Par Ernest S. Hemingwe.
Le mot du jour que pourrait faire Fabrice Grosfilley :
- Spéculation : opération consistant à acheter un bien en vue de réaliser un bénéfice de sa revente ultérieure.
- Spéculer : faire des opérations financières ou commerciales sur des valeurs négociables afin de tirer profit des variations de leurs cours.
Spéculation vient du latin speculor qui signifie observer. Son usage français sous la forme spéculation est apparu à la fin du XIIIème siècle et le sens premier est observation, réflexion. À partir de là et connaissant la logique belge, le savoir et la réflexion des masses populaires étant à proscrire soigneusement, il était important de mettre une limite, de tempérer les aspirations à la connaissance et donc la taxer. Mais trêve de plaisanterie (quoique), revenons à cette véritable taxe sur la pseudo-spéculation.
Pseudo-spéculation, parce que cette taxe ne touchera finalement absolument pas les gros spéculateurs. Par gros spéculateurs, j’entends ceux dont les volumes et les montants des opérations sont aptes à modifier les équilibres du marché, voire à le déstabiliser. Je vise ceux qui, sans morale ni valeurs, vont spéculer sur le prix des matières premières au point de créer des famines à certains endroits de la planète. Ceux qui acquièrent un poids suffisant pour bouleverser une entreprise, ces vautours qui vont demander toujours plus de profits financiers à court terme sans se soucier d’une quelconque stratégie à long terme de leur proie. Ou encore, ces trading à hautes fréquences robotisés… les exemples sont multiples. En gros, ces acteurs qui font de la finance avant de faire de l’économie.
Qui sera touché ?
Les particuliers et uniquement les particuliers… Les entreprises ont déjà leur propre système de taxation des plus-values spéculatives.
En réalité, cette nouvelle taxe touchera une fois de plus la classe moyenne qui dispose d’un peu d’épargne, ne supporte plus les taux ridicules offerts par les banques et peut se permettre de placer cette épargne en bourse. Ce sont donc de nouveau les mêmes qui passent à la caisse.
N’oublions pas que depuis le Gouvernement Di Rupo, ces mêmes petits actionnaires avaient été attaqués, le précompte mobilier passant de 15 à 25% sur les dividendes. Comme la poule aux Å“ufs d’or a survécu à l’assaut, le fermier gouvernemental vient donc lui demander encore un peu plus.
Qu’est-ce qui est touché ?
Les plus-values qualifiées « spéculatives » seront taxées à … 33%. Mieux que la TVA, un tiers de votre gain s’en retourne garnir le budget de l’État.
Maintenant, que qualifie-t-on de spéculatif ? Si on regarde la définition du Larousse donnée en introduction de cet article, tout achat d’action est par essence spéculatif. Trouvez-moi le premier abruti qui investit en espérant perdre de l’argent et j’aurai aussi trouvé le premier placement non spéculatif de l’histoire. Le gouvernement définit comme spéculatif tout achat – vente d’action, warrant, option dans une période de 6 mois ; je ne vais pas détailler les cas particuliers qui en seront exonérés tels les cas d’héritage, ou les obligations.
Le gouvernement prétend qu’un bon père de famille ne revendrait pas dans les 6 mois. Sans vouloir fâcher le gouvernement, un bon père de famille peut avoir une gestion active et faire attention, entre autres à limiter ses pertes, ou prendre son bénéfice s’il estime que l’action atteint un sommet. Est-ce là de la spéculation ? Non, c’est de la gestion saine de son portefeuille. L’investisseur qui ne regarde qu’une fois par an doit avoir une foi de charbonnier en son banquier.
Encouragement à la fraude fiscale
Ces plus-values sont taxables, qu’elles soient réalisées en Belgique, et retenue à la source, ou à l’étranger, via la déclaration fiscale. Voici un bel encouragement, à nouveau, à la fraude fiscale. Celui qui passe par une plate-forme étrangère (évitez le Luxembourg et autres pays disposant d’un système d’échange d’informations quand même) pourrait économiser sur la TOB (taxe d’opération de bourse), le précompte mobilier sur dividendes et enfin la taxe sur les plus-values « spéculatives ».
