est le droit à la vie du nouvel être qui vient d’être conçu; et un droit créé par le loi permettant de mettre un terme à cette vie dans un certain délais. A chacun de gérer au mieux cette situation difficile.

    • En fait, dans les deux cas l’Etat n’a pas à intervenir.
      Le droit du fœtus à vivre et se développer est une conception intellectuelle : sans le corps et les organes de l’ai mère le fœtus n’est pas viable. Par ailleurs, il ne me semble pas qu’il soit doté d’une quelconque conscience : son « droit à la vie » est bel et bien une vue de l’esprit, un trait de moralité qui n’a rien de naturel. La nature tue ses enfants bien plus que les avortements humains…
      La femme devrait décider seule en définitive, de garder ou non un potentiel nouveau-né.
      Pas grand-chose ne permet à des législateurs masculins de légiférer sur le sujet, quelle que soit la Loi issue de leurs réflexions : ils ne seront jamais concernés.
      Cette question est trop sérieuse pour être laissée à des législateurs, à des religieux ou à des moralisateurs.

  • Bonjour

    Sur l’avortement, j’ai la même position que S Veil qui considère que, certes l’avortement est un homicide, mais que devant la souffrance de 300000 femmes qui avortent clandestinement il vaut mieux dépénaliser l’avortement.

    Non l’avortement n’est pas un droit, non ce n’est pas disposer de son corps, oui c’est un homicide qui ne dit pas son nom, interruption volontaire de grossesse (ignoble euphénisme).

    Le libéralisme c’est aussi reconnaître tout ne peut être totalement cohérent, que la vie, que sa vie c’est aussi du bricolage, de l’à-peu-près, de l’humain en somme.

    • Allez lire (ou relire) « L’Ethique de la Liberté ».

      L’IVG constitue l’extrême utilisation du droit de propriété de son propre corps. Tout est libéral-kasher là dedans sauf pour les conservateurs qui, je le rappelle, ne sont pas des libéraux pour deux francs.

      • Je vous envie, les bobos, vous êtes du coté lumineux de la force, vous ne connaissez pas le doute, vous êtes dans la morale.

        • Je n’envie pas votre incapacité à argumenter.

          « Bobo » c’est la nouvelle insulte universelle ? Cela se situe où ? Entre « bachi-bouzouk » et « pisse de flute » ?

          Sinon, Rand et Rothbard, put**n, ces « sales bobos » …

          • Je n’envie pas votre méchanceté, toute vos interventions sont agressives.

            • « Don’t tread on me ! »

              (Cela doit être aussi une histoire de « bobos » …)

              • Dans ce cas précis, c’est vous qui m’avez cherché (conservateurs pas libéraux pour deux sous).
                Je dis dans ce cas précis, mais c’est une habitude chez vous d’agresser les posteurs de votre aigreur.
                Je ne vous envie tjs pas.

                • 1/ Je vous rafraîchie la mémoire :
                  « Non l’avortement n’est pas un droit, non ce n’est pas disposer de son corps, oui c’est un homicide qui ne dit pas son nom, interruption volontaire de grossesse (ignoble euphémisme). »

                  En l’espèce, c’est donc bien vous qui attaquez ce qui est reconnu comme un droit par toute la littérature libérale valable.

                  Le plus drôle étant que les faux-libéraux (comprendre les conservateurs) ne peuvent tellement pas attaquer l’avortement par la philosophie libérale qu’ils en sont réduits à utiliser des phrases bateaux du type : « ah oui, la question de l’IVG est compliquée » … Cette escroquerie intellectuelle est tellement téléguidée que j’en ai presque honte pour ceux qui l’utilisent.

                  2/ Vous continuez sur l’ad personam ?

                  3/ Vous allez me faire un « Moi président … » avec « Je ne vous envie pas … » ?

  • c’est exact l’avortement n’est qu’un des aspects de la notion de responsabilité personnelle et sociétale dans laquelle les hommes ont leur part, comme les politiques, les responsables économiques, les journalistes etc…

  • Jack, vous n’argumentez pas, vous assénez des prétendues vérités que vous ne maîtrisez pas… ce n’est parce qu’une loi permet l’avortement qu’il faut considérer l’avortement comme une chose bonne, voire la moins mauvaise. Vos posts expriment un refus d’évoquer le sujet, ce qui est un des aspects les plus négatifs du conservatisme dont vous faites manifestement partie. Une démarche libérale consisterai à accepter de repenser le sujet à la lumière de notre époque afin d’évaluer si cette loi est toujours la bonne. Par ailleurs, on n’a effectivement jamais prouvé qu’un embryon n’était pas un être doté de conscience mais l’inverse ne l’a pas été non plus. Si je reviens sur l’un de mes exemples plus haut, il y a eu une époque où un esclave noir pouvait être tué par son maître (même si ce n’était pas non plus considéré comme bien) car il était jugé inférieur et que le droit de l’époque le lui permettait. Ces droits ont été revus, bien s’en faut, même si cela fut difficile car les maîtres blancs de l’époque refusaient de remettre en cause l’infériorité et l’insignifiance de l’homme noir. N’ayez pas peur de penser par vous même et de vous affranchir des idées préconçues, vous y gagnerez 🙂

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Pierre Valentin est diplômé de philosophie et de science politique, ainsi que l'auteur de la première note en France sur l'idéologie woke en 2021 pour la Fondapol. Il publie en ce moment Comprendre la Révolution Woke chez Gallimard dans la collection Le Débat.

 

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