Les dangers de l’État policier souhaité par Bernard Cazeneuve [Replay]

Faut-il sacrifier nos libertés individuelles sur l’autel de la sécurité ?

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Les dangers de l’État policier souhaité par Bernard Cazeneuve [Replay]

Publié le 6 décembre 2016
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Par Alexandre C.

rené le honzec cazeneuveJe m’étais déjà inquiété l’année dernière1 de certains propos de personnalités politiques de premier plan, notamment du Premier ministre Manuel Valls, qui, afin de protéger les citoyens des menaces réelles qui pèsent sur eux, voulaient réduire encore un peu plus les libertés individuelles, déjà bien entamées par le cortège de lois que le Parlement vote chaque année, notamment dans la sphère économique. Cette inquiétude se trouve aujourd’hui renforcée, à la fois par de nouvelles provocations des représentants de la nation, Jean-Jacques Urvoas, Bernard Cazeneuve ou encore Christian Estrosi en tête2, et par la proposition de loi débattue actuellement à l’Assemblée nationale et qui concerne les services de renseignements.

État policier

Les tragiques événements de janvier dernier en région parisienne ont effectivement remis à la page la question de la sécurité et des renseignements du pays, visiblement défaillants, et les partis politiques pour ne pas rester sur le bas-côté de la route du débat ont cru bon de demander à qui des enquêtes, à qui de nouvelles lois, comme Valérie Pécresse qui voulait un « Patriot Act » à la française sans savoir ce que contenait son pendant américain, à qui des surveillances renforcées, des déchéances de nationalité, etc. Tout le monde, donc, y est allé de sa petite phrase. Dans la foulée, le gouvernement avait dit qu’il ne précipiterait rien et prendrait le temps de la réflexion. Trois mois plus tard, arrivait cette proposition de loi.

Mais que renferme-t-elle d’abord ? Plusieurs choses, mais deux principalement ont retenu l’attention des observateurs. D’une part, elle renforcera massivement les moyens dévolus à la surveillance électronique et informatique, permettant aux services de renseignement (DGSI, DGSE, etc.) de récupérer directement, et sans passer par les opérateurs, les données des internautes (dispositifs de « keylogging » et de « deep packet inspection »). D’autre part, elle va permettre aux dits services de s’affranchir de tout contrôle judiciaire, autorisant, dès lors, le ministère de l’Intérieur à observer, surveiller et écouter n’importe qui sans enquête3. La séparation des pouvoirs garante des valeurs républicaines et démocratiques prend du plomb dans l’aile.

Pourtant, la majorité actuelle justifie cette loi en affirmant qu’elle corrigera les défauts des règles en vigueur et permettra de mieux protéger la population, argument massue, qui recueille à mon grand regret de nombreux suffrages parmi la population. Combien de fois ai-je entendu les gens dire « oui, d’accord, mais si tu n’as rien à te reprocher, où est le problème ? » Nouvel argument massue. En 1775, Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs de la nation américaine et signataire de sa Déclaration d’Indépendance, rapportait qu’ « un peuple prêt à échanger sa liberté contre la sécurité ne méritait ni l’une ni l’autre et finissait par perdre les deux »4. Nous devrions, aujourd’hui encore, méditer sur cette phrase, pleine de bon sens et de sagesse.

Attention danger !

Quoi qu’il en soit, il semble que certaines personnes commencent à prendre conscience du danger (notons que, pour la plupart, elles viennent de la société civile) et ont donc pris la parole afin de s’opposer à cette loi.

Loi renseignement métro parisien

À l’heure où j’écris ces mots, nous ne savons pas si cette voix portera, mais il est à espérer que l’opposition, au lieu de suivre bêtement et comme un seul homme la réforme (à l’exception de quelques-uns), au nom de la sacro-sainte sécurité, se mette à jouer son rôle de contre-pouvoir en demandant au Conseil Constitutionnel d’analyser la loi à la lumière de la loi fondamentale de notre pays. Et que les sages tranchent en faveur de son inconstitutionnalité, au motif qu’elle contrevient aux principes fondamentaux de toute démocratie libérale. On croise donc les doigts.

