Le vernis à ongles, perturbateur endocrinien ?

Après les tampons hygiéniques à l’herbicide, voici une nouvelle information apportant son lot de phobies.

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Le vernis à ongles, perturbateur endocrinien ?

Publié le 2 novembre 2015
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Par Wackes Seppi

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KnitSpirit Pieces-(CC BY-NC-ND 2.0)

 

Les bonnes nouvelles, enfin les mauvaises, tombent comme les feuilles mortes par les temps qui courent. Rappelons qu’une mauvaise nouvelle, sur un danger qui nous menace, est une bonne nouvelle pour des médias dont le business plan est axé sur l’hypocondrie, la morosité, et le sentiment que tout est foutu. Conseillons aux producteurs et diffuseurs de bonnes/mauvaises nouvelles d’instaurer un système de tickets : c’est quand même trop bête de gâcher un sujet bien anxiogène parce qu’il y a eu télescopage avec un autre…

Nous avons eu les tampons hygiéniques à l’herbicide, voici le vernis à ongles aux perturbateurs endocriniens.

Sciences&Avenir nous propose un article factuel – mais hélas sans analyse critique – sous le titre : « Un perturbateur endocrinien dans les vernis à ongles ? » Point d’interrogation de rigueur, chapeau accrocheur :

« Un produit utilisé pour assouplir la texture du vernis et assimilé rapidement par l’organisme pourrait être toxique, affirme une étude. »

Cela nous paraît une surinterprétation intempestive et hasardeuse. Mais on ne peut qu’admirer l’audace sémantique, du reste fort répandue (il doit y avoir des cours spéciaux dans les écoles de journalisme…) : l’étude affirme – à l’indicatif – une chose mise doublement au mode hypothétique.

D’autres ont aussi sauté sur l’« information » tout en maniant le flou de façade :

« Le vernis à ongles, indispensable beauté pour de nombreuses femmes, s’avérerait dangereux pour la santé, plus précisément parce qu’il contient un plastifiant soupçonné d’agir comme un perturbateur endocrinien. »

C’est de 20 Minutes, mais « avec agence » (laquelle ?).

D’autres encore ne se sont pas laissés étouffer par les scrupules. Pour Doctissimo, il y aurait :

« Perturbateurs endocriniens : une forte exposition via… les vernis à ongles ! »

Et, selon un intertitre :

« Des perturbateurs endocriniens retrouvés en quantité élevée dans le corps ».

Il est temps de se reporter à la publication de base, publiée dans Environment International1. Problème : elle est derrière un péage… Mais, outre la description de Sciences&Avenir, il y a un intéressant article de blog, Lab Muffin, qui dévoile le pot aux roses.

Premier signal d’alerte : la liste des auteurs comprend une personne qui relève d’Environmental Working Group. C’est une entité militante qui, contrairement à d’autres, fait preuve d’une certaine transparence. Elle se prévaut d’un partenariat « pour un appui général et des événements » avec une belle brochette d’entreprises du « bio » et de la « santé alternative ».

Que Mme Johanna Congleton s’épanche ensuite dans la presse est dans l’ordre naturel des choses : EWG est son employeur et elle est payée pour diffuser un message anxiogène. Selon Sciences&Avenir :

« Il est troublant de constater que le vernis à ongles qui est destiné aux femmes et aux adolescentes contient un produit qui est suspecté d’être un perturbateur endocrinien […]. Il est encore plus troublant d’apprendre que leur organisme absorbe ce produit relativement rapidement après l’application d’une couche de vernis. »

Troublant, en effet, ce message d’une remarquable banalité. On n’est visiblement pas dans le même registre que l’Obs, qui titre cette semaine, avec un montage photographique à effrayer toutes les mamans et nounous, « [v]otre enfant est-il pollué ? ».

Mais ce n’est qu’un signal d’alerte. En fait, la publication ne semble pas outrancière. Quoique… le résumé se conclut par :

« Nos résultats indiquent que le vernis à ongles peut être une source d’exposition significative au TPHP à court terme et chronique pour ceux exposés dans un milieu professionnel. »

Tout est dans le mot « significative ». Quant à l’exposition chronique, cela nous paraît plutôt audacieux.