À tous les coups, je gagne.
Un professeur de mathématique m’avait dit qu’il n’y avait que trois façons de gagner au Casino : posséder le casino, le braquer ou être l’État… Je me suis toujours dit que la proposition 2 et la proposition 3 comportaient pas mal de similitudes, mais cela nous éloigne de notre sujet.
Ici aussi, à tous les coups, l’État va gagner. En effet, il a conçu la taxe sur les plus-values de manière asymétrique. Le principe quand on taxe des bénéfices est que celui qui est soumis à la taxe peut aussi déduire ses pertes de son bénéfice avant impôts. Rien de cela ici, que vous perdiez globalement importe peu, si à un moment vous avez une opération bénéficiaire, l’État prélèvera son dû. Un petit exemple chiffré simple pour expliquer cela.
J’ai 1.000€
Je les place équitablement sur 4 valeurs, soit des placements de 250€
Sur un placement, je suis chanceux, je gagne 40%, soit 100€ de plus-value
Sur les autres placements, je suis malheureux et perds tout.
Résultat : il me reste (250+100) + (250-250) + (250-250) + (250-250) = 350.
J’ai donc perdu 65% de mes investissements…
Qu’importe pour l’État, il ne regarde pas les pertes, uniquement l’opération bénéficiaire et me prélèvera 33€. Bilan global de l’opération ? 350-33 = 317… j’ai perdu 68,3%, l’action de l’État accentuant ainsi mes pertes.
Double Taxation
Comme cela ne suffit pas, cette taxation des plus-values constitue en réalité une double taxation, en principe interdite, mais ce ne sera pas la première fois qu’on passe outre cette interdiction.
Pourquoi double taxation ? Pour faire simple, le cours d’une action est basé sur l’espérance de son rendement futur, celui-ci est basé sur l’espérance des bénéfices de la société.
Quand je revends mon action avec une plus-value, cette plus-value représente en fait l’espoir du bénéfice, après impôt, de l’entreprise, elle est une part de ce bénéfice de l’entreprise.
Tout bénéfice d’entreprise est taxé avant de pouvoir être distribué. Lors de cette distribution, le bénéfice après impôt est relaxé au titre de précompte mobilier sur les dividendes.
Si je taxe la plus-value, c’est comme si je taxais le dividende de l’entreprise, qui sera lui aussi taxé ; on parle alors de double taxation. Pire, imaginons plusieurs détenteurs successifs de l’action, qui la revendent chacun en réalisant des plus-values ; amusons-nous, la bourse, ça monte et ça descend : l’action part à 10, revendu à 15 (bam, taxe), elle redescend à 9 et est revendue pour limiter la perte, pas déductible, rachetée à 9 et revendue à 15 (re-bam), descente et revente à 12, achat à 12 et revente à 14 (bardaf…) etc… etc…  Avant même que le bénéfice ne soit taxé, distribué et retaxé au titre de dividendes, les actionnaires auront déjà payé 3 fois la taxe.
Grande Spéculation ?
Il faut arrêter de se chatouiller pour se faire rire. Autant le gouvernement Di Rupo ne s’est jamais attaqué à la fraude (il s’est contenté de surtaxer ceux qui déclaraient déjà proprement), autant ce gouvernement Michel ne s’attaque pas à la spéculation. Il s’attaque à la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure, qui investit elle-même et en son nom propre. Les grands investisseurs utilisent des sociétés pour le faire, voire ne sont déjà plus en Belgique.
Car enfin, de quoi parle-t-on ? De recettes qui devraient atteindre, si tout va bien, 34 millions d’euros. Soit attaquer 100 millions de bénéfices boursiers. Vous pensez sérieusement que 100 millions sont un mouvement spéculatif propre à déstabiliser un marché ou une action ? Que ces 100 millions s’attaquent aux matières premières alimentaires ? Quand bien même ces 100 millions le feraient qu’ils ne seraient pas plus efficaces qu’une brise soufflant sur un bunker de béton. Les seuls bénéfices du BEL-20 en 2014 représentaient 15 milliards d’euros.