Car, si une telle loi venait à entrer en vigueur, qu’est-ce qui pourrait empêcher l’État de venir vous espionner ? Pratiquement rien. Il n’y aurait plus de garde-fous. D’ailleurs, il semble que c’est ce qu’il fait déjà si l’on en croit un récent article du journal Le Point où est révélé qu’une « Plateforme Nationale de Cryptage et de Décryptement », ou PNCD, stocke déjà des données nationales ou étrangères. Autant dire que vous êtes déjà sur écoute. Dès lors, à quoi peut bien servir cette nouvelle loi, sinon à entériner un système qui existe déjà dans la réalité. Si encore aujourd’hui on peut dénoncer l’illégalité de telles pratiques de la part des services gouvernementaux, peut-être que demain, si la loi est promulguée, on ne le pourra plus. Nous voilà donc revenus aux « Heures Les Plus Sombres De Notre Histoire » selon l’expression consacrée. Les heures où des gouvernements espionnaient les objecteurs de conscience, les opposants au régime, les esprits libres, etc. Et ce, pas tellement loin de chez nous.

#JeSuisWinston

Au même titre que certains, à juste titre je le pense, ont clamé « qu’ils étaient Charlie » ou plus récemment « qu’ils étaient Kényans », suite aux massacres de 148 étudiants dans la ville de Garissa, au motif qu’ils étaient chrétiens, je me sens aujourd’hui comme Winston. Oui, le Winston, héros de l’œuvre de George Orwell, 1984, dans laquelle, employé au ministère de la Vérité, il réécrit sans cesse les documents historiques qui changent tous les jours, au gré des revirements du parti. Ce livre, écrit au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, était censé être une mise en garde face aux dérives autoritaires et sécuritaires ; il semble qu’il soit devenu aujourd’hui un manuel du parfait petit autocrate, à qui on enseignerait toutes les choses à faire pour contrôler l’ensemble des esprits. Tragique. Dangereux.

À quand donc la distribution de manuels nous enseignant ce que nous devons penser, faire, dire, écouter, regarder ? Depuis quand avons-nous perdu de vue les idéaux républicains que nos ancêtres ont défendu au péril de leur vie ? Est-ce que la liberté serait à ce point dangereuse pour que l’on explique aujourd’hui aux gens qu’ils doivent y renoncer ? La devise de notre pays va-t-elle changer pour celle-ci5 :

« La liberté c’est l’esclavage.
L’ignorance, c’est la force.
La guerre, c’est la paix. »

Alors oui, plus que jamais, Je Suis Winston.


Sur le web.

  1. « Les Français n’ont pas peur de Big Brother » et « La vie des autres ».
  2. Les réseaux sociaux en ont fait leurs choux gras.
  3. À lire cet article de Rubin Sfadj dont sont extraites les informations que j’ai utilisées.
  4. Dans sa version originale : « People willing to trade their freedom for temporary security deserve neither and will lose both ». Il semble cependant qu’elle prenne plusieurs autres formulations.
  5. Slogan de l’Angsoc, régime au pouvoir dans l’histoire d’Orwell.
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  • est ce que la liberté serait à ce point dangereuse…..quand l’on met en cage un animal que l’on estime dangereux , c’est pour se protéger en premier ; not  » bon gouvernement  » cherche surtout à se protéger , lui , contre le peuple ; et la surveillance de masse est à ces yeux un trés bon moyen ; nos zélus ont peur de nous , car ils considèrent tout un chacun comme un térroriste ; ils en sont devenus presque paranos , et quand ces gens là pensent , à tord ou à raison , qu’ils sont en danger , ils mettent des barrières , toujours plus de barrières , pour SE protéger ; pas pour NOUS protéger ;

    • Oui la liberté est dangereuse pour une population qui se sent menacée, car la propagande sécuritaire à bien séduit les anxieux et ils ont plaidés pour elle, dès l’attentat du 11 septembre. Alors si les Français avaient voulus protéger la liberté, ils l’auraient fait, mais comme le disait un ministre du gouvernement de Sarko « ..Si personne ne dit rien, c’est que tout le monde est d’accord.. ».
      Finalement, si le politique se protège, c’est surtout les gros comptes en banque de la « financerie » mondiale et leur fauteuil doré qu’ils protègent, sinon pourquoi cette harcelante hystérie médiatique du chômage, de l’emploi et de l’économie ?

