Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre
L’un des grands sujets de la philosophie politique, enjeu de la modernité, engage une réflexion sur le phénomène étatique et ses liens avec la démocratie. Hobbes, Locke, Rousseau et d’autres ont contribué à comprendre ce qui fonde le contrat social, l’origine et le rôle de l’État… Depuis des siècles, ce débat a nourri une production éditoriale abondante. Puis Bercy est apparu.
L’hégémonie du ministère des Finances, renforcé par un contexte de disette budgétaire, a bouleversé la vision de l’État en France. Il n’y a plus, dans notre pays, de réflexion politique ni économique pour savoir ce que peut ou doit faire l’État ; son mode de financement est devenu sa finalité : taxer. Tout euro produit doit être soumis à un prélèvement obligatoire, quel qu’il soit, pourvu qu’il existe.
Tout le monde doit être taxé !
Une vision fiscale du monde s’est imposée : chaque citoyen, chaque activité a vocation à entrer dans une catégorie du Code général des impôts. L’appétit de l’ogre étatique nourrit ainsi la complexité administrative : dès lors que la rationalité technocratique a construit des cases, elle travaille à ce que la réalité du monde s’y conforme (et s’y confine). Quitte pour y parvenir, à se perdre dans des abimes de détails, précisant les critères, listant les exceptions, faisant la fortune des fiscalistes et la ruine de la France entrepreneuriale.
C’est ce qu’illustrent parfaitement les débats actuels sur l’économie collaborative, ce nouveau secteur surgi d’une mutation technologique (la diffusion du numérique et de l’Internet mobile) et de l’enthousiasme des consommateurs.
Le secteur des transports est l’un des plus concernés, affectant directement la profession des taxis. Certaines solutions sont planétaires, d’autres encore locales et émergentes. Ici, c’est un représentant de commerce qui propose de partager son trajet de retour le vendredi (avec Blablacar). Là, c’est son fils qui le fait, quand il sort la nuit (Heetch). Plus loin, voici un ancien chômeur qui devient chauffeur la journée (grâce à Uber, Chauffeur-privé ou Lecab). Ailleurs, ce sont des particuliers qui louent leurs véhicules quand ils n’en ont pas l’usage (Drivy).
Visionnaire comme souvent, l’État a choisi de répondre à ces transformations structurelles en reproduisant une solution dont l’échec n’est plus à prouver : la multiplication des statuts. Le Parlement discute ainsi de l’adoption de nouvelles normes (projet Grandguillaume), pour compléter la loi Thévenoud de 2014, déjà désuète.
Dans le même temps, le Gouvernement a entrepris de fiscaliser les revenus tirés de l’économie collaborative de manière plus systématique (article 10 du PLFSS). C’est que chacun doit pouvoir être taxé ! Le particulier qui partage son véhicule, comme celui qui en tire des revenus. Personne n’y échappera : l’impôt, tu l’aimes ou tu l’acquittes.
En août déjà, une « instruction fiscale » avait apporté quelques explications : les revenus sont taxés, pas le partage de frais. Le cas intéresse directement le covoiturage. Reste à savoir ce que sont les frais et le partage… Et là, c’est Kafka. Pour le particulier ou l’entrepreneur, il devient impossible de se retrouver dans ce labyrinthe : où qu’ils aillent ils se heurtent à un mur de règles et d’exceptions, de taxes, de formulaires.
Cet excès normatif produit l’incertitude et asphyxie l’énergie entrepreneuriale. Il révèle aussi la pauvreté de la réflexion sur l’avenir de la régulation et de l’État. Mais ce n’est pas le souci de Bercy, qui est toujours gagnant : au pire, ses agents « redressent » !
(Article initialement publié sur l’Opinion le 6 novembre 2016.)
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Sur le web
Donc il y a urgence à ne rien faire, stop à la créativité. Ainsi pas de taxation. L’avenir est pour les pays émergents et nous stagnerons sur nos acquis fossoyeurs sur le long terme et même le court terme.
Oui, notre fiscalité est devenu kafkaïenne, illisible antidémocratique. Il faut la simplifier, seul levier pour la réduire effectivement.
C’est aussi (surtout?) l’avenir du financement de notre protection sociale qui est posé. Plutôt que de repenser complètement le système, l’Etat continue à vouloir appliquer des règles qui deviennent obsolètes.
État mafieux pour payer des fonctionnaires hors-sol.
« L’économie collaborative victime de la fiscalité » ou est-ce que la fiscalité est l’outil de choix pour tuer ce qui est un particularisme ou une troisième voix qui ferait trop de concurrence aux grands du secteur?
J’opterai aisément pour la seconde proposition, en particulier dans le cadre d’une de ces négociations hors législatif (pourquoi se gênerai-t-on à parler application des loi quand on peut s’en faire exempter) avec à la clef un modicum de taxation via l’UE ou les états constituants de la part de ceux qui sont aujourd’hui attaqués. Enfin, attaqués pour la forme ou pour un petit levier de négociation justement.