Caramba, encore raté ! Non, le gratuit n’est pas la fin du capitalisme

L’économie du partage ne signifie en rien la fin de la propriété.

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Caramba, encore raté ! Non, le gratuit n’est pas la fin du capitalisme

Publié le 6 octobre 2015
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Par Philippe Silberzahn.

bandido credits Jordan (CC BY-NC-ND 2.0)

Il faut reconnaître une chose aux marxistes : ils ne lâchent pas facilement. Et surtout ils sont optimistes. Chaque développement du système capitaliste est pour eux la marque évidente de sa fin. Ils se trompent à chaque fois, mais ils ne perdent jamais espoir. Et en effet, l’espoir renaît depuis 2008 et surtout depuis le développement du tout gratuit et de l’économie du partage qui, devinez quoi… eh oui, marquent la fin du système capitaliste.

Or le gratuit n’a rien de nouveau. La télévision française est gratuite depuis sa naissance. Il a fallu attendre 1984 avec Canal+ pour qu’une chaîne devienne payante. Mais surtout, gratuit, cela n’existe pas. Dans la plupart des cas, « gratuit », ça veut dire que quelqu’un paie un service, pour qu’un autre puisse être gratuit. Là encore, c’est un système vieux comme le monde de différencier l’utilisateur d’un service de celui qui le paie. Nous le vérifions chaque fois que nous allons chez le médecin. Pour nous, il est « gratuit », mais en fait il est payé par la Sécurité sociale et notre mutuelle, et pour partie par nos cotisations. La télévision est « gratuite » mais nous payons tout de même une redevance. Le rond-point dans votre commune est « gratuit » mais il est payé par vos impôts. Il en va de même pour Google. Faire une recherche sur Google est gratuit. Mais cette gratuité est rendue possible parce que Google, à partir de ces recherches, peut vendre de la publicité à des annonceurs qui paient, eux, monnaie sonnante et trébuchante. Nous ne sommes donc pas du tout dans une économie du tout gratuit, mais dans un classique modèle où les utilisateurs d’un service A financent en le payant la gratuité d’un service B.

En outre, la gratuité de certains services n’est possible que parce que ceux qui les produisent ont des coûts fixes, et un coût marginal nul (le coût marginal ou variable d’une recherche Google est nul et pourtant on estime à partir des coûts fixes qu’elle consomme l’équivalent d’une ampoule de 60W pendant 17 secondes). Ces coûts fixes sont le reflet d’un investissement en capital extrêmement élevé. Ainsi, pour offrir son moteur de recherche, Google mobilise environ 1.000.000 serveurs dans au moins 12 centres d’hébergement et consomme plus de 600 mégawatts. Si ça ce n’est pas de la concentration de capital pour créer un flux de revenu, l’essence-même du principe capitaliste, je ne sais pas ce que c’est.

Quant à l’économie du partage, elle suggère que l’utilisation est plus importante que la possession. Peut-être. Mais même en admettant cela, j’ai beaucoup de mal à comprendre en quoi cela signe la fin du capitalisme. Économie du partage ou pas, avant de partager avec d’autres il faut posséder. Certains possèdent, puis partagent avec d’autres qui ne possèdent pas. Au Moyen-Âge, on faisait cela avec le four à pain. Ce partage est monétisé, que ce soit sur BlaBlaCar ou avec AirBnB. Donc si l’on résume : un individu possède un actif, et le partage avec d’autres contre rémunération pour en amortir la possession. En bref, il le mutualise. Là encore, la pratique existe depuis toujours. Les chinois font cela tous les jours avec leurs usines et les transporteurs routiers avec leur camion, pour ne prendre que deux exemples triviaux.

Bien-sûr, on dira : « Ah mais comme il y a partage, les gens achèteront moins de voitures. C’est donc bien la fin des fabricants de voitures. » Je prends quelques instants pour essuyer mes larmes, et me permets de rappeler un grand classique de la pensée économique : l’argent ainsi économisé permettra aux utilisateurs de BlaBlaCar, ô Bastiat, d’acheter quelque chose d’autre : des jeux vidéo, des tableaux de maître, des leçons de guitare, que sais-je, ce qui développera l’économie. Le parc de voiture sera mieux utilisé, le système aura gagné en productivité, ce qui est, faut-il le rappeler, l’essence-même du progrès capitaliste, à savoir produire plus avec moins par la mutualisation des moyens de production. Trois cents ans au moins que cela dure.

Revenons à cette question de possession des moyens de production car elle est doublement intéressante. L’axiome de base du marxisme repose sur la possession des moyens de production par les travailleurs. On voit mal en quoi, si l’utilisation devient plus importante que la possession, cela ne signifie pas plutôt la mort du marxisme que celle du capitalisme, qui, lui, sait allègrement combiner les avantages de la possession sans utilisation, et de l’utilisation sans possession.

D’ailleurs, Walter Lippman faisait remarquer dans son ouvrage La Cité libre que l’importance donnée par les marxistes à la possession des moyens de production était incompréhensible : la théorie de l’agence a montré depuis longtemps que l’on peut posséder un actif et ne pas être en mesure d’en décider l’utilisation dans la mesure où le possesseur (le capitaliste) doit faire appel à un agent (un manager) pour le gérer. La possession est donc au final relativement peu importante dans le système capitaliste. Ce qui compte pour un actif dans le système capitaliste n’est pas la possession, mais les services que l’on peut créer à partir de cet actif. Les distinctions entre possesseur et utilisateur étant ensuite réglées par des flux financiers (intérêts, dividendes, loyers, etc.)