  • Les socialistes ont enfin retrouvé leurs racines avec le National Socialisme de funeste mémoire.
    Merci Goebbels le Valseur et Case neuve de l’oncle Himmler.

    • 1000%
      Mais sur nos politiCHiens on ne doit (le peuple) RIEN SAVOIR.
      C’est bien fait pour les Franchouillès… Ils n’avaient pas le Shoa.

  • @Marie,

    La petite Chloé tuée par un fou

    C’est triste, très triste. Mes condoléances à ses proches.

    Il est temps que la justice face quelque chose d’humain

  • Moi aussi je suis Winston…

  • J’ai failli etre Winston. J’ai tellement en aversion ce que nos Politicomics font que je pars. Meme si ce n’est pas la 1ere raison.

  • Sans doute possible, une surveillance systématique contrevient à l’article 5 de la DDHC : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » Etre systématiquement surveillé, c’est une oppression injustifiable sur l’ensemble des actions non nuisibles à la Société.

    On n’oublie pas que l’objet principal de la loi est de limiter les pouvoirs de l’Etat, pas d’organiser la Société. Dans le cas contraire, la loi ne présente aucun intérêt. En effet, l’arbitraire institutionnel le plus immoral suffit bien : « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

  • Le socialisme a toujours été consubstantiel au totalitarisme, donc malheureusement, rien de tout cela n’est une surprise. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils ne se cachent même plus dans leur adoption des méthodes décrites dans « 1984 »:

     » cette loi est faite pour nous protéger tous et nous permettre d’être en liberté ». Hollande dans le texte, à la télévision Dimanche 19 Avril 2015.

  • Mais nos libertés sont déjà sacrifiées, sur l’hôtel de la prohibition des stupéfiants, héritée de la législation Américaine transposée en France par un accord international, lequel sursoit les droits de l’homme, les libertés publiques et privées de la population. Et cela fut possible grâce à une habile manipulation législative donnant plein droits aux lois internationales, selon les articles 52 à 55 de la constitution, au détriment de la souveraineté du peuple, et donc, de la république.

    Par ailleurs, lorsque des lois scélérates sont produites par un gouvernement qui souhaite réduire les libertés, il n’y a aucune garantie de protection des droits souverains et fondamentaux du peuple, puisqu’un autre article de la déclaration des droits de l’homme remet la liberté du citoyen entre les mains de la loi, autrement dit, la liberté dépends de la loi, donc elle sera réduite jusqu’à ne plus pouvoir exister.

    Évidemment, cette situation paradoxale arrange bien les dirigeants qui peuvent ainsi légiférer abusivement, sachant qu’ils sont les seuls à pouvoir le faire, la chute indéniable de nos droits et libertés est bien entamée, et la fin du pays des droits de l’homme donne déjà naissance a un état policier vivant sur le crime et l’insécurité. Mais si toutefois la souveraineté est au peuple, c’est à chacun de protéger la liberté en commençant par accepter celle d’autrui, c’est renforcer la sienne, alors elle devient indivisible et invincible…

  • Ce n’est pas la technologie numérique employée par les services de l’interieur qui doit être remise en cause, mais la finalité de l’investigation. En effet, ça n’a pas de sens d’entretenir des services de renseignements en leur expliquant qu’ils doivent travailler comme au temps de la guerre froide. Par contre, ce qui est important, c’est que la justice controle le processus et garantisse la liberté du citoyen, peu importe la technologie utilisée.

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L'auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Bordeaux

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