Par Francis Richard.
La Tête de Lénine a été écrit à l’époque du samizdat par Nicolas Bokov, en 1970, à Moscou, en trois semaines de temps. L’auteur, qui regrette ses imperfections dues à cette précipitation, commence son avant-propos par ce paragraphe qui devrait singulièrement faire réfléchir les écrivains d’ici et maintenant :
Faire du samizdat à Paris est bien plus commode et tranquille que dans le Moscou des années 1970. Mais l’audience, aussi, était alors bien différente, à faire rêver les écrivains occidentaux lorsqu’ils parlent « du plaisir d’écrire et du bonheur d’être lus ». Adaptée au samizdat, cette formule pourrait être complétée par « la joie et le risque de voir leurs textes retapés à la machine par des lecteurs ».
Ecrire et soigner sa mère malade
Et le fait est qu’il s’est agi pour Nicolas Bokov d’écrire, de faire quelques copies et microfilms pour une diffusion souterraine dans un réseau invisible et innombrable, tout en travaillant, en faisant des études, en menant une double vie… et en s’occupant de sa mère malade.
Mais le résultat est là : ce livre qui circule au moment du centenaire de la naissance de Lénine est une véritable petite bombe littéraire, car il se paye la tête du Guide dans toutes les acceptions du terme, avec tous les risques que la commission d’un tel ouvrage fait encourir à son auteur et à ceux qui le diffusent sous le manteau.
Pour brouiller les pistes, Nicolas Bokov signe l’opus du nom d’un romancier officiel, Vsevolod Kotchetov, qui serait d’ailleurs aujourd’hui complètement tombé dans l’oubli, et pour l’éternité, s’il n’était associé à ce roman satirique et s’il n’avait été invité par le KGB à dire qui avait bien pu vouloir se venger ainsi de lui.
Le voleur du siècle
La présente édition reprend le texte de l’édition de 1982 (parue chez Robert Laffont), traduit par Claude Ligny, revu et corrigé par Anne Coldefy-Faucard et par l’auteur. Elle comprend des notes de la traductrice et de l’auteur qui permettent à celles et ceux qui n’ont pas vécu l’époque d’en apprécier les allusions, l’humour et le contexte.
Vania Tchmotanov est le Voleur du Siècle. Enfin, c’est ce qu’il se croit. Ce petit voleur s’est en effet mis dans la tête de voler celle du Génial Bâtisseur du Communisme, qui repose dans un sarcophage au Kremlin. Et il y parvient sans trop de difficultés parce que la sécurité de la momie laisse à désirer par manque de crédits…
Comme Vania, très désappointé par la simplicité du vol, a une troublante ressemblance avec Vladimir Illitch Oulianov, le vrai blase de Lénine, et qu’il s’affuble d’une casquette à large visière, il est pris pour une réincarnation du regretté camarade qui parlait en grasseyant ; et la momie du Mausolée est alors remplacée par un acteur.
Les aventures de Vania
À partir de ces prémices, les aventures de Vania s’enchaînent les unes aux autres. Le régime soviétique n’en sort pas grandi et c’est davantage la bêtise que l’inhumanité de ceux qui sont à son service, ou qui sont à sa tête et en tirent profit, qui est soulignée à gros traits par l’auteur et qui incite le lecteur à rire de bon cœur plutôt qu’à pleurer.
Rééditer La Tête de Lénine en 2017 n’est évidemment pas fortuit. Faut-il rappeler que la véritable révolution russe a eu lieu en février 1917 ? Qu’en octobre 1917 un parti, n’ayant rien à faire d’élections et ayant recours au terrorisme et à la lutte armée, s’est emparé directement du pouvoir, instaurant un régime de terreur pour 70 ans ?
Faire preuve d’imagination
Dans son avant-propos, Nicolas demande au lecteur français de faire preuve d’imagination pour comprendre ce qu’a pu être ce régime d’occupation des Russes par d’autres Russes, devenus fous, malades de la peste, membres du Parti et de la police secrète, dont sont émoulus les cadres de la junte au pouvoir aujourd’hui :
Imaginez que Robespierre dirige la France pendant soixante-dix ans, en éliminant systématiquement tous ceux qui osent le critiquer.
Imaginez encore que l’occupation allemande dure en France depuis soixante-dix ans, et ce au nom de la libération du capitalisme.
La réalité soviétique explique que de jeunes hommes tels que Nicolas Bokov aient, dans les années 1970, pris la plume contre elle avec impertinence, insouciance et juvénilité, avant que d’être mis au pas par les terribles coups du sort et de la Providence. Avec le recul, aujourd’hui, ils en ressentent quelque malaise…
Nicolas Bokov, La tête de Lénine, éditions Noir sur Blanc, 96 pages.
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Cette vision unilatérale n’est sans doute pas la meilleure preuve de l’objectivité: qui peut comprendre les « bienfaits », non pas des « emprunts russes », mauvais placements, s’il en est, mais de l’éducation de cette population jusque là totalement méprisée et inculte: une analyse, c’est bien, mais à charge et à décharge: ce qui est univoque ne peut être ni objectif, ni crédible, tel quel, ni en fait, ni intelligent ni instructif!
Devant toute réalité, la nuance et le doute restent indispensables pour pouvoir s’en faire chacun, son idée!
Si vous avez eu la chance de vivre en France depuis l’après-guerre, vous aurez pu constater que le doute indispensable à la compréhension des faits a duré… plus que de raison, en ce qui concerne la réalité soviétique!