Les chercheurs ont cherché à savoir ce qu’il advenait dans le corps humain du triphényl phosphate (TPHP) contenu dans des vernis à ongles (jusqu’à 1,68% de la masse des vernis, l’essai ayant été fait avec un vernis à 0,97% de TPHP). Ils ont trouvé que le TPHP était absorbé, et ont avancé l’hypothèse que la voie d’absorption pouvait être l’ongle ou, plus vraisemblablement, la peau autour de l’ongle.

Oups ! Pas « le TPHP », mais « du TPHP ». Sauf erreur, les chercheurs ne se sont pas intéressés aux quantités absorbées…

On sait que le TPHP est métabolisé en diphényl phosphate (DPHP). Nos chercheurs ont donc dosé le métabolite dans l’urine, une heure avant application du vernis pour obtenir la baseline, le niveau de base, puis entre 2 et 6 heures après, et encore entre 10 et 14 heures (comme vous le voyez, c’est précis…).

Sciences&Avenir produit un graphique qui schématise le résultat : dix à 14 heures après l’application du vernis à ongle, les cobayes (26 en tout) excrétaient du DPHP à un niveau près de sept fois supérieur au niveau de base.

Remarquez l’extraordinaire intervalle pour les mesures de 10-14 heures après. La réponse est ci-dessous (graphique de droite).

Et alors ?

On ne peut que constater que les auteurs se sont bien gardés de donner les valeurs mesurées dans leur résumé – et le journal s’est bien gardé de réclamer cette information importante. Or, comme le note Michelle, la tenancière de Lab Muffin,

« Nous parlons ici de quantités qui sont minuscules […]. Six fois une quantité minuscule reste une quantité minuscule ; et bien que des quantités minuscules de substances toxiques peuvent être toxiques (par exemple le botox), il peut n’y avoir aucun problème avec des quantités minuscules d’autres substances […]. »

On peut ajouter qu’il y a d’autres sources d’exposition. Le TPHP est utilisé dans les plastiques (comme du reste dans les vernis à ongles) pour les assouplir et comme retardateur de flammes. Une quantité minuscule ajoutée à des quantités a priori plus importantes…

Alors, le TPHP ?

Il est soupçonné d’être un perturbateur endocrinien. On peut s’en remettre ici à l’Environmental Working Group : grands peintres de diables sur les murailles, s’ils en peignent un petit, c’est qu’il y a de grandes chances qu’il s’agit en fait d’un angelot. Ils écrivent :

« Les chercheurs ne savaient pas grand chose sur la toxicité du TPHP jusqu’à récemment. Mais aujourd’hui, il y a de plus en plus de preuves que la molécule pourrait affecter les hormones, le métabolisme, la reproduction et le développement » (c’est nous qui graissons).

Citons encore Michelle pour le plaisir d’avoir trouvé une consœur en rationalisme :

« Cependant, tout ceci [ces études] est loin d’être une preuve concluante et, comme vous avez dû vous en rendre compte en ayant navigué sur l’internet au cours des cinq dernières années, c’est comme si toute substance chimique peut être liée à une perturbation endocrinienne pourvu que l’on fasse suffisamment d’efforts pour faire le lien. »

Reste à savoir si les conclusions proposées de Mendelsohn et al. – et les alertes à la catastrophe sanitaire – sont pertinentes. Selon Michelle, une femme qui se fait les ongles (une fois par semaine en moyenne, dit-elle) utilise 0,3 gramme de vernis en moyenne par application. On parle donc de 3 milligrammes de TPHP sur des ongles plutôt imperméables avec des bavures sur la peau…

Mais il est vrai que les perturbateurs endocriniens ont une autre grande vertu pour les marchands de peur : la dose ne ferait pas le poison ; ou encore les courbes doses-réponses ne seraient pas « monotones » (régulières). Si donc un essai ne révèle pas d’effet… c’est qu’on n’a pas utilisé la bonne dose.

Quoi qu’il en soit, il y a un surcroît d’excrétion de DPHP, en gros, dans la journée qui suit – indication a priori du bon fonctionnement du système de détoxification du corps humain (à considérer que le TPHP soit toxique aux doses considérées). Mais ce n’était manifestement pas l’axe de recherche des auteurs.

