Six cents, soit presque deux par jour : c’est le nombre d’agriculteurs qui se suicident chaque année en France. Ce nombre en augmentation illustre tristement une condition agricole faite d’isolement, un isolement qui n’a d’égal que la dépendance des exploitants aux subventions publiques en tous genres. À titre d’exemple, en 2019, ces aides représentaient en moyenne 74 % des revenus des agriculteurs, et jusqu’à 250 % pour les producteurs de viande bovine.
Isolés socialement mais fonctionnaires de fait, les agriculteurs ont tout récemment été une nouvelle fois frappés de plein fouet par des retards et des dysfonctionnements dans l’instruction des dossiers de subventions, mettant en péril un nombre important d’exploitations déjà soutenues à bout de bras par la machine publique.
Le FEADER, deuxième pilier de la PAC
Mis en place en 2007, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) est le principal instrument de financement de la politique agricole commune (PAC) créée par le traité de Rome un demi-siècle plus tôt.
La PAC se fonde sur deux piliers : la structuration du marché agricole et, depuis 2007 donc, le développement rural.
Inscrit dans la logique de programmation propre aux politiques européennes, l’objectif du FEADER est explicitement de garantir l’avenir des zones rurales en s’appuyant sur les services publics et l’économie locale.
Sans surprise, le FEADER est impliqué dans la vaste politique de planification écologique européenne qu’est Europe 2020, avec en ligne de mire une agriculture « soutenable » et « durable ».
Initialement destiné à disparaître à la fin de ce plan, le FEADER a suivi la myriade de mesures publiques qui perdurent, avec notamment la relance européenne NextGenerationEU adoptée par le Conseil européen en 2020.
Une responsabilité transférée
Sauf qu’au 1er janvier 2023, la responsabilité de ce fonds a été confiée aux États. En France, ce dernier l’a transféré aux conseils régionaux volontaires qui ont rapidement accusé d’importants retards de paiement mettant gravement en péril de nombreuses exploitations agricoles.
La région Bourgogne-Franche-Comté n’y fait malheureusement pas exception, au point que la situation s’est particulièrement envenimée le 6 novembre dernier.
Ce jour-là , trois élus de la majorité socialiste au conseil régional ont été pris à partie par des exploitants de Saône-et-Loire :
« C’est une honte, un scandale, une catastrophe, vous êtes des nuls, des incompétents, votre administration est lamentablement défaillante, à la ramasse ».
Ces propos ont contraint le sénateur et président du groupe socialiste à l’assemblée régionale Jérôme Durain, présent ce jour-là , à reconnaître la responsabilité des élus dans une situation qui met les agriculteurs « dans la merde ».
Concrètement, les agriculteurs, soutenus dans leurs revendications par la Confédération paysanne, reprochaient à la collectivité la piètre qualité du traitement des dossiers de demande de dotation d’aide à l’investissement aux installations de jeunes agriculteurs.
Un temps de traitement rallongé
Au cœur de ces doléances, donc, le transfert aux régions du traitement de ces demandes. Ces transferts se sont pourtant accompagnés de compensations financières de la part de Paris sous la forme de 35 agents à temps plein issus de la Direction départementale des territoires (DDT). Mais la plupart ont toutefois refusé leur mutation à Besançon et Dijon, lieux concentrant le dispositif.
Pour y faire face, des recrutements ont été lancés, mais la moitié des effectifs n’a toujours pas été pourvue, s’ajoutant au changement d’outil informatique.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : moins de 10 % des 3500 dossiers en retard de paiement ont pour l’heure pu être instruits.
De quoi nourrir un profond ressentiment dans le milieu agricole, au point que de nombreux agents sont victimes de harcèlement voire de menaces ayant entraîné des mains courantes.
Un fonds en hausse
Pourtant, le dispositif semblait lancé sur de bonnes bases, le FEADER ayant été augmenté de 28 % pour la programmation 2023-2027 selon Christian Decerle, président de la chambre régionale d’agriculture.
La situation a contraint le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à réagir afin d’appeler les élus à résoudre rapidement les problèmes administratifs pour éviter des conséquences graves pour les agriculteurs.
Agriculture et bureaucratie
FEADER, PAC, DDT… autant d’acronymes à la fois très bureaucratiques et très français qui frappent de plein fouet l’activité qui devrait pourtant être la plus épargnée de ces questions : l’agriculture. Activité naturaliste par excellence, là où la bureaucratie est celle de la complexité humaine, l’agriculture symbolise à la fois la maîtrise de la nature et l’aboutissement de notre besoin le plus primaire en tant qu’espèce inscrite dans le vivant : la nourriture.
Pourtant, ce milieu est depuis longtemps l’objet de politiques planificatrices ayant pour objectif de protéger le marché intérieur au détriment d’un partenariat sain entre les nations à travers de véritables politiques de libre-échange.
De l’urgence de débureaucratiser
Dans les faits, la PAC, comme d’autres politiques planificatrices, transforme les agriculteurs en fonctionnaires chargés de mener leur exploitation comme des gestionnaires administratifs, tandis que le principal acteur touché par la réglementation n’est autre que le consommateur final qui en paie le coût.
Or, cette réglementation est la contrepartie des subventions accordées. Celles-ci peinent donc à arriver dans le portefeuille des exploitants en raison de cette même norme. Autant dire que pour les agriculteurs français, c’est le serpent qui se mord la queue, toujours avec pour principale cause la bureaucratie.
le serpent se mord la nuque désormais…
Joli