Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

La tiède coopération russo-américaine en Syrie peine à masquer le nouvel axe clivant entre Moscou et Washington : la lutte pour la souveraineté du cyberespace.
Le sujet est au cœur du premier débat présidentiel entre Hillary Clinton et Donald Trump.
Alors que Wikileaks avait publié près de 20 000 courriels, montrant que l’appareil du parti démocrate avait favorisé la candidate au détriment de son opposant, Bernie Sanders, quitte à torpiller sa campagne, le piratage informatique a peut-être été, trop hâtivement attribué au Kremlin. « La véritable question est qui est derrière cette menace et comment fait-on pour la combattre ? » martèle Donald Trump.
Pour les démocrates, le cyber-ennemi a deux visagesÂ
Pour Hillary Clinton, la cyber-sécurité est un enjeu central, que le prochain président des États-Unis devra prendre à bras le corps : « nous faisons face à deux groupes d’adversaires, des groupes de hackers indépendants qui agissent essentiellement à des fins commerciales et dérobent des informations monnayables.
Mais les cyber-attaques émanent, de plus en plus, d’États ou d’organismes d’État, comme c’est le cas de la Russie ». La candidate démocrate va plus, loin en dénonçant l’attentisme bienveillant de Poutine vis à vis des hackers qui s’attaquent aux fichiers gouvernementaux américains.
Une escalade rapide des tensions qui laisse pointer l’hypothèse d’une riposte de dernier recours, évoquée par Hillary Clinton : « nous devons mettre les choses au clair. Notre pays a une capacité de riposte très importante. Nous ne pouvons pas les laisser accéder à nos informations publiques ou privées et nous ne voulons pas avoir à recourir à des instruments que nous possédons et qui nous engageraient dans une nouvelle forme de guerre ».
Pour le camp démocrate, les provocations russes relèvent d’une mise à l’épreuve, pour tester le seuil de tolérance américain, jusqu’ à l’ultime riposte. Et en effet, à l’image du piratage russe de 2014 qui avait visé plusieurs millions de comptes de la banque JP Morgan, la volonté de tester les capacités de cyber défense américaines et celle de l’OTAN, est flagrante.
Une cyber guerre d’image pour fragiliser la crédibilité des institutions américaines
Et si les hackers, présumés russes, visaient moins à s’immiscer dans le débat présidentiel qu’à écorner la confiance que les américains placent en leur classe politique et dans leurs institutions ? La thématique d’une caste corrompue fait écho à un argument largement exploité par le camp républicain.
L’administration Obama pointée du doigt
Fort du soutien des officiels du renseignement américain ou de celui des agents des frontières, Donald Trump affirme que la secrétaire d’État s’apitoie sur un constat, dont elle doit tirer sa part de responsabilité, « la secrétaire Clinton parle de menace (…) mais regardez le chaos dans lequel nous nous trouvons, nous devrions être meilleurs que les autres, mais nous en sommes loin.
Madame Clinton se focalise sur la Russie, mais le danger peut aussi venir de la Chine ou du domicile d’un particulier allongé sur son lit. On ne sait pas qui a hacké les sites de nos administrations, mais nous savons que Bernie Sanders a été utilisé, instrumentalisé par vos équipes.
Le fait est que sous la présidence Obama, nous avons perdu le contrôle de choses que nous contrôlions par le passé ! (…) il n’y a qu’à voir l’utilisation d’internet par l’État Islamique ! Ils nous battent à notre propre jeu » !
L’administration Obama déjà engagée dans une cyber guerre contre l’État Islamique
La ligne de défense d’Hillary Clinton est claire : les États-Unis n’ont pas attendu pour s’engager dans la cyber-lutte contre l’État Islamique, en se dotant d’un centre de commandement exclusivement consacré à la cyber-protection de la nation, apte à mener l’offensive.
L’ US Army Cyber Command se veut le bras armé de l’administration Obama contre l’État islamique, comme le précise le New York Times. Ashton Carter, secrétaire à la Défense, reste élusif dans les attributions et moyens du Cyber Command : mais plus concrètement, il s’agirait pour l’agence américaine de cibler et d’attaquer les moyens de communication de l’organisation terroriste, afin de paralyser sa communication, l’empêchant ainsi de diffuser sa propagande, recruter de nouveaux volontaires ou même de geler les flux financiers qui permettent de payer ses combattants.
D’un point de vue stratégique et militaire au sol, l’agence devrait permettre de pirater les messages échangés entre ses membres, afin de rediriger les troupes de l’organisation vers des zones plus vulnérables aux attaques des États-Unis et des forces terrestres locales de la coalition. Membre de l’administration Obama, Hillary Clinton revendique ces avancées : « j’ai mis en avant un plan pour lutter contre l’État Islamique impliquant la lutte contre le terrorisme en ligne, main dans la main avec nos industries technologiques mais aussi le renforcement de notre riposte et de notre soutien envers nos partenaires arabes et kurdes à Raqqa ».
Affaiblir le leadership de l’État Islamique par la riposte, mais également neutraliser sa propagande, en freinant le recrutement de volontaires étrangers et l’afflux de capitaux extérieurs, sont pour Hillary Clinton les conditions de la capture d’Al Baghdadi, décisive dans le renversement de l’État Islamique.
Entre cyber guerre terroriste et jeux d’alliances au Moyen-Orient, Clinton veut sortir du lot
La secrétaire d’État revendique son bilan. L’occasion pour elle de montrer qu’elle est prête : une femme d’État rodée par son expérience diplomatique, loin des approximations du candidat républicain, en grande difficulté lorsqu’il s’agit d’affirmer sa position sur un enjeu au périmètre flou : Trump définit le « cyber » en prônant l’émancipation des États-Unis dans leur rôle de gendarmes du monde, tout en critiquant le laxisme et le manque de fermeté militaire de l’administration Obama. Autant de flottements et de contre-sens qui donnent une longueur d’avance à la candidate démocrate sur le dossier.
Pour aller plus loin :
– « Le cyberespace, l’autre champ de bataille entre Moscou et Washington », Libération.
– « Les États-Unis en cyberguerre contre l’État Islamique », Journal du Geek.
– « Who won the debate ? Social media and ‘The Cyber », USA Today.
– « Presidential debate : Donald Trump describes ‘the cyber’; Hillary Clinton goes after Russia », Geekwire.
—
Laisser un commentaire
Créer un compte