Comme l’écrit avec une remarquable sagacité l’Environmental Working Group dans son manifeste – « Your Nail Polish Could Be Disrupting Your Hormone System » (votre vernis à ongle pourrait perturber votre système hormonal) :

« La conclusion est incontournable : une fille qui se peint les ongles prend le risque d’entrer en contact avec un perturbateur endocrinien potentiel. »

Pour arriver à cette conclusion, il suffisait de lire les étiquettes et de colliger avec les listes de perturbateurs endocriniens soupçonnés. Et la fille qui se peint les ongles le fait aussi… en mangeant et en respirant. Et surtout en prenant la pilule.

Le TPHP a remplacé le dibutyl phthalate, accusé d’être un… perturbateur endocrinien. Une pétition a évidemment été lancée par l’Environmental Working Group pour demander aux fabricants d’éliminer le TPHP des vernis à ongles ; et les médias français l’ont mise en lien.

Si la campagne de haine contre le TPHP aboutit (on attend une réaction d’une certaine ministre…), il sera vraisemblablement remplacé par une autre molécule qui sera, à son tour, soupçonnée d’être un perturbateur endocrinien. Qui alimentera le fonds de commerce des marchands de peur. Qui alimentera le fonds de commerce de médias peu regardants ; et qui en profitent pour mettre en lien leurs articles passés du même tonneau. Qui alimentera la sinistrose ambiante…

Sur le web

  1. Nail polish as a source of exposure to triphenyl phosphate, Emma Mendelsohn, Audrey Hagopian, Kate Hoffman, Craig M. Butt, Amelia Lorenzo, Johanna Congleton, Thomas F. Webster, Heather M. Stapleton

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  • On a déjà eu le coup du steak cancérigène et des morts qui ne se décomposent plus…
    Sauf qu’on le savait depuis l’antiquité pour le premier (crises de goutte = la maladie du riche, car la viande coutait un bras) et 1920 pour le second (lié à la consommation d’alcool).
    Avant, des femmes se tartinaient la face à la céruse… bien plus dangereuse que tout les vernis à ongles réunis.

    Tout cela ne reflète qu’une société anxieuse pour son avenir.

  • Et on arrivera à une situation encore pire. Parce que dans les pilules, on ne mettra pas n’importe quoi de suite sans l’avoir bien testé. Faudra-t-il avaler n’importe quoi au prétexte qu’il pourrait y avoir un risque avec le TPHP ?
    Le cocktail sera-t-il plus sur ❓

  • je ne sais pas si le vernis a ongle perturbe les hormones des femmes mais en tout cas il booste les hormones des hommes 😉

  • C’est rigolo parce que les idiots qui gobent les articles putassier l’alarmisme hystérique ne vont plus pouvoir se servir de rien: entre le dentifrice qui fait tomber les dents, le tampon qui fait des bébés à deux têtes, le jambon beurre qui rend les tétons fluorescent, la fourchette qui fait pousser une queue dans le dos…

    Il pourront toujours rééquilibrer leurs énergie cosmique avec un bon verre de pisse…

  • Soyons anxiogènes jusqu’au bout.
    Il est statistiquement démontré que boire de l’eau tue. Le nombre de noyés est là pour le prouver.

    http://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-nombre-de-deces-par-noyade-est-en-forte-hausse-depuis-debut-juin_1699408.html

    Il faut faire absolument un article sur les morts par intoxication d’eau et faire peur à la population qui prend du Contrex ou de l’Evian.

  • Je m’insurge sur le manque de sérieux des comparaisons scientifiques de cet article. Les prélèvements fiscaux grançais sont microscopiques selon leurs thuriféraires. Les multiplier par six ne devraient donc pas les rendre dolores. Or mes feuilles de TH et TF ne comportent qu’un modeste multiplicateur de 1,37 et le résultat est extrêmement dolore!

  • oui, je conseille souvent à la partie verte de ma famille d’abandonner la peur du cancer pour celle des perturbateurs endocriniens, plus porteuse…
    mais on sent poindre l’effet cocktail, gros potentiel itou.

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