Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre
« En France, le prisme idéologique fort est celui de l’État et des pouvoirs publics : on ne peut pas concevoir le réseau sans qu’il ne découle d’une décision politique, d’un processus bureaucratique et administratif. Il est difficile de sortir de ces cadres idéologiques, souvent nationaux, qui enferment l’acception du réseau. Pourtant, cette notion et sa logique peuvent apporter des solutions nouvelles dans un monde complexe, en permettant de résoudre les tensions « social / économique », « local / global », « individuel / collectif ».Â
Et si la logique de réseau n’était pas l’obstacle, mais  plutôt l’accélérateur d’une action publique ankylosée par des « process » et des strates décisionnelles déconnectées des aspirations contemporaines des citoyens ? C’est le constat qui découle des travaux de Christophe Assens, Docteur en sciences de gestion et maître de conférences à l’Institut supérieur de management (ISM) de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Il est l’auteur de l’ouvrage Les réseaux de service public, menace ou opportunité pour l’action publique. Christophe Assens est, par ailleurs, lauréat du prix Syntec de la Société française de management et de la mention spéciale du prix de la fondation Manpower Group/HEC Paris pour son livre Le Management des réseaux: tisser du lien social.
Depuis des décennies, les réseaux gagnent du terrain dans la société, y compris dans les administrations.
À l’origine de ce phénomène de fond, la volonté de nombreux citoyens de participer au débat public, dans un schéma démocratique plus direct, étroitement lié à la révolution numérique. Les travaux de Christophe Assens interrogent les effets de ces mutations sociétales profondes sur l’action publique. Dans les trois fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière, le travail en réseau facilite l’échange d’expériences, la mutualisation des bonnes pratiques. Une réponse naturelle au croisement des compétences professionnelles et l’exigence de polyvalence des fonctions, dans un contexte qui, sous couvert de plus de confiance, implique un encadrement hiérarchique allégé et des cadres bureaucratiques simplifiés.
« Dès lors, le réseau devient un moyen puissant pour décloisonner l’administration, afin de favoriser l’innovation au service du citoyen, et la rendre plus efficace » affirme Christophe Assens. À partir de nombreux exemples puisés dans les trois fonctions publiques, « les réseaux de service public » explorent les pistes concrètes qui permettraient de structurer et d’animer un réseau, au service des usagers, afin de tirer le meilleur parti de la collaboration ouverte.
Que faut-il comprendre par « réseaux de service public » ?
Pour Christophe Assens, le sujet séduit de plus en plus les administrations, un intérêt renforcé par un phénomène de mode, l’essor des réseaux sociaux sur internet. « Il faut concevoir le réseau de service public comme une structure de collaboration basée sur la confiance, à chaque fois que l’on a besoin de collaborer en dehors des cadres classiques ».
Ces réseaux sont essentiellement des structures internes. Le problème rencontré par la majorité des administrations publiques, réside le plus souvent dans leur lourdeur hiérarchique et bureaucratique. « Il est donc parfois utile de contourner ces lourdeurs bureaucratiques en fonctionnant en réseau, d’un service à l’autre, d’une administration à l’autre, d’un département à l’autre voire d’un fonctionnaire à l’autre. Une démarche très utile, voire précieuse lorsque l’on souhaite mettre en place des projets rapidement » souligne Christophe Assens.
Le réseau permet de libérer l’innovation.
L’innovation est un enjeu national et mondial de croissance. Dans l’administration comme dans l’entreprise, innover en réseau est le canal le plus simple, le plus accessible et souvent le plus efficace, « une façon de cultiver de la nouveauté », pour l’auteur. Rester enfermé dans son institution, dans son administration, dans ses certitudes et dans ses procédures, c’est sacrifier la création et la modernisation du service au citoyen, à l’usager, ou même au client.
Entre menaces et opportunités, que faut-t-il attendre des réseaux de service public ?
Christophe Assens décrit les corporatismes qui caractérisent l’administration publique. Nombreux sont les fonctionnaires qui s’enferment dans des logiques de corps, afin de cultiver une véritable rente de situation. Dans ce cadre, le réseau peut être détourné de sa finalité d’ouverture et de modernisation, pour promouvoir le lobbying et la défense d’intérêts corporatistes.
Une menace qui viendrait entraver l’action publique et le sens de l’intérêt général. En revanche, des réseaux hybrides qui viendraient mélanger différents types de fonctionnaires et pourquoi pas, des membres de la société civile, favoriseraient l’échange et à terme, les solutions innovantes et la modernisation du service public.
Le citoyen peut déclencher le changement institutionnel sans toutefois imposer son diktat.
Pour Christophe Assens, « il est de plus en plus indispensable de tenir compte des attentes des citoyens.
Il faut l’intégrer dans la chaîne de valeur de l’administration et bien évidemment, dans cette perspective, le réseau a du sens : il faut écouter, concerter, travailler ensemble. Mais il ne faut pas non plus céder à une logique de « diktat du citoyen » sur l’intérêt général, en dehors des arbitrages politiques réalisés lors des élections ». Trouver le juste équilibre et s’extraire de la pression des réseaux sociaux. Une nécessité pour l’auteur qui rappelle, toutefois, qu’il est dans l’intérêt des administrations publiques de se rapprocher des citoyens afin de ne pas se couper des réalités du terrain et des attentes en matière de service public.
Illustration d’initiative de réseau de service public : la FNCCR.
La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies a récemment publié son livre blanc sur les aspects de la transformation numérique des collectivités territoriales. Les collectivités sont, aujourd’hui, au cœur des défis du numérique et le livre blanc fait apparaître un paradoxe qui fait écho aux conclusions de Christophe Assens, entre opportunité et menace. Si la FNCCR concède au numérique des avantages évidents pour les usagers, le livre blanc pointe du doigt les effets négatifs de l’ouverture et de la mise en réseau, comme l’aggravation des fractures sociales et territoriales entre utilisateurs des nouvelles technologies, les atteintes potentielles à la vie privée, la fragilité accrue du fonctionnement de la société face aux défaillances (pannes, malveillance,…) ainsi que la perte d’influence des pouvoirs publics démocratiques traditionnels.
Les recommandations du livre blanc se veulent plus optimistes : la création d’une instance nationale de gouvernance et de coordination numérique, mais aussi le déploiement d’outils, tels qu’un opérateur national de mutualisation, ou encore la mise en place d’un observatoire des territoires. La mise en réseau, lorsqu’elle « disrupte » les intermédiaires établis, remplit sa mission de facilitateur, mais cela n’est pas sans risque. Christophe Assens garde à l’esprit l’expérience marquante d’un maire,  « il avait associé ses citoyens à la prise de décision politique, sans passer par les intermédiaires classiques.
Cette mise en réseau de démocratie participative avait permis de stimuler la participation, dans une ville un peu à l’écart des grands ensembles régionaux. Mais, en court-circuitant les intermédiaires classiques, le maire n’a pas été réélu, car il avait perdu une partie de son assise politique ». Le gain social peut donc aller de pair avec un affaiblissement politique, témoignage de la difficulté de faire cohabiter l’horizontalité du processus décisionnel avec la verticalité de la concertation, les temps du politique avec la réalité sociale.
Pour aller plus loin :
– « Management en réseau, défense du bien commun », Fondation Manpower Group.
–« Réussir la révolution numérique des services publiques en réseaux : quelques propositions », Le Mag Numérique.
– « Les réseaux interministériels des centres d’appels du service public », Ministère de l’Économie.
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« La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies… »
Non, non, nous ne rêvons pas…
Au fait qui finance cette Association des Bureaucratures?
Ce Pays est foutu!