Cette taxe n’est rien d’autre qu’une vitrine pour satisfaire ceux qui se contentent de lire les titres de journaux qui encenseront peut être le gouvernement Michel, les voyant comme les pourfendeurs héroïques d’une criminalité financière galopante.
Ce serait à rire si ce n’était aussi navrant et si le coup de boutoir n’avait pas été dirigé une fois de plus sur la classe moyenne. La véritable alternative aurait été la mise à jour de la taxe sur les opérations boursières, en essayant aussi de rallier d’autres pays. Elle aurait pu toucher tout le monde et se ferait sur la base des opérations passées et non d’un bénéfice. Taxer chaque opération, en ce y compris celles effectuées par les entreprises, banques, robots et autres HFT. Le pourcentage eut pu être modeste mais vu les volumes évoqués, le résultat aurait pu être largement supérieur à 34 millions, et, s’attaquant aux nombres d’opérations, attaqué par même les vrais spéculateurs.
—
Résumé :
– un gouvernement de droite,
– une nouvelle taxe,
– au rendement ridicule,
– censée viser la spéculation boursière,
– mais loupant complètement son but.
Conclusion :
Nihil novi sub sole
tous les moyens sont bons pour dissuader l’actionnariat individuel . c’est typiquement une taxe de manipulation de marché au profit des institutions financières et provoquer l’évasion fiscale vers des pays accueillants.
Par gros spéculateurs, j’entends ceux dont les volumes et les montants des opérations sont aptes à modifier les équilibres du marché, voire à le déstabiliser. Je vise ceux qui, sans morale ni valeurs, vont spéculer sur le prix des matières premières au point de créer des famines à certains endroits de la planète.
Et quel est le problème ? La morale et les valeurs n’ont pas grand chose à voir avec les prix. Sinon sans doute la morale de chacun (que nous n’avons pas à juger) qui va définir la valeur relative qu’il accorde à une chose. Quant à « créer une famine en spéculant sur les matières premières, une analyse précise des choses tendrait à montrer que s’il y a « famines » c’est qu’il n’y a pas assez de spéculation. En effet une famine c’est un marché qui s’équilibre sur les quantités. Donc pas sur les prix. Donc en manque de capacité d’ajustement.
Au contraire la « spéculation à grande échelle » tends à amortir les variations extrêmes de cours et à permettre une convergence vers l’équilibre plus rapide et donc à amoindrir les risques de famines.
Faut pas croire la presse quotidienne belge, hein… c’est des blagueurs !
Un exemple amusant à ce sujet, les prix des matières premières agricoles aux US. L’oignon est interdit de spéculation et il n’y a pas d’options et de contrats à terme sur ce sous-jacent à l’opposé de quasiment tous les autres.
Résultat ? C’est la matière première agricole la plus volatile, de très loin, sur les marchés US et il y a des pénuries de temps à autres (aux USA !!!).
Bref, vive la spéculation si elle se fait sans tricher (donc sans règles tordues pondues par les États et leurs porte-flingues) pour aider leurs « clients ».
En effet, et l’instauration d’un marché à terme sur le porc en Europe serait extrêmement bénéfique pour les producteurs comme les consommateurs. Mais ce serait une hécatombe de boucs émissaires…
Chez nos ministres, il y a une confusion entre volatilité du marché et spéculation relativement rapide (< à 6 mois dans ce cas). Empêcher les petits (et même les gros) spéculateurs de revendre des actions ne stabilisera en rien les marchés. C'est le déséquilibre entre le nombre d'actions à vendre et le nombre d'actions à acheter répertoriées dans le carnet d'ordre qui est la cause de la volatilité. Par conséquent, soit il se trompe lourdement car ils ne sont tout simplement pas bien informé, soit cette taxe idéologique n'est qu'un prétexte pour aller grappiller un petit peu d'argent chez la classe moyenne. Soit dit en passant, je suis convaincu que cette taxe leur coûtera plus cher. En effet, la mise en place sera onéreuse et le retour sera largement inférieur à 34 millions. En un clic de souris, tout le monde peut changer de broker ou décider de ne pas revendre avant 6 mois. Conclusion, sans doute la taxe la plus ridicule qui soit.