Moderniser le système de santé… en le dégradant !

Comment en est-on arrivé à une situation économique et humaine catastrophique ?

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Moderniser le système de santé… en le dégradant !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 mars 2016
- A +

Par Bernard Kron

La Loi Santé de 2016 a pour objet « la modernisation du système de santé ». Elle va au contraire aggraver sa descente aux enfers ! Faudra-t-il revenir en arrière pour restaurer la qualité des soins « à la Française » ?

Les suicides qui ont défrayé la chronique devraient nous interpeller sur cette situation.

Retour vers le passé

En mai 1968 les externes qui étaient nommés par concours deviennent tous étudiants hospitaliers au prétexte d’un enseignement égalitaire, ce qui tirera en fait cette fonction vers le bas. Le mal sournois de l’égalitarisme vient de commencer.

En 1974 la création des 21 régions sanitaires favorise les CHU qui vont être au nombre de 29. Certains vont hélas se développer en cannibalisant les cliniques privées voisines pourtant très performantes.

Dans les années 90, le système de santé français était classé au premier rang mondial par l’OMS. Il faisait des envieux. Le déficit de la Sécu a servi de prétexte pour que l’État s’empare de tous les leviers au détriment de la qualité.

Les « ordonnances Juppé » de 1995/96, les mises aux normes, les 35 heures ont bouleversé l’organisation hospitalière. En 2002 l’Internat subit le même sort que l’Externat. Il a été remplacé par un simple cursus (ECN) qui reçoit 100% des étudiants en fin de cycle ; même avec copie blanche on est reçu !

Ces concours favorisaient un élitisme nécessaire à la qualité pour une grande médecine française, mais celle-ci était trop rebelle et les politiques, « en coupant les têtes », ont pesé lourdement sur cette qualité que les autres pays nous enviaient.

Les plans hôpitaux

Les plans hôpitaux se sont succédé : 2002, 2007, 2012. La loi Hôpital Santé Patient Territoires (HPST) de 2011, dite loi Bachelot avait complété le dispositif de ces plans.

Elle était le prolongement du rapport du sénateur Gérard Larcher sur la réforme hospitalière de 2008.

Cette loi qui prône les regroupements hospitaliers et la mutualisation des moyens en Communauté Hospitalière de Territoire (CHT) va créer des monstres de plus de 100 000 mètres carrés qui ont peu à peu dévoré la majorité des cliniques privées et des maternités libérales.

Malheureusement, l’hôpital sur-administré n’est plus vraiment géré, il devient un navire incontrôlable, promis au naufrage sans un retour en arrière. Les directeurs s’intéressent plus à leur carrière qu’à la qualité des soins.

L’éloignement de la population entraîne un surcroît de dépenses en véhicules sanitaires de transport, sans parler du sous-effectif médical qui impose des attentes interminables aux urgences. Les dépenses explosent.

La nouvelle gouvernance renforce les pouvoirs exercés par le directeur d’hôpital.

Cette évolution va participer à la crise et à la socialisation étatique du système de santé.

Des projets pharaoniques vont voir le jour tel le nouvel hôpital sud-francilien (HSF) : 110 000 mètres carrés. Il est encore plus gigantesque que les derniers nés que furent Strasbourg et Toulouse. Il regroupe l’offre de soins des hôpitaux Gilles de Corbeil-Essonnes, de Louise Michel d’Évry-Courcouronnes et Albert Calmette de Yerres.

Il comporte 1100 chambres et 26 blocs opératoires. Les malfaçons et les surcoûts de réalisation le rendent largement déficitaire avant même son ouverture.

Le futur Hôpital Nord de Saint-Ouen verra le jour en 2025 pour remplacer Beaujon et Bichat.   Corrigera-t-il ces défauts ?

Les personnels hospitaliers

Ils comptent plus d’un million deux cents mille salariés. L’absentéisme y est marqué avec 11% des jours ouvrés, ce qui représente presque un mois par année d’activité. Les crédits affectés à leur remplacement représentent 5% de la masse salariale.

  • Les médecins

On compte 100 000 médecins dont 6 000 PU-PH. Il faut ajouter 30 000 non titulaires et plus de 26 000 internes .

L’hémorragie médicale que représenta dans les années 70 le départ vers le secteur privé de nombre de Chefs de Clinique a obligé ces hôpitaux à recruter des médecins qui ne sont pas issus de cursus diplômants. Pourtant, nombre de postes restent vacants en chirurgie et en anesthésie car insuffisamment rémunérés au regard des obligations.

Les pleins-temps sont écartelés entre les tâches administratives, les réunions de Formation Médicale Continue (FMC) et celles de la Commission Médicale d’Établissement (CME).

Les congrès, la formation des internes, la présence et les communications dans les sociétés savantes sont incontournables mais sont un poids, faute de temps, pour maintenir la qualité des soins.

La bonne marche des services et la gestion d’une clientèle privée compliquent encore un peu plus les emplois du temps et l’évolution des carrières.

Le burn-out prospère !

  • Les internes des hôpitaux

Ils ont dépassé le nombre de 26 000, ils ont été classés de façon aléatoire par l’Épreuve Classante Nationale (ECN). Ils sont mis à contribution pour faire fonctionner les services, alors que les externes se limitent à s’occuper de la paperasse et du secrétariat administratif aux dépens de leur formation clinique.