Bon. Donc encore raté, mais ce n’est pas grave, il y aura sûrement bientôt une évolution du système capitaliste, et peut-être même une crise, qui sait, qui redonnera espoir aux marxistes. Courage !

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  • « l’argent ainsi économisé permettra …. »
    Cet argument me laisse circonspect.
    Utilise-t on aujourd’hui ces services pour économiser de l’argent OU pour ne pas trop en dépenser sous peine de se retrouver à découvert ?
    Dans le premier cas on peut effectivement consommer d’autres produits ou services ou encore épargner, dans le second il n’y aura aucune dépense supplémentaire.
    En France les salaires sont trop bas en partie à cause du poids gigantesque de l’état.

    • Un découvert n’est pas infini et reste une avance sur une dépense future…

      • La nature du découvert est importante (ponctuel ou régulier), mais vous ne pourrez jamais dépenser plus que ce que vous gagnez.

        Je voulais juste mettre l’accent sur le fait qu’une telle économie dans un pays aussi sclérosé et inquisiteur que la France n’aura surement pas l’effet escompté. Je crois qu’avant de faire la promotion d’une économie nouvelle il faut avant tout réduire le poids de l’état et toutes ces lois liberticides, le reste se fera de lui même.

  • C’est quand même bizarre: d’une part les anticapitalistes disent que l’économie collaborative est en train de tuer le capitalisme et d’autre, ils combattent ce genre d’économie.
    L’économie collaborative ne mets pas en danger le capitalisme mais les états. D’ailleurs, si cela se développe autant c’est à cause de la surréglementation et de la surtaxation. L’économie collaborative s’est développé en réponse à l’état.

    • Les anticapitalistes ne sont pas cohérents car s’ils n’aiment pas le capitalisme, et qu’ils considèrent que l’économie collaborative va tuer le capitalisme, ils devraient se réjouir de l’économie collaborative.
      Le fond du fond c’est les anticapitalistes qui disent que l’économie collaborative….résulte de l’austérité.

      Le capitalisme a toujours promu l’innovation. Or l’économie collaborative est une innovation. le capitalisme change, s’adapte. L’économie collaborative est une adaptation du capitalisme au monde moderne

  • Il suffit de regarder les dirigeants de toutes ces sociétés (Uber,BlaBlaCar,…) pour comprendre que l’économie collaborative n’est en rien une remise en cause du capitalisme.

    Est ce un hasard si l’économie collaborative se développe avant tout dans les pays à culture capitalistes (USA,…) et bcp moins dans les pays à tendance anticapitalistes. Si cela avait été une remise en cause du capitalisme, il aurait été logique que ce soit l’inverse (que cela se développe avant dans tous dans les pays à culutre anticapitalistes) ce qui n’est pas le cas

  • Les raisons du développement de l’économie de partage, c’est le sentiment qu’ont les jeunes que les modèles sociaux des pays développés sont intenables financièrement et que les jeunes générations en tireront moins profit que les générations vieillissantes (ce qui n’est que la stricte vérité) et qu’il vaut mieux se faire confiance à soi-même et à ses semblables qu’à des institutions sclérosées.
    l’économie de partage risque de mettre à mal les modèles sociaux qui étaient déja intenables avant

    • la vraie raison profonde de cette « économie du partage » c’est qu’elle permet de réduire les couts de transaction.
      Bref, c’est le marché plutôt que l’organisme centralisé.

      Et ça laisse supposer qu’à moyen terme les entreprises sont vouées à disparaître au profit d’un marché libre généralisé du travail, du service, des capitaux… En tout cas si on en croit l’analyse de Coase sur la nature de la firme et la dynamique actuelle de la mise en relation directe entre acteurs.

      Et comme toujours le marché libre est plus efficace que les bureaucraties donc on devrait avoir un gros enrichissement par la grace de l’allocation meilleure des ressources. Enfin, sauf si les Etats et leurs admirateurs décident que vraiment tant de libre interaction c’est dégoutant, inéquitable et ça fait pleurer les chatons.

  • Certaines personnes ont remis en cause le fait que l’économie de partage permet de développer la confiance envers autrui ( http://www.slate.fr/story/100579/economie-du-partage-confiance-avis ).
    Un des arguments avancé par les anticapitalistes pour montrer que l’économie collaborative est anticapitaliste c’est que cela serait une critique du consumérisme.
    Le consumérisme ne vient pas du capitalisme mais du keynésianisme. La preuve c’est que le consumérisme ne s’est pas développé en même temps que le capitalisme mais s’est développé à l’époque du keynésianisme (20 siècle). La démocratie n’est pas pour rien dans le court termisme.
    Cela me fait marré les gauchistes critiquent le consumérisme mais acclament le keynésianisme (problème de cohérence)

  • Pour les gauchistes, le seul revenu légitime est le revenu du travail, tout revenu du capital est illégitime.

    Donc dans leur esprit, sous louer un appartement consiste à flouer le propriétaire. C’est donc un acte valeureux, un Robin Hood informatisé.

    Là s’arrête l’histoire : à un jugement moral pervers et superficiel. Quoi de plus réjouissant pour un gauchiste, que de braver l’interdit pour rétablir la justice (et devenir un héro) ?

  • Les commentaires sont fermés.

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