Les Chefs de Clinique n’ont ni le temps ni parfois même les capacités de les encadrer. Les internes revendiquent en conséquence le repos compensateur, la prise en compte des journées de formation dans leur temps de travail. Il a fallu qu’ils se mettent en grève pour que le ministère de la Santé commence à les écouter.

  • Les infirmières

Les infirmières sont devenues des étudiantes, en route vers un master, au prix d’un allongement de la durée de leurs études. Leur cursus devient de plus en plus théorique et les éloigne du contact avec les patients. On les hyper-spécialise sans en faire pour autant des officiers de santé.

C’est ainsi qu’on a créé une spécialité avec les Infirmiers de Bloc Opératoire (IBODE) au prix de 18 mois d’école supplémentaire afin d’acquérir des connaissances en techniques de stérilisation, en procédures juridiques et des notions chirurgicales de base.

Ce cursus comporte 14 spécialités chirurgicales censées être acquises en 14 semaines, alors qu’un minimum de 3 mois est nécessaire à un étudiant en médecine, après 5 ans d’études, pour commencer à être efficace comme aide-opératoire.

Les IBODE vont tomber de haut au contact des réalités du bloc comme en témoignent les plaintes actuelles de cette corporation.

Ils connaissent certes toute la théorie des procédures de qualité. Ils sont formatés aux référentiels multiples à appliquer pour obtenir les accréditations et satisfaire aux audits, mais ils sont bien mal préparés aux aides-opératoires dans la pratique chirurgicale d’un bloc.

Les chirurgiens préfèrent se faire aider par des étudiants ou des médecins – de plus en plus souvent étrangers – qu’ils forment à leur exercice particulier, plutôt que de se voir imposer une aide incompétente. Ce psychodrame est induit par le syndrome scolaire qui forme des professionnels inadaptés au terrain.

Il en est de même pour les cadres infirmiers ou les jeunes directeurs d’hôpitaux.

En revanche, la formation des IADE sur 7 ans en fait des anesthésistes « à part entière » sans que leurs diplômes soient récompensés.

Telle est la triste vérité. L’anonymat, le caractère impersonnel des soins, la sélection d’accès aux soins en fonction de l’âge et de la gravité de la maladie sont la conséquence de ces mauvaises décisions.

L’administration a étendu son emprise et tient en otage les praticiens qui veulent y faire carrière.

Les autres sont partis vers des cieux qui semblaient plus cléments mais qui s’obscurcissent avec les pesanteurs administratives.

Le suicide de praticiens hospitaliers tout comme celui d’internes devraient faire réfléchir le monde politique sur l’ineptie de décréter par la loi la qualité des soins qui demain ne sera plus au rendez-vous sans un retour en arrière1.

  1. Ces idées sont développée dans le livre de Bernard Kron, « Chirurgie chronique d’une mort programmée », aux éditions L’Harmattan.
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  • Cerise sur le gâteau: les (bien-nommés) patients ne pourront même plus protester puisque leur représentation auprés du ministère se fera par un nouveau « bidule » financé par ledit ministère.
    Emprise exponentielle de l’Etat sur toute la société…

  • Pourquoi auriez-vous voulu que la médecine échappe à la prétendue omni-compétence de l’état dans tous les secteurs de la vie des citoyens (eux-mêmes décident évidemment de leur établissements hospitaliers et de leurs praticiens!)?

    Oui, clairement, les « Haute Autorité de Santé » et toutes ces « couenneries » administratives ne servent évidemment à rien, privent les gens de la proximité de leur petit vieux hospitalisé ou du nouveau-né dans la famille, à proximité; ils ne pourront plus parler au chef de service mais à un médecin étranger, plus ou moins au courant du « cas »: c’est un choix!

    Mais ne croyez jamais que cette médecine à la « couenne » vous coûtera moins cher: quand l’état « rationalise », il met plus d’administration mais moins de moyens efficaces et le résultat est catastrophique: c’est connu, non?

    Ce n’est qu’un aspect de plus de votre décadence!

  • Je ne comprend pas les deux premiers points de cet article.
    En Mai 68 le gouvernement change la situation des externes. En 1974, changement de regime favorisant les CHU. Dans les annees 90, le systeme francais classe 1er mondial. En quoi les deux points precedents ont degrade les choses ?
    Pour que l’article soit valide, il faudrait definir la degradation liee aux deux premiers points (sachant que l’OMS montre une amelioration). Sinon cet article ne se retrouve qu’etre a charge contre la gouvernance d’etat, ce qui le rend indefendable en discussion et fait passer les liberaux pour des suppots du Chaos. Ca aide pas vraiment.

    • Cet article ne peut pas tout expliquer:
      Il est à charge contre toute la politique de santé depuis Mai 1968
      C’est à cette date qu’a été donné à tous les étudiants en médecine l’Externat puis en 2002 l’Internat
      C’est un nivellement par le bas
      Tout est expliqué dans mon livre:
      Lisez le et on en reparle
      PS……Le….PS n’a pas fait pire que XB et RB avec la loi HSPT….!

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